L’ancien Premier ministre de François Mitterrand est chargé de préparer les cent premiers jours de la gauche revenue au pouvoir, un boulot confié par Martine Aubry avant la primaire et reconduit par le candidat socialiste. L’ancien rival de François Hollande à Solférino et lors du référendum sur le Traité constitutionnel européen en 2005 a rallié son premier cercle. Le député de Seine-Maritime le représente aussi à l’étranger, comme au Proche-Orient ou en Chine. Laurent Fabius a été le premier socialiste à débattre avec Nicolas Sarkozy, le 6 mars. Il fait aujourd’hui figure, avec Martine Aubry, de sérieux prétendant à Matignon si la gauche l’emportait. Il nous parle des réformes et du style de présidence qu’engagerait le président Hollande en cas de victoire le 6 mai prochain.
A quoi ressembleront les premiers mois de l’éventuelle présidence de François Hollande ?
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Sur le plan de l’action gouvernementale, il faut distinguer deux périodes : de la mi-mai jusqu’au 17 juin, le nouveau président sera en place mais les élections législatives, qu’il faudra gagner, n’auront pas encore eu lieu. Le gouvernement sera nommé, des changements concrets seront décidés (par exemple l’amélioration de la retraite pour les personnes ayant commencé à travailler à 18 ans, une augmentation de l’allocation de rentrée scolaire, la baisse de rémunération du Président et des ministres, le blocage pour trois mois des marges sur l’essence…). Mais on ne pourra pas prendre de mesures législatives. Après le 17 juin, l’Assemblée nouvelle sera en place, les mesures les plus importantes pourront intervenir sur tous les plans.
Y aura-t-il une session extraordinaire en juillet ?
C’est logique. J’ai dit en plaisantant aux candidats parlementaires qu’il ne fallait pas trop faire de projets de vacances. Il faudra prendre des décisions tout de suite, notamment en matière financière, fiscale et sociale : une loi de finances rectificative, une loi de financement de la Sécurité sociale rectificative, un programme pour Bruxelles sur les finances publiques. Il en sera de même à la rentrée pour l’éducation, la décentralisation, le logement. Une discussion d’ensemble devrait avoir lieu sur la situation économique et sociale, puis des négociations spécialisées sur l’emploi, les retraites, l’éducation, la santé…
Ce quinquennat tranchera avec le précédent, notamment parce que nous négocierons avec les partenaires sociaux avant de prendre les principales décisions. Le calendrier international sera aussi très rempli. Dès son élection, le nouveau président devrait rencontrer la chancelière allemande. Dans la troisième semaine de mai, se tiendra le G8 à Camp David, puis le sommet de l’Otan à Chicago portant notamment sur l’Afghanistan et la défense antimissile. La France confirmera le retrait de ses troupes pour avant fin 2012. Ensuite, auront lieu le G20 au Mexique et le vingtième anniversaire de la Conférence de Rio sur l’environnement. A chaque fois, François Hollande exposera les nouvelles orientations de la France. Fin juin, au sommet européen, on évoquera en particulier les propositions sur la croissance, la gouvernance et les équilibres financiers.
A quelles lois ou mesures emblématiques avez-vous pensé pour marquer le début du quinquennat ?
François Hollande a déjà annoncé qu’il voulait un gouvernement paritaire, une réduction du train de vie de l’Etat, ainsi que des premières mesures concrètes en faveur du pouvoir d’achat et de l’emploi. Autre exemple, l’absurde circulaire Guéant interdisant aux étudiants étrangers un premier emploi sera annulée.
La fête au Fouquet’s le soir de sa victoire a plombé Sarkozy. Vous parlez de ça avec Hollande ?
Il faut d’abord gagner l’élection ! Ce sera certainement festif, simple et bon enfant.
Quel sera son style de présidence ? Le retour du président olympien à la Mitterrand et Chirac ?
Je pense qu’il sera un président actif et accessible. Avec, comme dans toute vraie démocratie, un rôle réel pour le gouvernement et le Parlement, c’est-à-dire un meilleur équilibre des pouvoirs. Autre aspect : la simplicité, malgré la distance liée à la fonction. Hollande, tel que je le vois agir, devrait être énergique sans être égocentrique, à l’écoute sans être faible. Il respectera les corps intermédiaires et les citoyens. A l’automne, devraient être proposés plusieurs changements dans notre Constitution pour s’assurer qu’avant chaque réforme importante les partenaires sociaux seront bien consultés, pour établir l’indépendance de la justice et de l’audiovisuel, modifier la responsabilité pénale du chef de l’Etat ou encore donner le droit de vote aux étrangers aux élections municipales.
François Hollande a plusieurs fois annoncé que ses réformes seraient conditionnées à la croissance.
Nos hypothèses économiques sont 0,5 % de croissance pour 2012, 1,7 % pour 2013 et ensuite entre 2 et 2,5 %.
Les organisations internationales jugent ces prévisions optimistes.
Ce qui est sûr, c’est qu’il faudra que l’Europe joue pleinement le jeu de la croissance. Certains pays, comme l’Allemagne et les pays du Nord, possèdent des marges d’action ; l’Europe elle-même n’est pas endettée : ce sont des leviers qu’il faudra utiliser. La France devra être gérée plus sérieusement qu’aujourd’hui, mais nous devrons mobiliser toutes les marges d’action européennes. Le sérieux et la solidarité oui, mais aussi la croissance. C’est la première fois qu’un camp politique conditionne la réussite de sa politique à des facteurs qu’elle ne maîtrise pas totalement. Nous sommes à la fois volontaristes et réalistes.
Ce n’était pas dit auparavant…
C’était constaté… après coup. L’activité économique s’est internationalisée, elle dépend beaucoup du contexte européen, mais la politique nationale conserve sa pleine influence.
Que sacrifieriez-vous en cas d’absence de solidarité européenne ?
Nous avons à l’esprit de convaincre, pas de renoncer. Les réformes ne sont pas en cause, elles sont indispensables. Si l’emploi dépend de la situation économique générale, ce n’est pas le cas pour des réformes comme celles de l’éducation, de la santé, du logement, de la fiscalité qui s’imposent de toute façon.
Mais cela coûte de l’argent d’embaucher 60 000 profs de plus…
Moins que d’avoir alourdi le bouclier fiscal ! Vous connaissez la réponse de Lincoln à quelqu’un qui lui disait que l’éducation coûte cher : « Essayez donc l’ignorance ! »
Plus les années passent, plus on a l’impression que le retour de la croissance est un idéal utopique.
Non, mais nous avons besoin d’un vrai changement de modèle : une nouvelle croissance verte, une nouvelle impulsion de la formation, de la recherche, de l’innovation, des PME. Par exemple, nous préparons un programme massif d’économie d’énergie dans les logements, les transports, les entreprises. Cela peut apporter des centaines de milliers d’emplois.
Est-ce que les relations avec nos partenaires européens se sont améliorées depuis le discours de Villepinte de Nicolas Sarkozy et ses ultimatums sur Schengen ?
Un écrivain doué d’humour, Ambrose Bierce, a eu cette jolie phrase : « L’ultimatum est la dernière étape avant la reddition. » Elle s’applique assez bien à monsieur Sarkozy. Les responsables européens se sont habitués à ses foucades, elles sont gênantes pour une fonction qui exige normalement maîtrise et continuité. Prenant connaissance du discours de Villepinte, l’ancien Premier ministre libéral belge Guy Verhofstadt s’est interrogé publiquement : « Le candidat français d’extrême droite est-il madame Le Pen ou monsieur Sarkozy ? »
Certains prétendent qu’il a réussi en matière européenne ! Réussi durablement quoi ? L’Europe n’avance guère. Plus de 20 millions de chômeurs ! La plupart des positions de la France ont été abandonnées. Et comme notre pays a régressé économiquement, nous pesons hélas moins par rapport à l’Allemagne et en Europe. Tout cela est à reconstruire.
François Hollande a dit sur TF1 que contrairement à Sarkozy, il ne faisait pas de coups. Un quart d’heure après, il sort les 75 %. Dans une campagne face à Nicolas Sarkozy, n’est-on pas obligé de faire des coups ? Ne vous pliez-vous pas à cette méthode que vous avez contestée ?
En janvier, François Hollande a présenté soixante propositions précises sur l’emploi, le pouvoir d’achat, etc. Il s’y tient. Pour autant, compte tenu de la longueur de la campagne et des bouleversements de l’actualité, des propositions nouvelles peuvent apparaître. Les 75 % d’imposition au-dessus d’un million d’euros de revenus représentent une réponse à l’augmentation de 34 % des rémunérations décidées par les patrons du CAC 40, alors même que le pouvoir d’achat de la plupart des Français stagne. Elle conforte la réforme fiscale déjà prévue.
Ce n’est pas aujourd’hui que vous découvrez qu’il y a des riches…
Nous récusons la démarche sarkoziste : une idée par jour, ou plutôt un mensonge par jour. Car ce dernier promet comme il respire et ment à peu près autant qu’il promet. Il l’a même théorisé : garder toujours plusieurs fers au feu, les déployer, voir ce qui ne « capte » pas et l’abandonner, mais conserver ce qui « prend » et bouger sans cesse. Aujourd’hui, les gens ne sont plus dupes. Celui qui se voulait l’homme des résultats apparaît comme l’homme des échecs. Réélu, il serait d’autant plus dangereux qu’il n’aurait plus le butoir d’une nouvelle élection comme gardefou. Rendez-vous compte : monsieur Sarkozy sans aucune limite !
A quoi peut servir la gauche arrivant au pouvoir dans cette période de crise ?
A redresser notre pays. C’est vital. En mettant en place le triangle moderne de la gauche : redressement-effortjustice. La France a reculé au cours de la dernière décennie, il faut avoir le courage de dire les efforts à réaliser pour redonner une perspective, notamment à la jeunesse, et montrer à partir de nos propositions que ces efforts se feront dans la justice. La justice reste une idée neuve en France.
Propos recueillis par Anne Laffeter et Thomas Legrand
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