Voilée, androgyne, callipyge… Tout juste sorti, le livre L’Art se rue 3 donne un panorama des différentes représentations de la femme dans le street-art, et les questionne. Rencontre avec Karen Brunel-Lafargue, la chercheuse qui a conduit l’enquête, et diaporama. Karen Brunel-Lafargue tient à lever toute ambiguité : “L’art de rue 3 n’est pas un livre […]
Voilée, androgyne, callipyge… Tout juste sorti, le livre L’Art se rue 3 donne un panorama des différentes représentations de la femme dans le street-art, et les questionne. Rencontre avec Karen Brunel-Lafargue, la chercheuse qui a conduit l’enquête, et diaporama.
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Karen Brunel-Lafargue tient à lever toute ambiguité : « L’art de rue 3 n’est pas un livre sur les femmes street-artistes, mais bien sur la représentation de la femme dans l’art urbain. » Pour explorer son sujet, la chercheuse, spécialiste en esthétique, art et culture, a donc interrogé aussi bien des hommes, que des femmes : 18 street-artistes ayant en commun de mettre le féminin au coeur de leurs oeuvres. Pourquoi ? C’est la question que Karen Brunel-Lafargue a posée à chacun. Leurs réponses, illustrées par leurs productions, donnent un aperçu édifiant des regards que la société contemporaine porte sur la femme.
Quand la femme a-t-elle commencé à être représentée dans le street-art ?
Karen Brunel-Lafargue. Tout dépend comment on aborde le sujet. Si on parle en tant qu’actrice, ça commence dès les années 70. Les premières artistes urbaines, comme Barbara 62 and Eva 62, sont apparues à NY. En taguant leur nom, elles représentaient le féminin.
Ensuite, en tant que représentation figurative du féminin, il faut attendre le milieu des années 80. On voit alors apparaître, en marge des fresques, quelques personnages féminins. A Paris par exemple, Miss Tic se met en scène via ses autoportraits à partir de 85. Elle se démarquait bien de ce qui se faisait ailleurs.
Vous dites que le street-art s’érige en concurrent de l’imagerie commerciale, de « l’omniprésente femme promotionnelle » ? Comment cela se traduit ?
Eric Lacan, alias Monsieur Qui, par exemple, utilise les codes de la pub de mode pour séduire, mais surtout pour dénoncer l’emprise de ses clichés esthétiques , et montrer que l’on se fait tous duper par ses images. Au premier regard, ses portraits féminins, ses madones sont belles, délicates. On est happé par leur beauté, jusqu’à ce qu’on s’aperçoive qu’elles sont en fait constituées d’animaux rebutants ou de parties du corps décharnées.
Konny Steding, elle, lutte contre la prolifération de la publicité dans notre espace urbain. Elle y oppose ses propres peintures, recouvre les annonces. Dans ses portraits féminins, elle représente sa souffrance, mais surtout celle qu’elle perçoit dans le collectif, face à cette émergence d’une société déshumanisée, désabusée, où quelques-uns s’embourgeoisent pendant que d’autres agonisent. Selon elle, la femme dégage une beauté peu commune lorsqu’elle souffre, et c’est pour cela que l’artiste la met en scène.
Fafi et Paddy peignent des femmes à moitié nues, avec des gros seins et une bouche en coeur. Ces représentations stéréotypées ne contribuent-elles pas à réduire la femme au statut d’objet sexuel ?
Ils disent que non. Fafi affirme que la femme a le droit de s’habiller légèrement, qu’elle garde pleinement sa subjectivité même si elle choisit de se promener dans la rue avec un micro-short et un soutien-gorge. C’est pour cela que, dans le livre, je cite ces statistiques, qui disent, en gros, que parce que tu mets un short, l’agression peut t’arriver. [27 % des Français pensent que la victime d’un viol endosse une part de la responsabilité si elle était vêtue d’une tenue sexy au moment de l’agression. NDLR]. Pour Fafi, ses représentations sont une revendication contre ce chiffre désastreux.
Paddy, c’est un autre cas. Il explique qu’il vient du mouvement punk, que ses peintures sont une façon célébrer la femme. Il prétend aussi, qu’à travers ses dessin, il est en train de proposer aux femmes de vivre leurs proposer fantasmes, et que, finalement, c’est le fantasme de certaines femmes d’être représentées ainsi.
A l’inverse, Madame, en affublant ses femmes d’une moustache, brouille les pistes du genre…
J’aime son travail parce qu’il y a quelque chose de très personnel. Elle dit avoir un rapport complexe avec sa féminité, avec les hommes, avoir eu du mal à trouver sa place entre ces deux identités. Elle intellectualise en parlant du genre comme d’une distinction trop tranchée. Le fait qu’il est difficile de couper la société en deux, avec d’un côté le féminin, et de l’autre le masculin, que ces parts existent en chacun d’entre nous. Mais elle le fait sous forme de jeu, en s’inscrivant dans la longue traduction du théâtre tragi-comique.
L’artiste italien BR1 pare ses femmes d’un voile, un sujet pleinement d’actualité. Quel est son message ?
Je n’ai jamais rencontrer un artiste qui soit aller aussi loin dans l’intellectualisation de ce qu’il représente. Il a fait une thèse de droit sur le voile. Il est fasciné par le fait que ce voile représente une partie du monde, l’Autre. Mais quand cet Autre vient dans notre société, il est sous-représenté, même quand on fait des pubs qui lui est destiné. Il parle, en particulier, d’avoir été marqué par une pub, à Turin, faisant la promotion d’appels à bas-coûts vers le Maroc. La femme ne portait pas de voile et ressemblait à mannequin italien. Pour lui, ça n’avait pas de sens. À ce moment là, on ne s’adresse pas au public concerné par cette pub, mais à nous-même, ou alors à lui, mais la version de lui que l’on voudrait voir dans notre société. Selon BR1, qui s’intéresse par ailleurs à la question de l’immigration et des réfugiés, le voile représente cette espèce de symbole de la différence.
Vous avez demandé aux artistes s’ils se revendiquaient du féminisme, peu ont répondu oui. Pourquoi selon vous ?
Le féminisme est devenu un terme assez difficile, peu assumé. Ils hésitent à se l’approprier, parce que trop militant. Ils s’interrogent : est-ce qu’être féministe ce n’est pas aller contre les hommes ? Généralement la réponse, c’est : « Moi je suis pour l’égalité, je suis humaniste. »
En conclusion, vous citez la philosophe : « Le grand enjeu du mouvement féministe du 20e siècle reste l’accès à l’espace public. » Pensez-vous que le street-art puisse y contribuer?
D’abord, j’ai choisi cette citation parce ce que quelqu’un vient confirmer ce que je pense depuis le début, que c’est ça l’enjeu : que l’accès des femmes à l’espace public soit rendu légitime, que ce soit dans la sphère matérielle, physique, mais aussi politique. A ce titre, en élargissant le spectrum du féminin, en lui offrant de nouvelles représentations, l’art urbain aide la femme à s’approprier l’espace public. Même si elle n’a pas encore la place qu’elle devrait avoir.
Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?
Matériellement, elle n’a pas complètement accès. Le géographe, Guy di Meo, a étudié la circulation des femmes dans la ville. Il a observé que les femmes ont tendance à s’y sentir en danger, à réfléchir à l’heure à laquelle elles sortent. Pour moi, c’est qu’il n’y a pas un partage égal de l’espace public. De plus, il suffit de regarder, en France, les noms propres attribués aux rues, places, etc : 94 % célèbrent les hommes. Quand j’ai vu ce chiffre, je n’y croyais pas.
« L’Art se rue 3. La Représentation du féminin dans l’art urbain », textes et entretien Karen Brunel-Lafargue, chercheuse au Centre de recherches images, culture et cognitions de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Les éditions h’Artpon. 28 €.
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