Marc Roger se décrit lui même comme « l’un des plus grands agents français » du football des années 1990. Retraité de la profession, il sort « Transferts », livre croustillant d’anecdotes autour des transferts de quelques uns des plus grands footballeurs français. Attention ça brûle.
« J’ai décidé d’appeler un journaliste de La Gazzetta dello Sport en lui disant qu’il pouvait rapporter mes propos comme s’ils étaient de la bouche de Nicolas Anelka, puisqu’il était d’accord pour que je prenne la parole en son nom. J’ai alors massacré la Juventus publiquement : ‘Je n’irai jamais dans ce club de vieillards. Je préfère arrêter le football que de jouer à la Juventus.’ J’en ai remis une couche dans une autre quotidien sportif italien, Tuttosport, qui a vraiment cru parler au joueur lorsqu’ils m’ont eu au téléphone. »
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Quelques pages plus loin : « En 1995, 1996, Nantes parvient en demi-finale de la Ligue des Champions. Une marche sur laquelle il trébuche devant la Juventus de Deschamps (0-2, 3-2). Je me souviens de la nuit précédant le match aller à Turin, le 3 avril. Il était une heure du matin et je prenais un verre au bar de l’hôtel Palace avant d’aller me coucher. Soudain, j’aperçois une magnifique brune qui entre dans l’hôtel et se dirige vers l’ascenseur. Je demande au serveur avec qui j’avais sympathisé: “Qui est cette fille?” ”C’est la call-girl qui vient détendre l’arbitrage du match de demain” »
Ces anecdotes ne constituent qu’une infime partie de cet hallucinant florilège publié par l’ancien agent Marc Roger dans son livre Transferts. Entre les années 1990 et 2000, celles de la libéralisation de football et de l’arrêt Bosman, les plus grands joueurs français sont ainsi passés par l’écurie Roger. L’homme d’affaires dévoile les dessous des transactions concernant Patrick Vieira, Nicolas Anelka, Sylvain Wiltord, ou encore Thierry Henry. Un monde opaque, aux pratiques surréalistes, parfois à la limite de la légalité. Une chose est claire, après la lecture, vous ne verrez plus le football du même oeil.
A la lecture de votre livre, deux avis surgissent. Qu’il s’agit d’un livre passionnant, tant on apprend sur les méthodes qui ont entouré le monde du foot dans les années 1990 ; mais des méthodes qui se révèlent effrayantes en fin de compte. Vous ne trouvez pas ?
Marc Roger – Vous faites référence aux interviews que j’ai données sous le nom de Nicolas Anelka à la presse italienne. Il n’aimait pas trop parler aux médias…
Entre autres. Il y a aussi l’histoire du départ de Claude Makelele du Celta Vigo. Vous allez jusqu’à organiser de faux jets de bananes pour accélérer son transfert…
C’est vrai qu’on a pu en rajouter un petit peu pour que le transfert puisse se réaliser. Je dirais que nos pratiques restaient « gentilles » par rapport à d’autres milieux comme ceux de la finance, de la politique ou de l’immobilier.
Certains lecteurs n’avaient probablement pas une telle vision du football et de ses us et coutumes…
Les gens ne sont pas tous exemplaires. Si vous prenez un fonctionnaire de base, c’est sûr qu’il pourrait être choqué à la lecture du livre. Si vous prenez quelqu’un qui travaille dans un autre secteur d’activité, il se peut qu’il ne soit pas du tout surpris. Dans le football, on à affaire à des présidents qui ont souvent réussi dans leur branche, qui sont difficiles en négociation. Certains font aussi de la politique et, pour leur intérêt électoral, ne doivent pas affaiblir leur effectif pour ne pas perdre de futurs votes. Bon, c’est vrai que parfois, on a frôlé la ligne jaune.
Avez-vous conscience que ça peut être dérangeant de lire certaines de ces pratiques ?
Ca peut déranger, mais bon. On explique aussi comment et pourquoi ce genre d’événement peut arriver. J’ai fait plus de 200 transferts en quinze ans dans le football. Ce n’est que dans de rares cas, une dizaine tout au plus, qu’il a fallu « forcer » les négociations pour qu’elles aboutissent et que les joueurs soient satisfaits. C’est ce qui importe, la satisfaction de notre client.
A propos des joueurs, on se rend compte en lisant les différentes histoires que l’amour du maillot est quelque chose de totalement factice voire illusoire…
Tout le monde le sait. Il est rare de voir un joueur passer toute sa carrière dans le même club. Il y a un intérêt de chaque côté dans chaque transfert : les clubs en vivent et le joueur cherche constamment à progresser, à gagner des titres.
Mais certains joueurs clament cet amour du maillot pourtant. Je pense notamment à Patrick Vieira pour Arsenal, qui n’hésite pourtant pas, dès 2001, à aller au clash avec son club pour rejoindre le Real Madrid…
Vous dites qu’il a voulu aller au clash… Mais il n’est jamais allé jusque là. Patrick avait la volonté de rejoindre le Real Madrid de Zidane, Figo, etc. La meilleur équipe du monde. Il était intéressé mais sans jamais aller au clash. Arsenal décide de le retenir. Finalement il prolonge son contrat à Londres et compte terminer sa carrière là-bas. C’est l’inverse qui s’est passé. Après quelques années, en 2005, le club lui a fait comprendre qu’il fallait aller voir ailleurs pour laisser la place libre à l’Espagnol Fabregas.
Le supporter qui n’est pas au courant de tout ce qui se trame derrière les transferts peut vite perdre ses illusions…
Il y aussi des supporters qui mettent la pression sur les joueurs dans certains clubs. J’ai vu des pneus enflammés arriver sur les voitures de certains joueurs. J’ai vu des joueurs insultés, être menacés physiquement.
Comme qui par exemple ?
Je me souviens d’un début de saison au FC Nantes, en 1993. Après un mauvais début de championnat du club, j’avais dû quitter le stade de La Beaujoire à Nantes, avec Nicolas Ouédec [attaquant du FC Nantes, ndlr], escorté par des CRS !
En prologue vous écrivez : « A l’époque, la profession d’agent était bien moins encadrée qu’elle ne l’est aujourd’hui. La réglementation a tué ce métier ». C’est quand même paradoxal de lire une phrase pareille, vous ne trouvez-pas ?
C’est paradoxal si vous le voulez. Mais peut-être qu’il n’y a pas eu une bonne réglementation, faite par des gens qui n’étaient pas au courant de ce qu’était la profession d’agent. Nous étions seulement une quinzaine d’agents au début des années 1990. Aujourd’hui entre les agents licenciés, les salariés des sociétés d’agents et l’entourage des joueurs, ils doivent être 1 000 en France. Quasiment autant que de joueurs professionnels !
Quel regard portez-vous sur le métier d’agent aujourd’hui, dominés par des « super stars » comme Jorge Mendes ou Jean-Pierre Bernès – à la fois agent du sélectionneur de l’équipe de France et de plusieurs internationaux français ?
Comme dans d’autres métiers, on ne parle pas encore de « monopole » mais ça y ressemble fortement. Jorge Mendes est quelqu’un de très compétent. Il a eu beaucoup de chance à une certaine époque, c’est désormais l’agent numéro 1. Après, Bernès, il s’occupe aussi d’entraîneurs mais, vous savez, ils ne sont pas si facilement influençables… Il ne forcera jamais la main de Didier Deschamps ou Laurent Blanc. Je ne vois pas de possibles conflits d’intérêts. Les entraîneurs sont ds grands garçons, vous ne leur forcez pes la main. S’ils ne veulent pas d’un joueur, ce n’est pas leur agent qui changera ça.
Avez-vous eu des problèmes de diffamation à cause de ce livre ?
Non, il y a eu une relecture juridique importante. Certaines choses ont donc été supprimées.
Votre livre est riche en anecdotes mais on sent que vous n’avez lâché qu’un petit morceau de l’histoire, qu’il y en a beaucoup derrière…
J’ai de quoi écrire un deuxième voire un troisième livre ! Mais par respect pour les joueurs, pour le football et pour les dirigeants, on ne peut pas tout dire.
Vous n’évoquez jamais le rôle que peuvent jouer les journalistes sportifs dans certains transferts ?
Ils peuvent jouer un rôle très important. Avoir des relations avec la presse sportive peut effectivement permettre, grâce à un petit article, de mettre un peu de pression et jouer la surenchère, ça va apporter de la concurrence.
Vous avez un joueur en tête ?
Il suffit de regarder Nicolas Anelka. Il y avait un accord entre la Juventus de Turin et Arsenal pour son transfert. La presse a joué un rôle très important. Elle nous a permis de dire des choses un petit peu méchantes sur la Juventus et quand le club a vu cet article, elle a retiré son offre et a prévenu Arsenal qu’elle ne voulait pas d’un joueur qui l’avait insulté dans la presse.
Anelka n’est-il pas le joueur le plus compliqué que vous avez dû gérer ?
Non, c’est un homme de parole. Et quand il prend une décision, il sait s’y tenir. Pour lui, oui c’est oui et non c’est non. Il n’est pas influençable. Nicolas était au contraire l’un des plus faciles à gérer même s’il y a eu un transfert qui a duré, entre Arsenal et le Real Madrid. En face, il y avait le club londonien géré par David Dean, un homme très compétent et très rusé. Chacun défendait ses intérêts, ça a donc duré.
Quel est le joueur dont la carrière a été la plus difficile à gérer ?
Les transferts les plus compliqués ont été ceux de Claude Makelele. Les clubs où il évoluait ne voulaient jamais le laisser partir.
On sent aussi à travers le libre à quel point vous avez pu être happé par ce métier, bien qu’il vous passionnait. Vous avez connu la prison…
Oui, même si ce n’est pas pour mes activités d’agent mais lorsque j’ai repris le club du Servette de Genève. J’ai arrêté le métier d’agent en 2004 car justement je me sentais épuisé. J’avais trop de joueurs et surtout, je voulais voir ma famille. Agent, si vous voulez faire ce métier à 100%, il faut être célibataire. Vous côtoyez les joueurs durant la semaine, ça peut vous mener partout dans le monde depuis l’arrêt Bosman. Et le week-end, il y a les matchs ! Vous ne rentrez jamais chez vous si vous faites le job comme il faut. C’est un métier épuisant, on ne peut pas durer plus de quinze ans au sommet.
Vous gardez un œil sur ce qui se fait aujourd’hui en matière de transfert ?
Oui, régulièrement.
Que pensez-vous de la TPO, que la Fifa essaye de supprimer ?
C’est surtout pratiqué au Portugal et en Espagne. C’est une autre forme de financement pour les clubs. Nous sommes en 2015, nous vivons à une époque de mondialisation financière et je pense que les clubs français ont tort de se priver de ce mode de financement. C’est quoi la TPO ? Un organisme bancaire qui investit sur les joueurs. Ces sociétés existent, ont pignon sur rue, elles ne sont pas dans la nature.
Mais imaginez une société à laquelle un club vend une partie des droits d’un de ses joueurs. Si cette société possède dans son portefeuille, une partie des droits d’un joueur d’une autre équipe et que ces deux équipes viennent à se rencontrer. N’y a-t-il pas un problème de conflit d’intérêts ?
Non, on voit bien des sponsors maillots qui s’occupent de plusieurs clubs, ce n’est pas pour autant que les joueurs vont être influencés. Les joueurs ont avant tout envie de gagner les matchs et je ne vois pas pourquoi on leur forcerait la main pour que ce soit différent. Après, comme partout, il existe des gens malhonnêtes, plus faibles que d’autres, plus influençables aussi… Il ne faut pas voir le mal de partout. C’est dommage car ça permettrait aux clubs français de recruter de meilleurs joueurs et de minimiser les risques sur investissement.
Comment interpréter dans ce cas, la volonté de la Fifa d’interdire cette pratique ?
La Fifa n’est qu’une association. Je ne vois pas comment elle pourrait se permettre de se substituer aux lois européennes. La libre circulation des êtres humains et des capitaux est un fait. Je souhaite bien du courage à la Fifa, le jour où elle voudra vraiment interdire cette pratique. Je ne crois pas qu’elle arrivera à gagner ce bras de fer face à la cour de justice de l’Union européenne. Ce n’est pas la Fifa qui décide. Elle ne peut pas créer de lois, ce n’est qu’une association. Elle organise des compétitions oui, mais rien de plus.
Elle peut sanctionner celui qui ne respecte pas son règlement…
Ca fera comme pour l’arrêt Bosman. La Fifa n’en voulait pas et a été obligée d’accepter et de se plier au jugement.
Le transfert d’Anthony Martial à Manchester United pour 80 millions d’euros a beaucoup fait parler dans la presse. Outre la question de l’investissement, ne trouvez-vous pas que les sommes atteintes aujourd’hui dépassent l’entendement ?
Il y a eu une grosse évolution financière ces dernières années. Zinedine Zidane a arrêté sa carrière en 2006 [transféré en 2001 de la Juventus de Turin au Real Madrid pour 75 millions d’euros, ndlr]. Neuf ans après, on observe des transferts beaucoup plus élevés pour de très jeunes joueurs. C’est dû aux moyens et à la puissance financière des clubs anglais. Leurs droits TV sont incomparables avec ceux du reste de l’Europe. De plus, le plus petit club de Premier League a un budget équivalent ou supérieur à celui de l’Olympique Lyonnais ou de l’Olympique de Marseille [autour de 120M d’euros, ndlr]. Leur situation économique est bien meilleure que la nôtre.
Propos recueillis par Julien Rebucci
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