« Le défi de la baleine bleue » : le nom poétique d’un défi du web aux conséquences tragiques. Explications.
Depuis des semaines, trois mots sont sur toutes les lèvres : blue whale challenge. Du « défi de la baleine bleue« , on présume plus que l’on sait. D’aucun crient d’ailleurs à la légende urbaine. Il serait né en Russie, sur VKontakte, soit le réseau social le plus utilisé de ce côté-là du globe, et site web le plus visité de Biélorussie. Trois hommes en seraient à l’origine : Philipp Liss, More Kitov et Philippe Boudeïkine. Son nom provient d’une croyance selon laquelle les baleines qui s’échouent sur les plages seraient suicidaires. Mais, dans les faits, la morbidité du défi semble bien réelle : imposer durant cinquante jours cinquante défis, allant de l’automutilation au suicide. Et si la mort était devenue l’ultime buzz de la génération connectée ?
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« Le but ultime ? Prouver qu’on est capable de se donner la mort. »
[#BlueWhaleChallenge] Aucun défi ne mérite de risquer sa vie!
Jeux dangereux : en parler c'est déjà lutter.#Appel17 https://t.co/Ze1yv959CU pic.twitter.com/i2Pux5EMMe— Police nationale (@PoliceNationale) March 29, 2017
« L’adolescent accepte de relever un défi en 50 étapes. Plus il avance, plus les défis sont dangereux et plus cela prouve qu’il n’a pas peur de la mort. Le défi du cinquantième jour est de se jeter d’un toit ou sous un train« , décrit Justine Atlan, présidente de l’association de prévention des enfants sur internet (e-Enfance). Spirale de la mort adaptée à la mode virale du challenge – démocratisée sur les espaces de discussion et les plateformes de vidéos – ce phénomène exploite la fascination des adolescents pour l’autodestruction. Dictés par un « tuteur » ou « parrain », les défis tourneraient tous autour du même imaginaire macabre : se mutiler les lèvres, cesser de communiquer, se frapper au visage, se scarifier bras et jambes, s’inscrire —au sang — une baleine sur une partie du corps… Et faire en sorte que les preuves en images apparaissent sur la toile, marquées d’un hashtag #bluewhalechallenge.
Alors que la baleine semble s’échouer sur les plages hexagonales, la Gendarmerie Nationale fait déjà dans la prévention sur son site officiel. « Aucun défi ne mérite de risquer sa vie ! Jeux dangereux : en parler c’est déjà lutter« , peut-on lire. Un avertissement nécessaire. Car à en croire la présidente d’e-Enfance, le cétacé assassin aurait déjà fait des victimes.
« En février, deux jeunes filles de 15 et 16 ans se sont jetées ensemble du toit d’un immeuble en Russie. Une autre de 14 ans s’est jetée sous un train et, en Sibérie, une adolescente de 13 ans a été retrouvée grièvement blessée après avoir sauté du cinquième étage. C’est un défi comme les adolescents s’en lancent beaucoup entre eux. Mais le but ultime de celui-là est de prouver qu’on est capable de se donner la mort. »
« Une centaine d’alertes en un mois »
dan 50 jour jexiste plu :> #bluewhalechallenge pic.twitter.com/AMqA7Y93Ox
— . (@MehmetKubilayAl) March 12, 2017
« Cela fait un mois que nous avons été saisis de manière soudaine par ce phénomène. Nous avons eu plus d’une centaine d’alertes, » poursuit-elle. Il y a quelques jours, France 3 Régions nous apprenait le signalement de plusieurs cas à Saint-Omer, dont deux collégiennes ayant « atteint les niveaux 25 et 45 » et une mineure de centre d’accueil, « sauvée in extremis alors qu’elle avait atteint le dernier défi et tentait de se pendre« . Des extrêmes non pas atteints — ou pas seulement — par goût du risque, effet de bande ou désir suicidaire. Car sur le papier, le blue whale challenge est avant tout un pur exercice de manipulation de l’esprit, s’appuyant sur une relation de domination entre les défiés et les « parrains » — ces mentors qui les mènent à la baguette.
Le premier parrain de l’histoire du défi, Philippe Boudeikeine, est un garçon de vingt-deux ans. En novembre 2016, il est arrêté par la police pour incitation au suicide. Il aurait poussé à la mort pas moins de quinze adolescents via le réseau social russe. Interrogé avant son arrestation, il déclare le plus simplement du monde « [avoir] expliqué à certaines personnes pourquoi il valait mieux mourir. Rien de plus. Ce sont eux qui ont pris la décision, personne ne les a forcés« . Son profil en dit long sur les tenants et aboutissants du blue whale challenge : il est étudiant en psychologie. Comme le précise France 3 Régions, ce sont les « parrains » comme lui, anonymes et omniprésents sur VKontacte, qui seraient les véritables maîtres du jeu :
« [Ils] donnent les instructions au jour le jour, en menaçant de venir tuer les participants s’ils n’obéissent pas […] il suffit de taper ‘Blue Whale’ pour tomber sur des dizaines de prétendants […] nous sommes tombés sur l’annonce d’un homme, qui prétend faire partie des ‘tuteurs’. Après nous avoir demandé notre âge, notre sexe et notre lieu d’habitation (ce à quoi nous avons répondu ‘fille, 17 ans, France’), il nous a répondu qu’il pouvait nous guider dans le jeu à condition d’envoyer une photo et des vidéos de nous. »
La chasse à la « baleine bleue » se poursuit
Forget about the #bluewhalechallenge – #BlueWhalegame … welcome to the #pinkwhalechallenge Tous contre le #bluewhalechallenge pic.twitter.com/pRcM3yJBGj
— PinkWhaleChallenge (@PinkWhaleGame) March 30, 2017
En quelques semaines, la baleine bleue a investi l’océan des réseaux socio-numériques. En exploitant les pulsions de mort des « prétendants« , elle prend la suite d’une multitude de défis viraux. A l’image de la « Neknomination », épreuve consistant à ingurgiter face-caméra le plus d’alcool possible, jusqu’à l’évanouissement parfois. Sa dangerosité nous renvoie au sulfureux fire challenge, « jeu idiot » fétiche des étudiants américains en mal de sensations fortes. Le principe est simple : s’asperger de substances inflammables puis y mettre le feu. Enfin, le désir de se couper du monde n’est pas sans évoquer le jeu des soixante-douze heures. Disparaître pendant un, deux ou trois jours d’affilée sans prévenir son entourage, voilà pour le buzz.
Plus qu’une mode 2.0., le principe du blue whale challenge banalise le cyber-harcèlement. Jusqu’à la pousser vers ses derniers retranchements. Comme l’écrit le psychiatre Frédéric Kochman, « On estime que 10% des jeunes au collège sont victimes de harcèlement […] Les réseaux sociaux sont une puissance caisse de résonance chez les jeunes [avec] ces messages du genre : ‘Tu n’as qu’à te suicider, bon débarras !’ L’adolescent vit une humiliation collective, absolue, et il veut mourir.« . Mais ces dernières semaines, les internautes bienveillants ont décidé de renverser cette normalisation du suicide. A la place, ils proposent le Pink Whale Challenge. Un challenge inversé : le conseil constructif remplace l’autodestruction. De ci de là, les twittos se mettent au défi de manger vegan, de retrouver le plaisir d’offrir et de profiter de la vie au quotidien. Le mot d’ordre, « soyez heureux« , est une proposition. Ni un ordre, ni une menace.
Mais la contre-attaque est plus symbolique qu’autre chose. Face aux situations alarmantes, mieux vaut privilégier le numéro vert, permettant de témoigner du harcèlement sur internet, de façon gratuite et confidentielle (0800 200 000 ou educnat@netecoute.fr). Le ministère de l’éducation nationale, de son côté, en appelle à une réprimande immédiate :
« Tous les membres de la communauté éducative doivent adopter la plus grande vigilance face à ce jeu qui peut attirer des jeunes vulnérables, en pleine construction de leur identité, face à la pression du groupe. Il faut rappeler qu’en plus d’une prise en charge du mal-être du jeune par son entourage, ce challenge morbide relève de la provocation au suicide et de ce fait est pénalement réprimé (5 ans de prison et 75 000 euros d’amende). »
#Rediff Internet se mobilise contre «Blue Whale Challenge», le jeu qui pousse les ados au suicide https://t.co/oOImB19NaX pic.twitter.com/Ts4XSnj3QU
— 20 Minutes (@20Minutes) March 15, 2017
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