D’anciens messages privés exhumés aux yeux de tous par Facebook : gros bug ou hystérie collective ? « It’s complicated ».
24 septembre, 268e jour de l’année 2012. Rien de bien notable ne distinguait jusqu’à présent cette date, si ce n’est peut-être les anniversaires qu’on imagine bien festifs de Pedro Almodovar et Kevin Sorbo, l’acteur musclé qui jouait Hercules dans la série des 90’s. Tout a pourtant basculé hier durant l’après-midi froide de ce début d’automne quand une nouvelle terrifiante s’est propagée sur les réseaux sociaux : Facebook, qui devrait sous peu franchir le cap du milliard de membres, dévoilerait publiquement les vieux messages privés de ses utilisateurs datant de 2009 ! Dans le genre gênant, à part les conversations MSN de 1999 (« slt Cindy, sa te diré d’alé voir Matrix avec moi ? On é pas obligé de regardé tou le film mdr »), difficile d’imaginer pire exhumation.
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Metro France est le premier média à relayer l’accident à côté duquel une fuite radioactive à Fessenheim passerait pour une banale histoire de robinet mal fermé, écrivant ceci : « ces échanges, destinés à rester entre deux personnes ou un groupe de membres, sont donc désormais accessibles à l’ensemble des amis et connaissances sans que le propriétaire du compte n’ait fait une quelconque manipulation pour accepter ce changement d’état ». Les millions d’utilisateurs français du réseau social sont donc les premiers à entendre parler du bug, et passent illico en mode « Nicolas Cage losing his shit » alors que les employés de Facebook de la Sillicon Valley sont encore en train de jouer à Farmville autour de leur machine à café. Et c’est parti pour l’exploration fébrile de son « journal » Facebook, cette usine à gaz d’une lisibilité plus que relative, pour dénicher LE dossier qui tâche. Chez soi d’abord, chez ses contacts ensuite.
Certains commencent alors à remettre en cause la véracité de l’information, à commencer par PCINpact, puis Techcrunch qui donne le son de cloche d’un porte-parole de Facebook qui dément toute fuite, parlant de réglages de confidentialité défaillants chez certains utilisateurs. Le doute s’installe. Même si la présence de messages effectivement non destinés à être lus par tous est indéniable, tout cela commence à ressembler à s’y méprendre à une bévue collective s’expliquant tout bêtement par un constat : étudier à Polytechnique ne serait pas de trop pour comprendre en détail les subtilités des paramètres d’un compte Facebook. A moins que ces filous de Metro France nous l’ait joué Orson Welles, lorsque le metteur en scène de Citizen Kane avait paniqué l’Amérique en 1938 avec sa version radiophonique de La Guerre des Mondes prise pour argent comptant par des auditeurs paniqués ?
Le premier avril étant encore loin et Metro France n’étant pas connu pour son goût du canular, la situation la plus plausible est la suivante : un journaliste du site un peu stalker sur les bords a voulu vérifier la disponibilité sentimentale d’une stagiaire, découvrant au passage un flot de messages en apparence privés. Pas de quoi arrêter la propagation du buzz, qui va même jusqu’à occuper certains de nos ministres prêt à lancer le plan Orsec sur les Internets pour endiguer l’inondation, comme le montre ce reportage de BFM TV :
Dans quelques années – non, soyons honnêtes, dans quelques jours – ce reportage ressemblera sans doute à une de ces vidéos LOL de The Onion, le célèbre site satirique US. C’est d’ailleurs à une vidéo virale récente du late show américain de Jimmy Kimmel que le compte rendu de BFM fait penser : il s’agit d’un improbable micro-trottoir dans lequel des quidams sont invités à tester l’iPhone 5 quelques jours avant sa sortie. Problème : l’appareil proposé aux passants n’est qu’un iPhone 4s. Pas de quoi empêcher les improbables réactions dithyrambiques devant le nouvel appareil :
Il serait trop facile de taxer rétrospectivement tous les internautes méfiants de gogos fébriles, d’autant qu’on n’a pas été les derniers à vérifier, inquiets, la présence de messages compromettants sur nos profils. Une circonstance atténuante explique cette crédulité : Facebook est coutumier des scandales liés à la vie privée – vous vous rappelez la fois où l’on pensait que TOUT LE CONTENU posté sur Facebook, photos incluses, devenait propriété à vie du réseau social ? Reste que Facebook et confiance-aveugle-à-la-limite-de-la-débilité-profonde font hélas bon message, comme l’a encore démontré ce week-end l’insupportable spam sur la pseudo offre iPhone 5 / Free qui s’est propagé comme la chaude pisse dans un bordel de Tijuana.
Le plus douloureux dans toute cette affaire reste la teneur des messages semi-publics retrouvés via ces fouilles archéologiques 2.0. imprévues. A la manière du héros de Sixième Sens prenant conscience de sa funeste condition à la fin du film, combien d’internautes ont réalisé avec effroi le tombereau de platitudes, vannes pourries et autres coups de gueules moisis disséminés sur le réseau depuis ces trois dernières années ?
Avec cette menace de déballage indésirable de grand ampleur, chaque internaute a pu ressentir, au niveau individuel, l’angoisse des gouvernements, entreprises et autres entités importantes visés par d’authentiques fuites bien plus gênantes, du genre celles balancées par Wikileaks. D’ailleurs, à en juger par les pulsions meurtrières dirigées contre Zuckerberg suscitées par ce pseudo bug, on comprend assez vite l’envie du Pentagone de foutre une bastos au milieu du front de Julian Assange. Le même Assange qui lâchait – indirectement, car via un sketch du Saturday Night Live – cette punchline magique en 2010, après la consécration de Zuckerberg en personnalité de l’année par le magazine Time :
« Je vous donne des informations privées sur des entreprises gratis et je suis un méchant. Mark Zuckerberg refile VOS information à des entreprises contre de l’argent et c’est l’homme de l’année. »
D’autant que cette histoire masque dans les médias une nouvelle cette fois-ci bien réelle concernant Facebook, qui vient de se maquer avec une boîte d’analyse de données personnelles pour cibler encore plus les habitudes d’achats de ses membres en fonction des publicités affichées sur leurs profils.
In fine, cette affaire relève du perdant-perdant pour Facebook : soit le bug est avéré et constitue l’une des pires bévues de la société de Zuckerberg, soit tout cela n’est qu’un malentendu autour des paramètres de confidentialités mal compris, ce qui n’est guère plus rassurant. Ah, et sinon, Myspace s’apprête à sortir sa nouvelle version.
Alexandre Hervaud
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