Dans l’usine picarde Pentair, ex-Sapag, les salariés se mobilisent pour éviter une fermeture. Parmi eux, Fanny, que la lutte a réveillée et dont François Ruffin, le taulier de Fakir, vante ardemment les mérites.
Fanny ne pensait pas qu’un jour, tout le monde la connaîtrait dans son usine. Elle imaginait encore moins qu’elle puisse faire l’objet d’un article de presse. Elle n’était d’ailleurs pas très emballée par l’idée : « Je n’aime pas me montrer », se justifie-t-elle pudiquement. Pourtant, si l’on parle d’elle aujourd’hui, c’est qu’elle a su se montrer : elle est l’une des initiatrices d’une lutte collective menée contre la fermeture de Pentair-Sapag, dans la petite ville de Ham, dans la Somme.
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Une usine bénéficiaire, 133 licenciements prévus
Le 15 décembre, dernier, c’est le « choc » pour les salariés de l’usine de robinetterie industrielle : la direction de Pentair a décidé de fermer le site d’ici mi-2016. « C’était un coup dans la figure », confie encore aujourd’hui l’un des 133 salariés menacés de licenciement.Une décision « incompréhensible » et « injuste » pour eux : l’usine est bénéficiaire de plus de 5 millions d’euros en 2015, et son carnet de commandes, qui rassemble des clients dans le monde entier, est plein. Mais l’actionnaire américain, arrivé il y a 4 ans, veut mener une restructuration visant en premier lieu le site de Ham, mais aussi celui d’Armentières où une vingtaine de salariés pourraient se retrouver au chômage.
Pour Fanny, l’annonce résonne comme un électrochoc :
« J’ai commencé à me dire qu’il fallait qu’on se batte »
A 33 ans, cette mère de famille travaille depuis 12 ans chez Sapag, une usine qui a une réelle histoire dans la ville d’environ 5 000 habitants : « On connaît tous quelqu’un qui travaille ou qui a travaillé chez Pentair », témoigne Kévin. A l’annonce de la fermeture, ce jeune éducateur a monté un comité de soutien aux salariés : d’abord à 4, puis maintenant à 40 environ, habitants, commerçants, membres des familles touchées, se sont rassemblés pour témoigner de leur présence aux côtés des Sapag. En plus de participer à des manifestations – la première a rassemblé 1 000 personnes dans les rues de Ham – le comité se rend chaque semaine à l’usine pour partager un petit déjeuner avec les salariés, et leur donne la parole, notamment via une page Facebook.
Une lutte « émancipatrice »
Si « Je suis Sapag » est devenu leur slogan, le film Merci Patron ! est devenu leur référence. Fin février, François Ruffin, réalisateur de ce documentaire qui montre le combat de deux salariés d’une usine détenue par Bernard Arnault (LVMH), est venu leur rendre visite. En diffusant son film devant des salariés parfois résignés, il leur a redonné espoir. Depuis, celui qui a également fondé le journal satirique Fakir parle régulièrement d’eux dans les médias, et garde un œil sur leur lutte :
« La situation que vit cette entreprise est caricaturale : elle se porte extrêmement bien, et elle ferme à cause des choix des actionnaires ».
Selon lui, une lutte comme celle des Sapag est « exemplaire », mais se montre rare. Dans son discours et dans celui de son collègue, le nom de Fanny revient souvent : « S’il y a un portrait à faire, c’est le sien », confie un journaliste de Fakir :
« Il y a toujours des visages pour qui la lutte est émancipatrice ; c’est le cas de Fanny »
Ses collègues la connaissaient assez discrète. « Elle s’est affirmée depuis l’annonce de la fermeture de l’usine », confie l’une d’entre eux. D’une « simple salariée », comme elle se décrit, elle est devenue l’ « un des piliers » de la lutte, selon les mots d’un des salariés de Sapag. Il y a un mois, elle a monté un comité de lutte composé de collègues, qui se réunit chaque lundi, en soutien à l’intersyndicale (CGT – FO – CFDT), qui, elle, négocie actuellement avec la direction un plan de sauvegarde pour l’emploi (PSE) pour décider de l’avenir de l’activité de l’usine, dont la fermeture a été repoussée à fin 2017. La direction de Pentair est tenue de chercher – et non de trouver – un repreneur. Un groupe de salariés tente d’ailleurs de se présenter comme repreneurs potentiels. Pour informer au mieux les Sapag, et sur les conseils des Fakir, le comité publie régulièrement un tract, La Vanne, rédigé principalement Fanny, mais toujours validé par le collectif.
Une lutte collective
La jeune femme est donc sur tous les fronts, non sans risques : « Contrairement aux délégués du personnel [qui ne peuvent normalement pas être licenciés durant leur mandat, ndlr], elle n’est pas une salariée protégée », rappelle l’une des membres du comité de soutien, qui sent une pression exercée par la direction. Fanny a tout de même rejoint dernièrement la CGT. « Elle est un relais important », assure Raymond Dessaint, délégué du même syndicat. « Nous, nous sommes énormément pris par le PSE, et nous ne sommes pas souvent sur le site. C’est bien d’avoir quelqu’un qui fait le lien ». Et Fanny semble dotée d’une capacité « fédératrice », à en croire Alice, avec qui elle est devenue amie :
« Elle sait rassembler, en argumentant. Elle dit toujours : on n’a qu’un seul ennemi, c’est Pentair ».
« Elle n’est pas habituée au discours syndicaliste », remarque positivement Vincent Bernardet, journaliste chez Fakir.
Face à Xavier Bertrand et Emmanuel Macron
La jeune femme a pourtant été amenée à rencontrer, en quelques mois, sa direction, le président de région Xavier Bertrand, ou encore Emmanuel Macron, ministre de l’Économie. Mais cela ne lui fait pas peur :
« Que je parle à un ministre ou à quelqu’un d’autre, mes mots sont les mêmes »
Elle n’a qu’un seul but : sauver sa boîte et éviter les licenciements, dont une cinquantaine sont déjà prévus pour novembre prochain. Et elle insiste : « C’est une lutte collective ». Si la grève n’est pas leur principal levier d’action, comité de soutien, comité de salariés et action syndicale tentent de rester solidaires en organisant des temps ensemble. « Nous est devenus une grande famille », résume Kévin. « Quand il y en a un qui baisse les bras, d’autres les relèvent, on se soutient les uns les autres », confirme Fanny. Car la lutte est fatigante et quotidienne, pour les autres comme pour elle :
« Cette mobilisation me prend du temps : je pense, je réfléchis, tous les jours, week-ends compris. Même la nuit, ça me réveille »
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