En Italie, Mussolini est l’objet d’un culte touristique, mélange de nostalgiques de l’extrême droite, de curieux et d’opportunisme.
« Si vous vous baissez et que vous courez vers cette porte, au bout de la pelouse, vous marcherez exactement dans les pas du Duce » commence le guide : « c’est le chemin qu’il empruntait pour rejoindre son bunker pendant les bombardements« . Derrière lui, toute la petite troupe rentre la tête dans les épaules pour revivre ces moments historiques, dans les allées de la villa Torlonia, à Rome.
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Mi-gênés, mi-fascinés, les visiteurs se regroupent devant le petit cabanon pour descendre l’escalier en colimaçon qui les mène à la porte blindée derrière laquelle Mussolini et sa femme se retranchaient. Dès l’entrée, casques et uniformes savamment disposés au milieu de quelques meubles vintage, replongent le chaland dans l’ambiance de l’époque, tandis que dans un coin, un poste de TSF crachote l’annonce radio de 1943 annonçant la « démission » du dictateur.
« Rome’s fascist past tour »
Ce bunker, qui a ouvert au public en mars dernier, se trouve dans les jardins de la résidence principale de Benito Mussolini. Le lieu n’abrite pas de musée mais les curieux ne s’y pressent pas moins. Il y a d’abord les nostalgiques du fascisme qui s’auto-mitraillent de selfies sur le lit du dictateur.
« Début avril, des militants de Casapound (groupe d’extrême-droite, ndlr) sont venus voir les lieux après une manif », raconte Lorenzo Grassi, le guide.
Ils ont tout inspecté, extatiques, affichant un air d’approbation à chaque description et ponctuant la visite de commentaires élogieux pour le Duce. Il y a aussi les universitaires, comme cette étudiante japonaise en design, qui avoue être bien plus passionnée par Mussolini que par le vieux parquet qui grince du souterrain, ou ses murs blanchis à la chaux. Et puis il y a la foule des curieux, comme ce couple originaire de Predappio, le village natal du dictateur dans le nord du pays, ou encore cette famille de Milan venue parfaire son vernis culturel. On se dit qu’ils auraient pu choisir de visiter le mémorial de la Shoah ; sauf qu’à Rome il n’y en a pas.
Véritable monument architectural élevé à la gloire du fascisme
On peut en revanche s’adresser à des tour-opérateurs de la capitale, comme Viator, pour booker un « Rome’s fascist past walking tour » : quatre heures de pérégrinations dans le quartier de l’EUR, construit dans les années 30 pour accueillir l’Exposition Universelle de Rome (d’où l’acronyme). Prévue pour 1942, elle a été annulée pour cause de guerre mondiale.
Mais le quartier, lui, est toujours là : véritable monument architectural élevé à la gloire du fascisme, il regorge de bâtiments de style rationaliste à la blancheur hygiéniste, qui font toujours la fierté des Italiens. En avril dernier, lorsque quelques petites voix se sont élevées pour protester contre l’omniprésence urbaine de ce passé encombrant la réponse a fusé : si l’on devait se débarrasser de tous les symboles du fascisme, il faudrait raser Rome. Pas faux. De là à exploiter cette époque gênante, il y a un grand pas.. que beaucoup n’hésitent plus à franchir.
Une offre en plein boom
Pour le touriste français ou allemand, à qui il n’est jamais venu à l’idée de pique-niquer sur la tombe de Pétain ou de bruncher au resto du musée des SS, le nombre de circuits touristiques qui tournent autour du fascisme laisse pantois. Sur la Toile, un site dédié aux motards propose de revivre l’échappée de Mussolini vers l’Aquila en détaillant l’itinéraire, tandis qu’un autre organise des journées « bike & bunkers » pour visiter les abris de l’état-major italien durant la guerre.
On peut également se rendre à Riccione pour le week-end, admirer la somptueuse résidence balnéaire de Mussolini qui héberge aujourd’hui le tautologique Musée du Tourisme. Mais les plus nostalgiques préfèrent visiter l’Hôtel Campo Imperatore sur le massif du Gran Sasso, où Mussolini fut enfermé, puis libéré, par les Nazis en 1943. Attention toutefois, certaines périodes sont assez chargées : beaucoup choisissent, pour s’y rendre, le 28 août -date de son arrestation- et le 12 septembre -jour du blitz des parachutistes allemands.
Des touristes embrassent en larmes le buste de Mussolini
C’est Domenico di Domenico, le propriétaire, qui se charge aimablement d’accompagner les groupes dans la chambre 220, qui fut celle du Duce : un buste avec le profil volontaire du dictateur y trône toujours et certains touristes finissent souvent pour l’embrasser, en larmes, en souvenir du jour où, exactement dans cette pièce, le Duce tenta de s’ouvrir les veines. Avec une réservation à l’avance, il est possible de dormir dans sa chambre. L’idée peut sembler saugrenue -et l’office de tourisme ne la met pas vraiment en avant- mais des milliers de visiteurs s’intéressent désormais à ce pan de la culture italienne.
« Si on avait le courage de s’adonner à un tourisme ouvertement « fasciste », on pourrait accueillir les touristes friqués par un chaleureux bienvenue facho, à coup de saluts romains, un tour de « grappa » pour tous et une franche et virile rigolade collective », plaide un blogger spécialisé.
« Cela fait 6 mois que j’ai demandé au Ministère de la Culture de pouvoir ouvrir un Musée du Fascisme » se plaint de son côté Giorgio Frassini, le maire de Predappio. « En Italie il y a 66 Musées sur la Résistance et pas un seul sur le Fascisme : c’est pas normal. »
Predappio, destination « Duce Vita »
Il faut dire que Predappio, petite ville de 6000 habitants dont la mairie est à gauche mais le porte-feuille à l’extrême-droite, s’est muée au fil des ans en véritable lieu de pèlerinage. 150 000 personnes s’y ruent pour célébrer la naissance, la mort ou la marche sur Rome, du dictateur -enterré ici depuis 1957. Une manne pour la commune, dont l’édile a eu la brillante idée de faire payer l’entrée : 30 euros pour chacun des 100 bus qui y débarquent tous les ans.
Là-bas, personne ne semble gêné par les boutiques de souvenirs mussoliniens installés le long de la rue principale. Sur leurs étagères s’empile un bric-à-brac de goodies fachos : des briquets “Camarade” aux mugs “Café Noir” à 8 euros, en passant par les tee-shirts, les fausses Ray-Bans “Me ne frego” (“Je m’en fous”, une des devises du Duce, ndlr), les calendriers, les parfums, les bouteilles de vin, ainsi que des statuettes et des bustes pour toutes les bourses (de 25 à 130 euros), qui s’exportent un peu partout dans le pays.
« Il y a deux façons de voir le phénomène : on peut penser qu’il y a de plus en plus de gens fascinés par le fascisme, mais je crois plutôt que c’est une façon de le mettre à distance, de l’historiciser », analyse Pierre Milza, auteur des Derniers jours de Mussolini.
Pour cet historien spécialisé, le temps de la repentance serait donc révolu et les Italiens auraient fait la paix avec leurs démons des années 30. En somme, ces excursions seraient la version Trip Advisor du canapé d’un psy, une petite marche sur les sentiers de la honte. Reste que dans un pays essoré par la crise, il n’est pas dommage de trouver d’autres ressources que le Colisée : il est actuellement en ravalement de façade.
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