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Un cocktail guindé, un type à moustache et une Tilda Swinton lascive : suite de notre récit de la Fashion Week nocturne.
Trois jours et déjà les traits tirés. À l’orée de cette nouvelle salve de soirées, celles du week-end, voilà que commençaient déjà à poindre les questions fatidiques. Qui sont ces gens ? Quels sont leurs réseaux ? Pourquoi s’infligent-ils ça ? En ce vendredi 1er mars, parmi les quelques recoins miteux à explorer – ça va, on déconne –, il y avait donc un cocktail sacrément guindé chez Colette qui avait prêté sa boutique pour l’occasion à Christian Dior pour une fête post défilé. Tout le monde était bien habillé, sans trop d’extravagance. Tout le monde avait dégainé son meilleur sourire, le fameux, le Colgate.
Dans la série « la crise ne passera pas par eux » – deuxième édition – c’était cette fois-ci Tom Ford qui inaugurait une nouvelle boutique, du côté de la rue Saint-Honoré là aussi. On y aura vu des paparazzis plantés à l’entrée et une meuf se plaignant de racisme pour Dieu sait quelle raison, mais la vérité, c’est que la Fashion Week s’était externalisée malgré elle dans des coins mal famés, délaissant les lumières du 8e arrondissement pour les faubourgs crades du nord de Paris. Le temps d’une nuit, c’est à la Villette qu’il fallait être. Ed Banger, le label de ce bon vieux Pedro Winter fêtait ses dix ans. Alors d’accord, le fashionista mettait un peu sa vie en jeu sur ce coup et encourait le risque de devoir se mélanger à la plèbe. Mais avec un line-up franchement impressionnant (Justice, SebastiAn, Kavinsky, Brodinski, Para One, etc.), ça valait le coup d’envoyer les cartons d’invitation et autres open-bars au diable pour se manger une dose de musique un peu honnête dans la gueule.
« Il est parti d’Artagnan ? »
Environ 24 heures plus tard, sur les coups de minuit, voilà qu’on était plantés à l’Entracte, un bar faussement bon genre juste en face de l’Opéra Garnier. Un jeune à moustache accoudé au bar avec une jeune fille plus très en fleur riait fort en buvant du vin blanc, débitant des énormités sur le sens de la vie et le prix du verre. Quand ils s’en allèrent, un barman taquin lâcha à son collègue « C’est bon, il est parti d’Artagnan ? »
D’Artagnan s’en était effectivement allé, mais pas pour aller très loin, juste en face en fait, à l’Opéra Garnier. Depuis quelques semaines, le vieil et majestueux Opéra tente de se donner une caution simple et funky. Après en avoir découvert les dessous dans le dernier Donzelli, on peut désormais en explorer l’aile ouest, entièrement retapée selon les standards contemporains et transformée en club propret tous les vendredi et samedi soir. Samedi soir donc, Colette – elle est décidément de tous les combats celle-ci – organisait sa grande soirée de la semaine, sa « The Sound of the Season ». Pour la quinzième fois en quatre jours, on allait y croiser les mêmes têtes, les mêmes stylistes, les mêmes photographes, les mêmes wannabe top-model et comme à chaque fois, la soirée comptait son sosie de Jean-Michel Basquiat – il se dandinait cette fois devant les platinistes de Scratch Massive.
« 15 euros la vodka-redbull, mes couilles quoi »
La sauterie avait beau se dérouler dans un cadre designé de manière assez exceptionnelle – il faut absolument voir ce lavabo multifonction, une perle de technologie –, l’humeur semblait à la complainte. Probablement touchés par la fatigue s’accumulant jour après jour, il y avait ceux jouant leur partition sur le mode « Je suis trop déçu, je pensais que c’était vraiment dans l’Opéra, avec les sièges et tout » – ben voyons – et les éternels pique-assiettes, jamais vraiment contents de rien, soliloquant sur un air de « Putain, ils se foutent de la gueule du monde Colette, c’est même pas open-bar, 15 euros la vodka-redbull, mes couilles quoi. » Les pauvres.
À peine remis, il a fallu encore enchaîner. Franchement, mais qui s’aventurerait à sortir tard un dimanche soir, ce terrible moment où l’on n’a qu’une envie, celle de se cacher sous sa couette pour se protéger fébrilement de début de la semaine qui pointe ? Alors ? Qui ? La fashion, évidemment, la mode qui vit dans une autre dimension, avec un calendrier où le lundi n’existe pas. Ainsi, dimanche, à la nuit tombée, alors que les rue de Paris ressemblaient tristement à un no-man’s land, ça frétillait tout chaud à l’entrée de la Gaîté Lyrique pour la soirée organisée par la marque Diesel. Des dizaines de mètres de queue, des talons hyper aiguillés, de la fourrure, des gays moustachus habillés comme pour une block party à Grigny – le caillera serait-il tendance ? – des accents italiens balançant du « Amore, Amore » aux vigiles. Et nous. C’est là que nous l’avons rencontrée. Petite, bien coiffée, l’œil bleu qui flashe. Elle est styliste. Et ce soir-là, elle en avait gros sur le cœur. Extraits : « Je n’en peux plus de cette Fashion Week. D’habitude, je m’incruste dans les voitures des rédactrices de mode, mais là, j’ai dû tout faire à pied, je cours partout. Résultat, je n’ai même plus la force de mettre mes talons. » Oui, la demoiselle n’a pas de chance, pendant la semaine des défilés, elle doit se taper tout un tas de shootings off-podiums. Comme celui qu’elle a fait il y a quelques jours pour une crème épilatoire. Vous avez dit Fashion Week ?
Pour cette soirée, Diesel avait préalablement pris soin d’annoncer la venue de Kanye West et Kim Kardashian. Nous, nous, sommes tombés sur l’incroyable Baloji, rappeur belgo-congolais toutes flammes dehors. Si l’on imagine volontiers que personne ne connaissait le bonhomme, jadis lascar du combo hip-hop Starflam, cela n’a empêché personne d’apprécier le moment. Et peu importe Kanye et Kim. Le temps d’un concert, l’artiste a bien fait guincher les foules. Sur des airs de rumba de Kinshasa, bien calés sur la basse d’un guitariste aux rondeurs toutes kinoises, ça s’est déhanché, coupant et décalant les pas jusqu’à transpirer à grosses gouttes. Baloji sautait, swinguait, moulinait des bras et du micro et lâchait des « lala » à tout-va, du lingala bisyllabique pour évoquer l’amour et le sexe. Et sur les balustrades, la très guindée Suzy Menkes, vieille plume modeuse du New York Times, tentait quelques mouvement caliente du bassin, ni vu ni connu.
Plus douée à l’heure de se faire lascive, l’ondulante Tilda Swinton, elle, s’ambiançait dans une valse totale avec ses acolytes du soir. Un délire bon enfant, sans calcul, sans pimbêches se matant en chiennes de faïence. Pour une fois.
Raphaël Malkin et Loïc H. Rechi
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