Ripostes était le lieu d’une parole plurielle et polémique. Même si les émissions de débat souffrent d’une certaine désaffection du public, est-ce un critère suffisant pour les supprimer ?
« L’émission où vous êtes si bien et, me dit-on, de plus en plus nombreux…” A force d’entendre Serge Moati faire son autopromotion en conclusion de son émission dominicale sur France 5, chacun avait fini par y croire : Ripostes coulait des jours heureux et tranquilles, continuant semaine après semaine, depuis 1999, d’orchestrer des débats ouverts et nerveux sur des sujets d’actualité. Sauf qu’une décennie de succès a brutalement pris fin avec, début juin, l’annonce de sa disparition. Moati est la seconde victime d’importance du ménage de printemps après Jean-Luc Delarue, qui lui aussi a dû sacrifier sur l’autel du renouveau son émission fétiche Ça se discute, sur France 2, après quinze ans de services.
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Pour le directeur de France 5, Philippe Vilamitjana – habité par la croyance dans l’accélération du vieillissement des émissions à l’heure du multimédia –, qui avait déjà décidé de la suppression d’Arrêt sur images et du Bateau livre au cours des deux dernières années, Ripostes a fait son temps. S’ajoute à cet aspect présumé désuet une assertion dont on pourrait pourtant discuter à loisir le degré de pertinence : l’usure supposée d’une émission n’aurait pour critère objectif que la mesure de ses parts d’audience.
Manque de chance pour Serge Moati, le public de Ripostes s’est clairsemé cette année (600 000 téléspectateurs en moyenne contre plus de 800 000 auparavant), à la mesure de la plupart des émissions de débats qui ont du mal à fédérer un large public. Quant à l’usure d’un dispositif, d’une recette éditoriale ou d’une méthode d’animation, tout se discute, pour le coup. La direction de France 5 étant restée cachotière, on peut supposer qu’une envie d’inventer un nouveau rendez-vous de débats politiques a compté dans la décision de rayer Ripostes de la carte. Pourtant, derrière le vernis séduisant d’une volonté de “renouveler un genre”, se cachent souvent des désillusions dont l’histoire de la télé est pétrie : le renouvellement proclamé peut n’être que le signe avant-coureur, et paradoxal, d’une normalisation, voire d’un recentrage sur une parole télévisuelle plus neutre et consensuelle, moins polémique.
Pour remplacer Ripostes, la direction de France 5 promet au contraire de l’inventivité avec un magazine politique, peut-être axé sur le reportage, qui sera, selon nos informations, animé par Nicolas Demorand (le journaliste de France Inter et Serge Moati ont eu, l’an dernier, un projet d’émission culturelle qui a finalement capoté et s’est soldé par quelques embrouilles). On en saura plus dans les jours prochains. Mais le débat semble avoir mauvaise presse ces temps-ci à la télé. De plus en plus, on l’encadre par des images, on le compresse, on le raréfie. Comme s’il faisait peur aux directeurs de programmes collés à des courbes d’audience qui font mauvais ménage avec la parole statique (les magazines présentés par Yves Calvi, C dans l’air et Mots croisés, souffrent aussi d’une relative désaffection).
La force de Ripostes, par-delà la personnalité de son animateur, un peu cabotin mais sincère dans l’expression de ses questionnements démocratiques, tenait à son agitation (d’idées). A partir de questions clés de l’actualité politique et sociale, l’émission tenait souvent ses promesses en faisant circuler des positions, des opinions, des expériences, des expertises et des réflexions dont la somme éclairait toujours un peu mieux le téléspectateur. Sur le plateau de Ripostes, on ne trouvait pas que les éternelles figures du débat politique à la télé : l’éditorialiste, le leader politique, le syndicaliste… et Frédéric Lefebvre. A leurs côtés, des responsables associatifs, des politiques moins médiatisés, des intellectuels prenaient place, pour élargir et rajeunir le dispositif classique du forum politique. Ripostes fut au magazine politique sur France 5 ce que Ce soir (ou jamais !) est au magazine culturel sur France 3 : un espace ouvert d’échanges articulés qui respecte l’intelligence du téléspectateur. Il ne manquerait plus que l’excellente émission présentée par Frédéric Taddeï fasse les frais à son tour du ménage de printemps pour que déjà la télévision à venir s’annonce sous le signe des mots décroisés et pliés.
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