Corinne Torrekens, politologue à l’Université libre de Bruxelles, auteure d’une thèse sur la visibilité de l’islam au sein de l’espace public bruxellois, analyse à chaud les attentats de Bruxelles.
Le hashtag #stopislam était l’un des premiers sur Twitter le 22 mars suite aux attentats de Bruxelles. Pensez-vous que ces événements soient de nature à accroître les crispations identitaires ?
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Corinne Torrekens – Oui bien sûr, c’est évident. Vous mentionnez ce hashtag, mais on le voit aussi dans certaines questions posées par des journalistes : on parle directement d’intégration, de multiculturalisme. La question n’est pas celle-là : il s’agit d’un groupuscule qui utilise la religion comme une idéologie. En Belgique les résultats d’une enquête du Centre interfédéral pour l’égalité des chances montrent que l’islamophobie a largement augmenté, et a explosé depuis les attentats de Charlie Hebdo et du 13 novembre. Ce sont deux haines qui se nourrissent l’une et l’autre. C’est le plus grand risque. Après cette attaque, l’espace pour la réflexion, la modération, et l’analyse se rétrécit, car l’émotion prend sa place. On peut le comprendre mais c’est très dangereux.
Pensez-vous que comme lors des attentats du 13 novembre, l’organisation Etat islamique a ciblé des symboles : la capitale européenne, et des zones d’échange et d’ouverture ?
Ce sont des points sensibles. En touchant le métro, on génère de la peur. Les gens qui vont devoir prendre le métro vont avoir peur. Et en touchant l’aéroport national, on ne parle pas d’une petite gare de province : des personnes ont réussi à s’y infiltrer et à commettre un attentat. C’est un lieu symbolique et économique. L’aéroport ne va pas fonctionner avant mercredi soir, voire jeudi midi. Cela a un impact économique direct. Je pense que la stratégie du symbole et de l’impact économique a bien réussi.
Selon vous les cibles sont donc à la fois symboliques et stratégiques ?
Oui, on n’est pas comme dans le scénario des attentats du 13 novembre où ils se sont attaqués à des terrasses de café, des salles de concert, etc. Le mode opératoire est différent : ce sont des lieux d’activité et des lieux symboliques liés à une activité économique, avec l’objectif de créer un sentiment de terreur.
L’arrestation de Salah Abdeslam avait-t-elle suscité du soulagement en Belgique, ou la méfiance était-elle restée de mise ?
Je pense que les deux réactions ont cohabité. Du soulagement car Salah Abdeslam a été arrêté vivant, ce qui est une première dans ce type d’événement. Ça permettait d’avoir accès à ce qu’il sait, à ses données. Mais il y a des gens au dessus de lui, et ce sont eux qu’il faudrait démanteler, pour peu qu’ils soient en Belgique.
Molenbeek est-elle devenue la « plaque tournante du terrorisme » comme l’entend-on souvent ?
Faire de Molenbeek le symbole du terrorisme est une erreur. Dire que Molenbeek est la « plaque tournante » ou « l’arrière base » des djihadistes est un prisme très français ou de médias étrangers. Les médias ont la mémoire courte. En Belgique, avant d’avoir des suspicions et des faits sur Molenbeek, on a eu Anvers qui fournit plus de combattant à l’EI que Bruxelles, on a eu Vilvoorde, d’où sont partis les premiers départs en 2012, et on a eu Verviers, où une cellule a été démantelée en janvier 2015. Dans le cadre des enquêtes du 13 novembre, il y a eu des perquisitions à Schaerbeek, à Charleroi, dans la périphérie wallonne…
Faire du djihadisme un élément d’une ville ou d’une localité ne tient pas la route. Ce sont des individus qui sont organisés en réseaux. Qu’ils puissent, à Molenbeek, se fondre dans la masse, c’est une chose. Qu’ils aient pu avoir des complicités, c’est possible. Mais aujourd’hui c’est toute l’Europe qui est concernée par ce phénomène, et rien ne dit que demain on ne va pas avoir des attaques dans une autre ville européenne. A partir du moment où on est une capitale ou une grosse ville européenne je pense que le temps de la sécurité est terminé.
A travers Bruxelles, c’est donc toute l’Europe qui est attaquée, comme l’a dit François Hollande ?
Oui. Ce qui m’étonne, c’est qu’on a parfois l’impression que la France et la Belgique découvrent cette violence djihadiste, alors qu’on a eu les attentats de Londres en 2005 et de Madrid en 2004. Ce n’est pas la première fois que l’Europe est touchée par la violence islamiste. Maintenant le foyer s’est rapproché, ce n’est plus l’Afghanistan et l’Irak, c’est la Syrie, c’est beaucoup plus proche. Le nombre de kilomètres à franchir est moins grand, et les points d’accès via la Turquie et l’Europe de l’est sont facilités. Mais ce n’est pas la première fois que l’Europe est touchée par ces violences, même si les profils de ceux qui les commettent ont changé. Lors des attentats de Madrid et de Londres, c’était des étrangers, là ce sont des personnes nées en Belgique ou en France, qui ont été éduquées et socialisées dans ces Etats, et qui se retournent contre leur propre société. Les profils ont changé mais l’idéologie de fonds est présente depuis très longtemps. Quelque part, sur la scène internationale, on a continué à créer des viviers de tension : en Syrie, en Irak et autres, où des appels d’air sont créés.
Propos recueillis par Mathieu Dejean
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