Il n’a pas 25 ans et vient de remplir le Trianon quatre fois de suite en trois jours. Rencontre et interview avec Fary, l’humoriste qui veut incarner la nouvelle tendance de l’humour français.
La sono crache un morceau de musique classique. Le rideau s’ouvre pour présenter Fary, planté sur un mini-segway lumineux, les jambes moulées dans un pantalon qui hésite entre le slim et le sarouel. Pour la première de ses quatre représentations au Trianon, le jeune humoriste de 24 ans débarque les yeux rivés sur son smartphone, comme si le public n’existait pas. Ils sont pourtant plus d’un millier à s’être entassés dans l’élégant vertige de la salle du 18ème. Après avoir rempli le théâtre du Chatelêt en mars, Fary Lopes a décidé de passer l’intégralité de son week-end de l’ascension sur scène. Quatre performances alignées en trois jours (il jouera deux fois ce samedi) et un savant mélange de distance et de proximité pour mieux déstabiliser des spectateurs qu’il n’hésite pas à taquiner : « Quand j’arrive sur scène pour jouer, c’est comme si j’avais un date avec le public ». Une heure et demie plus tard, le Trianon repart conquis.
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Dans sa loge spacieuse où il nous accueille le lendemain, Fary laisse traîner son attention entre le piano, le baby-foot, la terrasse ensoleillée et les souvenirs des improvisations de la veille : « Certaines seront peut-être gardées dans le spectacle ». On a réussi à l’arrêter pendant plus d’une heure pour discuter des mecs et des filles qui l’impressionnent dans l’humour contemporain, de la puissance émotionnelle du morceau d’ouverture du dernier album de Kanye West et de ce jour de 2010 où il s’est injustement fait défoncer sur le plateau de Laurent Ruquier. Belle occasion, également, de souligner les différentes fonctions d’un spectacle qui révèle plusieurs niveaux de lecture.
C’est la première fois que tu viens au Trianon ?
Fary – Pour jouer ? Ouais. J’étais déjà venu en tant que spectateur pour assister aux vingt premières minutes du spectacle de Nawell Madani. J’ai aussi vu le spectacle de Jérémy Ferrari ici, en début d’année. Je vais très peu en concerts donc je n’ai pas eu l’occasion d’en voir dans cette salle. Si je te raconte les quelques concerts que j’ai vu dans ma vie tu vas halluciner !
Vas-y balance.
Je commence par le pire… C’était Tokio Hotel, j’accompagnais ma cousine et c’était pas nul en plus. C’était à Bercy. Le concert n’était pas inintéressant car ce sont quand même de vrais artistes même si on peut avoir des réserves sur tout ce qu’ils incarnaient à l’époque. Sinon j’ai vu Chris Brown avec ma nana de l’époque. Et puis je suis allé voir Watch the throne de Jay Z et Kanye West : incroyable ! J’étais là quand ils ont joué Niggas in Paris onze fois de suite ! Ah et j’ai vu Monsieur Nov aussi à l’Olympia. Je suis fan de ce qu’il fait, j’ai tous ses albums sur mon Deezer. Quand tu l’entends chanter, tu te dis que la vie est injuste.
Tu utilises le morceau Niggas in Paris dans le spectacle d’ailleurs et jeudi soir tu as terminé sur Ultra Light Beam qui ouvre le dernier album de Kanye.
Ouais, je ne l’ai jamais vu en concert tout seul. Mais ce qui était cool dans Watch the throne, c’est que les mecs avaient des parties individuelles. Je ne suis pas particulièrement fan de Jay Z, c’est même plutôt l’effet inverse… Kanye West était déjà une grosse icône à l’époque mais il a encore pris une autre dimension aujourd’hui et l’ambiance autour de lui est peut-être devenue un peu trop fanatique. Ultra Light Beam : je le trouve formidable ce morceau. Je crois que je n’avais jamais acheté d’album de ma vie ou alors il y a très longtemps. J’ai regardé la vidéo du défilé dans lequel il a dévoilé son dernier album et j’ai halluciné sur la musique. J’ai fini par la laisser tourner sur mon téléphone et je me suis endormi avec. Ce disque, on dirait une seule musique qui change et qui subit des variations. Pour la première fois depuis des années j’ai voulu acheter un album. Je me suis inscrit sur Tidal alors que comme je te le disais tout à l’heure, Jay Z c’est pas mon pote. (rires)
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Si on remonte le temps de quelques années, je crois que tu viens de Saint-Maur et que tu habites toujours là-bas d’ailleurs ?
Saint-Maur-des-Fossés ouais, j’ai toujours vécu dans cette ville. J’ai appris à faire du vélo sur le parvis qui est toujours en face de chez moi. Jusqu’à deux ans j’étais à Saint-Maurice je crois, et après j’ai tout fait là-bas, de la crèche au lycée. J’y habite toujours mais plus pour longtemps je crois.
Tu comptes t’installer à Paris ?
Non ! On va aller dans une plus grande maison. Je dis « on » parce que j’habite toujours avec ma mère. Et j’espère lui offrir une plus grande cuisine (rires).
Pour mieux manger ?
Pour qu’elle puisse s’épanouir un peu plus. C’est le genre de personne qui adore accumuler les tupperwares, les ustensiles… J’ai été obligé de tout jeter récemment ! (après un long silence) C’est important pour moi de lui renvoyer l’ascenseur. Ce n’est pas un truc que je luis dois mais pour le coup c’est la famille. Elle m’a toujours soutenu, toujours poussé. C’est ma première supportrice et partir aujourd’hui en la laissant là-bas ce serait un peu injuste. J’aimerais pouvoir lui offrir ce qu’elle est venue chercher en Europe grâce à ma réussite. Ce serait super. Sans oublier qu’être avec sa maman c’est toujours un confort : elle est toujours prévenante, à faire attention que tout aille bien. Je pense que quand tu pars pour de bon, ce sont des petites attentions que tu ne retrouves que de manière périodique. Donc autant en profiter le plus longtemps possible.
Elle était présente hier soir pour la première du spectacle au Trianon?
Non mais elle vient samedi je crois. Elle a l’habitude, il y a évidemment des passages qu’elle préfère : ceux où je parle de mon petit frère par exemple car ça la touche de plus près ou bien quand je raconte qu’on me prend pour un Arabe. Mais rien ne la choque. Ma famille vient tout le temps, ils connaissent le spectacle presque par coeur. Mon père sera là demain, mes cousins sont là tout le temps.
Parmi les personnes qui ont été importantes dans ta carrière, il y a ta prof d’histoire qui t’a repéré avant de t’aider à écrire ton premier spectacle quand tu étais plus jeune. Mais depuis les dernières années, quelles sont les rencontres qui ont compté pour toi ? Un mec comme Kader Aoun a été déterminant j’imagine…
J’allais te dire : « Devine ». Et tu as deviné… Ouais c’était mon grand rêve de rencontrer Kader. Un mec qui est dans le foot a forcément envie de rencontrer Zidane. Pour moi c’était Kader Aoun. Pendant un an, quand je voyais son nom qui s’affichait sur mon téléphone quand il m’appelait, je n’en croyais pas mes yeux. Je me disais : « Putain, Kader Aoun… ». Quand tu commences ce métier tu connais forcément ce nom. Il a apporté tellement de choses à ce métier et puis quand on considère tout son background, toute son histoire… J’étais un grand fan de Jamel, il a choqué toute notre génération avec ses spectacles et avec H ou même Le cinéma de Jamel. Un jour, je regardais les bonus du spectacle de Jamel et on voyait Kader à un moment donné. J’ai demandé à mon grand frère qui était ce mec-là. Il me dit : « Lui, c’est le mec qui est derrière Jamel ». D’un seul coup, toute l’admiration que j’avais pour Jamel s’est un peu reportée sur Kader. Je suis fan des gens sages, cultivés. Je suis toujours attiré par ce genre de personnes, celles qui peuvent t’apporter et t’enrichir. Kader est vraiment ce genre de mec et tu le sens dès qu’il se met à parler.
Comment s’est opérée la connexion entre vous ?
C’était peut-être en 2013. J’étais dans un groupe qui s’appelait Adopte Un Comique qui était presque l’ancêtre du Woop : un collectif d’humoristes sur Internet avec Mister V et Hugo Tout Seul. Leurs vidéos cartonnent et ils vont partir pour une tournée des Zénith. Malcolm qui a eu l’idée originale du Woop était dans Adopte Un Comique avant d’ailleurs. Et c’est Kader qui nous avait tous réunis. On a commencé à travailler ensemble sur mon spectacle à peu près deux ans après.
Comment se déroule le travail d’écriture entre Kader, toi et Jason Brokerrs ?
Kader et Jason apportent des aiguillages et des solutions quand je suis bloqué. J’ai des idées, j’écris, je fais des tests. Et quand j’estime que c’est ok, on fait des retouches avec Jason et on revoit le fond avec Kader. Tout peut partir d’une conversation à trois aussi. Après on travaille les vannes avec Jason et Kader c’est le mec qui est toujours là pour dire « C’est pas ouf… » (rires). On modifie le truc jusqu’à ce que ça fonctionne. Kader valide mais il peut aussi détruire. C’est le dernier regard. Il a un rôle que l’on pourrait apparenter à celui d’un directeur d’écriture.
On a parlé de Mister V ou de Hugo Tout Seul, des mecs qui cartonnent sur Internet. Contrairement à d’autres artistes de ta génération, tu n’as jamais eu cette ambition de miser sur le web. Tu es directement passé par la télévision, avec cet épisode surréaliste dans On ne demande qu’à en rire, une ancienne émission de Laurent Ruquier.
Les vidéos du Woop me font vraiment rire. Ils ont du talent mais c’est quelque chose que je ne me vois pas faire. Après, tout ce que font des mecs comme Norman, je trouve ça très bien mais je pense que j’en suis incapable. C’est quelque chose qui ne me ressemble pas, ni dans mes envies ni dans mon savoir faire.
Pour revenir sur On ne demande qu’à en rire, ce n’était pas forcément un choix. J’étais très jeune, je commençais à peine dans le milieu. Je ne connaissais personne et je n’appartenais à aucune famille d’humoristes. Cette opportunité s’est présentée et malheureusement, quand tu es jeune, tu veux tout très vite. La notoriété doit être la conséquence d’une démarche artistique. Avec On ne demande qu’à en rire, j’étais plutôt dans une optique contraire.
J’ai revu la séquence hier soir en préparant l’interview et je la trouve d’une rare violence. Comment as-tu encaissé une humiliation pareille (et ses relents nauséabonds) à seulement 18 ans ? Pour mémoire, une précédente émission avait été perturbée à cause de l’attitude d’un groupe de mecs dans le public. Jean Benguigui et Laurent Ruquier t’avaient alors accusé d’avoir ramené ces personnes dans le public au prétexte, semble-t-il, qu’ils étaient noirs… alors que tu ne les connaissais absolument pas.
Je suis resté meurtri pendant longtemps et puis c’est passé. La télé ça va très vite. Ruquier, que je défends plus que Bengugui sur ce coup, n’a pas tout compris à ce qu’il s’est passé. Car pour le coup ils ont tort, je n’avais pas mes amis dans le public. Sur le moment, tout s’enchaîne, je pense que Jean Benguigui se sent agressé à tort ou à raison d’ailleurs. Tout part d’un gros malentendu. Aujourd’hui je vois cet incident avec beaucoup de recul et de pacifisme : « Non les gars, vous vous êtes trompés, ces personnes-là n’étaient pas mes potes. » Aujourd’hui encore, je ne suis personne par rapport à ces gens-là pour me permettre de leur dire quoi penser. J’aurais juste aimé leur dire calmement de se calmer et de me laisser leur expliquer que ce n’est pas parce que les fauteurs de trouble étaient noirs qu’ils étaient mes amis.
Quelles étaient tes références dans l’humour quand tu étais plus jeune ?
J’étais un fou furieux d’Elie Kakou, je l’ai toujours aimé. Evidemment il y a Jamel mais j’étais un fou de Comédie. Il y a des sketches de cette génération qui m’ont vraiment marqué : quand Dany Boon faisait le fou ou bien Le cochon d’Inde de Bruno Salomone. J’ai très vite été passionné par Gaspard Proust ensuite, et puis Desproges bien-sûr. Les références américaines sont arrivées après. Chris Rock ! Pour moi, il est bouleversant ! Dernièrement, j’ai vu une de ses vidéos sur laquelle il a 21 ans. Il est tout jeune mais le niveau d’écriture, d’interprétation et de charisme est complètement dingue. Louis C.K. est très très fort aussi mais il a mis du temps à se construire, on peut voir son évolution. Quand tu vois Chris Rock très jeune tu comprends tout de suite le truc. C’est un peu pareil avec Bill Burr, une autre de mes références, qui a aussi réussi à trouver son ton immédiatement.
Je comprends de mieux en mieux l’anglais donc j’arrive à m’en sortir sans les sous-titres maintenant sauf pour Katt Williams. Je comprends rien sans les sous-titres mais j’adore ce genre de personnage un peu fou. Pour moi il a la meilleure scène d’entrée de l’histoire des spectacles : il rentre sur Hustlin’ de Rick Ross et il tient tout un sketch là-dessus. Il est incroyable ! Tu n’as pas le sentiment de rentrer dans un spectacle. Je vais pas te faire les vannes car je ne sais pas les faire, mais c’est vraiment impressionnant.
Toi tu rentres sur scène dans une toute autre ambiance sur de la musique classique. Tu ne regardes même pas le public d’ailleurs comme pour incarner le mec qui n’en a rien à foutre d’être là.
Ouais je rentre sur Flower Duet, un extrait de l’opéra Lakmé. C’est un délire qui remonte à l’époque où je jouais mon spectacle à Avignon. C’est un son que j’écoute beaucoup, j’adore cette musique. Un soir je me suis dit que ce serait marrant de se démarquer en rentrant sur quelque chose de plus apaisé. Tout le monde rentre genre : « Est-ce que vous êtes chauds, faites du bruit ! ». Moi je suis plutôt du style : « Prenons notre temps. ».
En dehors de ça, Avignon ça ne s’était pas forcément très bien passé car c’est un public peu expressif, il n’y a pas beaucoup de relief. Ils voient quatre ou cinq spectacles par jour donc il y a une forme de lassitude. Aujourd’hui, j’ai la chance d’avoir un public assez diversifié, que ce soit en termes d’âge ou d’origines. Les réactions sont donc plus variées, ça bouge plus. Pour un humoriste, il n’y a rien de pire que de ne pas entendre les rires dans sa salle. Avignon, c’était très silencieux, ça ne m’a pas trop plu.
Tu parles de la lassitude des spectateurs quand ils enchaînent plusieurs spectacles mais tu t’apprêtes à jouer quatre fois en trois jours, dont deux à la suite ce samedi. Comment tu gères la concentration dans ce cas ?
Je n’ai pas besoin de beaucoup de concentration. C’est un peu une phrase toute faite mais je vois vraiment ça comme une rencontre avec des gens. C’est comme quand je prends place à table avec quelqu’un. L’enjeu c’est de savoir si je vais réussir à intéresser les gens et voir si le courant va passer entre nous. Quand j’arrive sur scène pour jouer, c’est comme si j’avais un date avec le public. Pour samedi, ce qui change, c’est que je vais avoir deux dates dans la même soirée.
J’ai remarqué qu’il y a certains moments dans le spectacle où tu utilises beaucoup ta gestuelle pour souligner ce que tu racontes. A certains moments le geste devient même carrément une punchline à part entière. C’était important pour toi de passer par le mime ?
C’est un truc qui compte beaucoup pour moi et qui importe énormément à Kader Aoun aussi. Il dit souvent que dans le stand-up, la vanne peut parfois s’écrire sur le visage. C’est une performance de jouer le naturel. Mais c’est risqué car du coup l’effort devient invisible. Sur scène, je parle de la même façon que dans la vie de tous les jours alors que ce que je raconte, je l’ai déjà dit 150 fois. Pour mettre en valeur nos capacités de comédiens, on doit passer par des moments de jeu un peu plus insistants. Le mime est très important à ce niveau car les gens viennent voir un spectacle et il doit y avoir une dimension de performance. Le but c’est de prouver à certains moments que tout le monde ne peut pas monter sur scène et que ce n’est pas si facile.
Avec le succès il y a aussi le risque que des gens viennent te voir par rapport à certains sketches isolés et viralisés par ton passage au Jamel Comedy Club. Par exemple, quand tu as commencé celui sur l’iPhone jeudi, certaines personnes finissaient les phrases avant toi.
Je trouve ça très marrant. Au début ça m’angoissait et je ne voulais pas jouer mes meilleurs sketches au Comedy Club car je voulais continuer à les jouer normalement dans mes spectacles. Ensuite, on a commencé à mettre les gros sketches car je me suis rendu compte que c’était un coup de boost artistique, ça te pousse à écrire d’autres choses. Le but c’est de toujours faire mieux. Ca me fait rire quand j’entends les gens prononcer les vannes avant moi car ça me permet de me voir en tant que spectateur. Je suis passionné d’humour, de stand-up. Si je le pouvais, j’irais voir des spectacles tous les jours. Ca me le fait avec Lenny qui a l’habitude de faire mes premières parties, j’adore dire ses vannes en même temps que lui ou les anticiper.
https://www.youtube.com/watch?v=tAB6YM9xnt0
Pendant ta première partie il y avait aussi un mec impressionnant. Il s’appelle Haroun je crois et je l’ai découvert ce soir. Il sort d’où ?
Haroun c’est… (Long silence) C’est probablement le futur de l’humour en France. Si le stand-up se démocratise à fond et devient très populaire c’est clairement le futur. Ca fait longtemps qu’il fait ça, il était là avant moi. Pendant longtemps, il changeait la configuration de ses spectacles. Il n’avait pas de forme figée. Il a commencé à passer régulièrement sur la scène ouverte du Comedy Club et c’est rapidement devenu époustouflant. Tu dois connaître Blanche Gardin. Pour moi c’est l’équivalent masculin de Blanche Gardin, en moins sombre. Il épate un peu tout le monde en ce moment. Il va faire la saison 9 du Comedy Club et je l’ai pris sur cette première partie car je voulais que mon producteur le voit.
Pour revenir sur Blanche Gardin, elle me bouleverse. Pour moi, c’est de très loin ce qui se fait de mieux en matière de stand-up en France. Bon il y a peut-être Gaspard Proust aussi. Ils sont assez loin de mon univers car c’est vraiment très sombre ce qu’ils font. Mais quand j’ai vu le spectacle de Blanche, j’ai eu envie de rentrer chez moi pour écrire.
Tu n’hésites pas à importer des éléments de l’actualité dans le spectacle pour appuyer tes vannes. Je pense notamment au moment où tu parles de la jeune femme qui s’est dressée poing levé contre les néo-nazis en Suède. Quelle est la pat d’improvisation sur scène ?
Les néo-nazis ça fait un moment qu’on en parle avec Kader. D’ailleurs on n’a pas encore trouvé la bonne vanne ou le bon angle. C’est comme si j’avais une moitié de vanne donc sortir l’exemple de la photo permet de remettre le passage dans un contexte bien précis. Il faut éviter toutes les zones floues et donner des éléments de repères. C’est vrai qu’il y a eu des moments d’impro hier, certains seront peut-être gardés dans le spectacle d’ailleurs. Par exemple, le moment où je parle à Benzema pour l’encourager à commettre des faux-pas et que je rajoute : « T’inquiète pas, tu peux aller voir la prostituée, il y a Ribéry aussi ! »
Au moment où tu parlais de sexe de manière assez frontale, tu es aussi resté 5 ou 10 minutes sur Bill, un gamin de 11 ans assis dans les premiers rangs.
En général quand je repère un enfant, je m’arrête souvent à ce moment du spectacle. Quand je joue au Grand Point Virgule, j’essaie de repérer des enfants car c’est un passage un peu délicat du spectacle. Discuter de ça avec un gamin permet de désamorcer le truc. Hier je l’ai vu au dernier moment, il y a évidemment quelques vannes un peu tiroir que j’ai en stock mais je m’adapte aussi à ce que l’enfant répond.
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Tu as fait le Cours Florent. Ca t’a apporté quelque chose de particulier ?
C’est comme quand tu joues au foot en bas de chez toi et puis d’un coup on te met sur un vrai terrain. Après je m’attendais à voir des gens pour qui le besoin de jouer était vital. Des personnes qui ne se voyaient pas faire autre chose dans la vie. Finalement, il devait y avoir deux ou trois personnes dans ce cas. Le reste c’était surtout des gens qui avaient atterri là par hasard. Je voulais ressentir là-bas ce que je ressens avec Blanche Gardin. Des gens qui m’impressionnent et qui me donnent envie de me dépasser. Je n’avais que 19 ans à l’époque. J’étais inscrit à la fac en même temps, j’ai tenu six mois à La Sorbonne en théâtre. A part le cours de dramaturgie je n’ai pas trouvé le programme très intéressant. Du coup j’ai enchaîné avec six mois en langues étrangères mais j’ai dû y aller trois fois. L’un de mes plus grands rêves c’est de devenir polyglotte, je regrette un peu.
Tes parents sont du Cap-Vert, tu parles un peu portugais du coup ?
De plus en plus mal. (rires)
Tu es encore en contact avec ta prof d’Histoire qui t’a écrit ton premier spectacle et qui a cru en toi très tôt ?
Oui mais un peu moins qu’avant. D’abord parce qu’elle a ses projets et puis si l’humour était déjà ma vie, aujourd’hui c’est devenu mon métier. Ca prend beaucoup de mon temps. D’ailleurs elle n’a pas encore vu ce spectacle. On se voyait arriver à ce niveau ensemble et l’histoire s’est arrêtée avant, donc il y a peut-être aussi un détachement. J’espère qu’elle verra le spectacle un jour quand même.
Tu étais quel type d’ado au lycée ?
J’étais un peu marginal dans le sens où je pouvais aller dans plusieurs bandes. J’avais ma popularité mais personne ne me connaissait vraiment. Parfois je pouvais arriver en survêtement rose. J’ai d’ailleurs été convoqué à cause de ça. Ils considéraient que ce n’était pas une couleur adéquate pour venir en cours. J’ai voulu le remettre mais ma mère m’a dit : « Ne va pas t’attirer des problèmes ». Je n’ai jamais eu une bande de potes. Je fonctionnais plutôt en duo. Mais au lycée, j’avais déjà la tête dans l’humour et je traînais avec des gens qui étaient beaucoup plus vieux que moi. J’ai gardé beaucoup de très bons amis mais ils appartiennent tous à des groupes différents.
Il y a peu de mecs de 24 ans qui arrivent à tenir des salles de 1000 personnes. Comment tu expliques ta maturité dans cet exercice ?
Si il y a Kev’ Adams quand même (rires). Ahlala Kev… Plus sérieusement, je pense que ça vient de l’envie d’avoir les projecteurs braqués sur moi. Il n’y a pas d’endroit où je me sente plus à l’aise que sur scène. J’ai toujours été impressionné par la différence entre le Michael Jackson effacé et timide que l’on pouvait voir dans les interviews et le mec hyper sûr de lui et puissant qui débarquait sur scène. Quand je suis sur scène je me sens fort, qu’il y ait 50 personnes ou 3000 c’est pareil. D’ailleurs moins tu m’en mets, moins j’ai confiance en moi. Tout s’est fait progressivement dans mon début de carrière. J’ai franchi les étapes pas à pas et j’ai eu la chance d’avoir de bons guides.
Sur scène, tu te fous de la gueule des gens qui ont peur d’utiliser le mot noir et qui le remplacent par « black ». Mais ton spectacle s’intitule « Fary is the new black » et il me semble qu’il y avait aussi le mot « black » dans le précédent. C’est une diversion ou plutôt une manière de te conformer à l’air du temps ?
Plutôt la première solution. C’est surtout un jeu de mot sur la série Orange is the new black. C’est aussi un moyen d’insister sur la tendance et sur le futur. Avec des mecs comme Lenny Harvey ou Haroun que tu as pu voir en première partie, on espère incarner une nouvelle tendance dans l’humour, quelque chose de différent.
J’ai lu dans un entretien que tu disais que l’humour n’était pas apprécié à sa juste valeur dans le milieu culturel en France. Qu’est-ce que tu voulais dire par là ?
Quand les personnes m’arrêtent dans la rue, ils me disent souvent qu’ils aiment bien mes vidéos mais qu’ils ne s’intéressent pas à l’humour. Je trouve ça incroyable car tout le monde aime rire. J’ai l’impression qu’on a de moins en moins de visibilité en tant qu’humoristes. Si tu sors dans la rue et que tu demandes aux gens leur top 5, je ne suis pas certain que la plupart des personnes interrogées soit capable d’arriver à citer cinq artistes. Par rapport à ce qui peut se faire au Québec ou aux Etats-Unis, la différence est dingue. Un mec comme Bill Burr a des points de vue intéressant sur la vie, la société, la musique. Peut-être aussi que c’est parce qu’en France on ne raconte pas assez de choses intéressantes sur scène. Mais on va le faire, on va le faire !
Propos recueillis par Azzedine Fall
Fary se produit actuellement sur la scène du Grand Point-Virgule à guichets fermés. Il sera au Casino de Paris les 19 et 20 Décembre 2016 puis à la Salle Pleyel le 14 février 2017
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