Jean-Claude Matysiak, spécialiste des maladies addictives, revient sur les accros au sexe dans son dix-septième livre : « Fantasmes et réalités sur les sex addicts ». Rencontre.
Quelle est la meilleure définition d’un sex addict selon vous ?
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Il faut bien faire la différence entre un hypersexuel et un sex addict, c’est là l’enjeu du livre. J’ai voulu montrer qu’une hypersexualité, si elle est assumée et voulue, ne pose aucun problème. En revanche, la dépendance au sexe s’impose au patient et centre sa vie autour de ça. En psychiatrie on parle de centration. L’hypersexualité devient une maladie à partir du moment où le sexe prend le dessus sur toutes les autres activités. Rien ne compte plus que cette dépendance. La famille, le boulot, les relations sociales n’ont plus aucune importance. L’accro au sexe, en se réveillant le matin ne pense qu’à une chose, quelle sera sa première relation sexuelle, avec qui, ou quand ira-t-il se masturber devant un site pornographique.
Existe-il des profils types d’accros au sexe ?
On pourrait dire qu’il y a deux grands types d’accros au sexe, même si bien sûr il y a des intermédiaires. Il y a ceux qui sont accros à l’amour, à la multiplication des relations sexuelles qui vont sur les sites de rencontres. Et il y a ceux qui passent leur temps sur les sites pornographiques. Dans les deux cas, il y a une grande souffrance et un désordre social puisque bien souvent, ils consultent ces sites au boulot et se font prendre. Ils finissent par être virés car ils ne peuvent pas s’en empêcher.
Y aurait-il moins de sex addict sans les nouvelles technologies ?
Il est vrai que ces nouvelles technologies ont favorisées le développement de ces addictions. À l’avenir, on peut imaginer d’autres progrès techniques d’une réalité virtuelle qui proposeraient des hologrammes par exemple ! Il faut savoir que plus on met un objet d’addiction à disposition, plus il est utilisé. Cependant ce n’est pas la seule raison pour laquelle ces dépendants au sexe sont plus nombreux à notre époque. La frontière des règles morales s’est déplacée. Pas pour tous, mais globalement l’acte sexuel est moins tabou. Les patients qui étaient regardés comme des vicieux, ou des pervers pendant très longtemps ont pu consulter et être reconnus comme malades.
Qu’est-ce qu’un comportement sexuel normal ?
Il n’y en a pas. Une grande partie des patients qui viennent me consulter pensent être malades, alors qu’ils souffrent simplement d’un déphasage. Ils culpabilisent à cause de leur éducation ou leur religion, quelle qu’elle soit. Certaines enquêtes tentent de définir des normes mais il faut les interpréter avec prudence. D’après les chiffres de l’INSERM par exemple, chacun aurait 8,7 relations sexuelles par mois. Evidemment on peut être en dessous ou au dessus sans être malade. Mais il faut relativiser ces chiffres puisque dans toutes les enquêtes réalisées sur des couples hétérosexuels, les hommes ont tendance à donner un nombre de relations sexuelles plus grand que les femmes. L’hyper-activité des femmes comme les prostitués n’est pas non plus prise en compte. Il est donc difficile de définir une norme.
Qu’en est-il des pervers pédophiles, zoophiles, etc ?
Il n’est pas exclu qu’il y ait une forme d’addiction derrière ces conduites pénalement condamnables. Mais ça n’excuse pas pour autant ces perversions qui relèvent d’abord de la justice. C’est seulement dans un deuxième temps qu’il y a éventuellement une prise en charge médicale. L’addiction ne doit en aucun cas servir de prétexte.
Être addict au sexe se traduit-il de façon chimique ?
Oui, il y a beaucoup d’études en neurobiologie qui ont été faites. On sait aujourd’hui qu’il y a un tronc commun dans toutes les addictions : la dopamine, une hormone qui crée une sensation de plaisir. Cette molécule est la résultante mais pour l’instant on ne sait pas précisément s’il y a des modifications biologiques initiales qui seraient à l’origine de la dépendance. Sur le plan comportemental, il est aussi possible de faire des parallèles entre les sex addicts et les personnages publics. La recherche de pouvoir et la quête de gratification sexuelle se rejoignent. L’affaire Lewinsky et plus récemment l’affaire DSK peut illustrer ces traits communs. Ceci dit, il ne faut pas non plus appliquer ce concept d’addiction à chaque fois. On parle trop facilement de maladie alors qu’il s’agit parfois de simple infidélité.
Quel est le cas le plus marquant que vous ayez connu ?
Ce n’est pas un de mes patients mais un acteur porno que j’avais rencontré lors d’une émission TV. Sur le plateau, il se revendiquait comme un hypersexuel assumé. Il faisait son boulot d’acteur porno la journée. En rentrant chez lui, il ressentait le besoin de se masturber. Puis le soir il était invité dans des réunions échangistes. Sa vie c’était le sexe et il en faisait son affaire. Mais en off, il m’a confié être tombé amoureux d’une jeune fille, et que depuis, il souffrait de cette hypersexualité. Son cas répond bien à la question : où est la frontière entre hypersexualité et addiction ? Quand on veut passer à autre chose, avoir une vie affective et que l’hyper-activité est un frein, on parle d’addiction.
Depuis quand cette notion de dépendance sexuelle existe-elle ?
On parle de la notion d’addiction au sens large depuis les années 70/80. Au départ il y avait les toxicomanes d’un côté, et les alcooliques de l’autre. Puis j’ai vu apparaître dans mes consultations des joueurs d’argent et progressivement, des dépendances comportementales comme les acheteurs compulsifs, certaines formes de boulimie et les accros au sexe.
Quelles sont les limites de ce concept d’addiction sexuelle ?
Il est extrêmement difficile de fixer une frontière entre le normal et le pathologique, tant cette frontière est fluctuante socialement, moralement et culturellement. D’où l’importance d’avoir une expérience, et de s’appuyer sur des cas cliniques. Certains médecins sont devenus, par la force de la santé publique, des normalisateurs. Ils fixent des règles comme pas plus de trois verres d’alcool par jour, si vous fumez il faut au moins une heure entre chaque cigarette, l’alimentation faites attention il ne faut pas manger gras, etc. Cette médicalisation de conduite permanente devient agaçante. Bientôt on ne pourra plus rien faire ! C’est ce que j’écris dans la conclusion de mon livre, les médecins sont insensiblement tombés dans le piège de la norme et devenus ses nouveaux prêtres. Voilà pour ce qui est des inconvénients de ce concept d’addiction. Mais il reste bien sûr indispensable, puisqu’il permet à ces sex addicts de pouvoir se soigner.
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