Le réseau social, très répandu en Birmanie, est utilisé pour relayer les discours de violences à l’encontre des Rohingya, la minorité musulmane persécutée. Jusqu’à devenir « un élément déterminant » dans la propagation de cette haine.
« Un rôle déterminant » dans la propagation des discours de haine à l’encontre des Rohingya en Birmanie. Voilà ce dont des experts de l’ONU accusent Facebook. Selon eux, le réseau social est un vecteur de propagation et, pis, une caisse de résonance pour ces appels à la violence contre la minorité musulmane.
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Depuis août 2017, les Rohingya sont la cible d’exactions répétées de la part d’extrémistes bouddhistes. Près de 6 700 personnes auraient péri dans les massacres et ils sont plus de 650 0000 à avoir fui le pays. La mission mandatée par l’ONU qui enquête sur un potentiel génocide dans le pays a évoqué un « nettoyage ethnique« .
Mardi 13 mars, lors d’une session du conseil des droits de l’Homme, Marzuki Darusman, le président de la mission des Nations unies, a dénoncé le rôle des réseaux sociaux et tout particulièrement de Facebook. « Cela a contribué de manière substantielle au niveau d’acrimonie, de dissension et de conflit au sein de la population. Le discours de haine fait certainement partie de cela », a-t-il expliqué dans des propos rapportés par Reuters.
En Birmanie, Internet c’est Facebook
Toujours selon Marzuki Darusman, en Birmanie « les réseaux sociaux, c’est Facebook et Facebook, c’est les réseaux sociaux ». De fait, ce dernier est très implanté au Myanmar depuis 2014 et la libéralisation du pays. Ses utilisateurs seraient passés de deux millions à plus de trente millions. Facebook est le principal vecteur et moyen d’information de la population, selon Pauline Autin, de l’association Info-Birmanie.
D’après elle, le réseau social a explosé avec l’essor du téléphone portable. Pour cause, en Birmanie l’application est pré-installée sur les mobiles. Des personnes qui n’ont pas d’adresse mail en créent une pour pouvoir s’inscrire sur la plateforme sociale. « Facebook est devenu de facto l’internet » dans le pays, analyse Jes Kaliebe, PDG de Phandeeyar, un centre technologique, qui a aidé la firme à s’implanter au Myanmar.
« Ils sont complètement dépassés »
Les moines bouddhistes influents sont très actifs sur le réseau social et en ont adopté les codes. Y compris ceux prêchant la haine à l’encontre des Rohingya. Avec leurs centaines de milliers d’abonnés, ces comptes voient leurs contenus mis en avant par le jeu des algorithmes du géant du web, favorisant ainsi leur visibilité. Contenus haineux, appels à la violence et désinformations font florès sur le Facebook birman.
« Le système survalorise l’audience des gens qui parlent fort, les contenus à hautes interactions sociales. Sur Facebook, tout est basé sur le plus racoleur, explique Frédéric Filoux, chercheur associé à l’université Stanford, spécialisé dans l’économie des médias numériques. Il n’y a pas d’intention de nuire, mais ils sont complètement dépassés. C’est un grand danger pour les démocraties. »
Facebook « ne fait rien contre le discours haineux »
Une situation dénoncée dès février 2017 par Phil Robertson, le directeur adjoint de l’ONG Human Rights Watch en Asie. Dans le New York Times, il s’indignait du manque de contrôle. « Facebook ne perd pas de temps pour supprimer des svastikas mais il ne fait rien contre le discours haineux de Wirathu, qui traite les musulmans de chiens. »
Wirathu est un moine bouddhiste extrémiste dont le mouvement a été interdit en Birmanie. Mais ce dernier a pendant longtemps ouvertement prêché la haine des musulmans et appelé à la violence ses légions d’abonnés Facebook. Son compte n’a été supprimé qu’en février 2018.
Pas d’antenne en Birmanie
Cité par Le Monde à la suite des accusations des Nations Unies, Facebook a expliqué s’être « investi de manière significative » dans des technologies de modération en Birmanie, notamment dans la langue locale, arguant travailler avec des experts et des ONG sur place.
Car l’entreprise n’a pas d’antenne au Myanmar. Elle doit donc s’appuyer sur des relais locaux pour pouvoir contrôler son réseau. Une situation qui aggrave encore les difficultés selon Fabrice Epelboin, enseignant à Sciences Po et spécialiste des réseaux sociaux et de la cybersécurité. « Cela rajoute encore un intermédiaire pour cerner les contenus. Et puis qui sont ces experts ? Comment sont-ils formés ? Comment sont-ils recrutés ? » Celui-ci pointe également le fossé culturel entre le personnel de Facebook de la Silicon Valley et les relais présents en Birmanie, rendant compliqué un filtrage effectif.
« La capacité d’intervention de Facebook est limitée »
La firme américaine a également mis en avant les signalements qui peuvent être faits via sa plateforme pour dénoncer les discours haineux. Là aussi, Fabrice Epelboin pointe les limites du système. Selon lui, on assiste régulièrement à des campagnes de dénonciations massives manipulées. C’est ce qui est arrivé en Birmanie en septembre 2017. Nombre de compte appartenant à des Rohingya ou les soutenant avaient été supprimés, signalés par leurs bourreaux. « La capacité d’intervention de Facebook est relativement limitée. Trop de gens utilisent le réseaux, il faudrait des milliers de personnes pour le gérer », explique Fabrice Epelboin.
En Birmanie, l’entreprise explique avoir développé « des contre-discours », toujours à l’aide d’experts locaux. Une solution sans réelle portée pour le spécialiste des réseaux sociaux. « Des campagnes de contre-discours de Facebook, je ne vois pas ce que c’est. Surtout lorsque la situation est tellement extrême, tranche-t-il. Ce que peut faire un statut Facebook c’est souffler sur les braises, sûrement pas éteindre un incendie. »
“J’ai peur que Facebook soit maintenant devenu une bête”
Les mesures mises en place pour endiguer les appels à la violence semblent effectivement dérisoires. Voire complètement inappropriées. Comme lorsqu’un porte-parole de Facebook explique à Mashable que, outre les contre-discours, le réseau social a « également créé des stickers #Panzagar [Dites-le avec des fleurs] pour aider à promouvoir un discours positif en ligne ».
Mardi 13 mars, Yanghee Lee, une des enquêtrices de la mission des Nations Unies a résumé la situation avec effroi. « J’ai peur que Facebook soit maintenant devenu une bête, et pas ce qu’il avait l’intention d’être à l’origine. »
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