Geek égaré dans le porno, Fabian Thylmann a su adapter son sens du business à cet univers. Mais après avoir dévasté l’industrie du cinéma porno, il s’est retrouvé devant la justice pour fraude fiscale. Portrait d’un Zuckerberg du X.
Un trentenaire légèrement bedonnant avec des lunettes et un début de calvitie : tel est le visage de celui qui pendant plusieurs années se cachait derrière les plus importants sites pornographiques du monde. Fabian Thylmann, un informaticien allemand qui a plus en commun avec Mark Zuckerberg qu’avec Marc Dorcel, régnait sur un empire du X de plusieurs milliards de dollars à travers sa société de holding, Manwin. Un business particulièrement rentable auquel il a dû renoncer, à cause de démêlés avec la justice. Arrêté fin 2012 pour fraude fiscale, il revend ses parts dans son entreprise un an plus tard. Après de longues procédures judiciaires, il a finalement été condamné le lundi 19 décembre 2016 à un an et quatre mois de prison avec sursis, ainsi qu’à 150 000 euros d’amende. Une bagatelle pour celui que la pornographie avait rendu milliardaire.
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Pour Fabian Thylmann, l’aventure commence en 1997 lorsqu’il conçoit un logiciel qu’il baptise Next-generation Affiliate Tracking Software (NATS). Il s’agit d’un système permettant aux détenteurs de sites web à forte fréquentation d’analyser le comportement des internautes « donc les sites pornos, concrètement, rien d’autre » commente son créateur. Les propriétaires d’un domaine peuvent ainsi savoir par quel lien, recommandation ou ou publicité un utilisateur arrive sur leur page, ce qui est très pratique pour cibler les contenus publicitaires.
Profitant d’une perte de vitesse de plusieurs sites pornographiques au milieu des années 2000, Thylmann vend ses parts dans la société éditrice de NATS pour quelques millions en 2006 et en achète quelques-uns. Son ambition est de développer le trafic de ces sites web, dont la gestion peut selon lui être améliorée. En 2010, il acquiert la société Mansef (qu’il rebaptise Manwin), détentrice des sites Pornhub, Mofos et Brazzers, l’un des sites pornographiques payants les plus populaires. Son empire du X prend alors une ampleur considérable, croissant au gré des investissements.
Un magnat du X d’un nouveau genre
Soyons clairs, Fabian Thylmann n’a rien d’un Hugh Hefner sulfureux, organisant des soirées dans son manoir Playboy. Très discret sur lui-même et sur sa vie privée, il a tout d’un informaticien lambda. Lors de ses rares apparitions publiques, comme dans lors d’une conférence pour chefs d’entreprises organisée en 2016 (voir ci-dessous), il préfère se décrire comme un « geek […] qui n’a rien à voir avec un acteur porno ou un patron de strip-club ».
Cette étiquette est assez proche de la réalité selon Ovidie, réalisatrice du film Pornocratie, les nouvelles multinationales du sexe : “Ce type n’a rien à voir avec l’industrie du X. Il a surgi de nulle part, personne ne le connaissait et ce n’était certainement pas le genre à se rendre sur des plateaux de tournage. Il n’est pas tombé dans le porno par passion ni même par vice : il est allé là où il y avait du clic. »
Pour le principal intéressé, cette distance avec le milieu du porno est l’une des raisons de son succès : « Si Manwin a connu une telle réussite, c’est en grande partie parce que je regardais les choses différemment des mecs qui possédaient les autres sites et entreprises. »
Et contrairement aux patrons historiques de l’industrie, Thylmann a plutôt eu une carrière du genre météorite. En 2012, soit six ans après son entrée dans le porn business et deux ans après la création de Manwin, il est arrêté pour évasion fiscale. Les autorités allemandes soupçonnent sa société basée au Luxembourg de pratiquer des montages financiers douteux. Le paiement d’une caution de près de 10 millions d’euros lui permet d’être libéré quelques jours plus tard.
Etrangement, cette arrestation contribue à le faire connaître du grand public, qui découvre alors le visage qui se cache derrière la quasi-totalité des sites pornographiques. Cela amuse également les détracteurs de Fabian Thylmann comme Nate Glass, propriétaire de Takedown Piracy, qui se bat entre autres contre le piratage des contenus pornographiques par les sites de Manwin : « Pour votre information le patron de Manwin Fabian Thylman était censé venir mais son avion est passé par le Texas, il a lu « Taxes » et a décidé de les éviter. »
https://twitter.com/tdpnate/status/291710707270025217
L’homme qui a mis le porno à genoux
Ce qui a permis à Fabian Thylmann de s’imposer comme le « roi du porno », titre que lui donnera la presse allemande, c’est l’exploitation des « tubes ». Il s’agit de sites fonctionnant à la manière de YouTube, d’où leur nom, qui donnent accès gratuitement à un grand nombre de vidéos X. Tout comme sur YouTube, les clips hébergés sont mis en ligne par des utilisateurs et proviennent d’autres sites. Les tubes appartenant à MindGeek sont tous construits sur le même modèle et proposent des interfaces, vidéos et publicités similaires (voir ci-dessous).
Mais le problème des tubes, c’est qu’ils hébergent principalement des extraits de vidéos ne leur appartiennent pas. En enfreignant sciemment le droit d’auteur, ils font perdre énormément d’argent aux studios. Ceux-ci voient leurs œuvres pillées sans contrepartie financière, ce qui rend difficile le renouvellement. Résultat, près de 70% des studios ont disparu.
Face à cette domination du marché, les studios n’ont bien souvent que deux choix : vendre une partie de leur contenu aux tubes sous forme de clips, ou bien voir leurs films y apparaître quand même, récupérés et mis en lignes par les internautes. La carrière de Fabian Thylmann dans le monde de la pornographie ressemble donc plus au passage d’un ouragan. Voyant une opportunité, il s’est engouffré dans un business qui l’a rendu riche, avant d’en repartir aussi vite qu’il y était arrivé, laissant derrière lui une industrie meurtrie.
Pas encore morte, toutefois, car selon Stephen des Aulnois, rédacteur en chef du magazine consacré à la culture pornographique Le Tag parfait, « Il existe toujours des grosses productions. C’est un secteur qui représente entre 3 et 4 milliards d’euros.” Un chiffre qui semble important mais qui reste bien mince en comparaison des sommes colossales brassées par MindGeek, dont le fer de lance PornHub revendiquait plus de 87 millions de vidéos visionnées en 2015. Une ascension inarrêtable ? Pas sûr, car l’année 2016 a réservé une surprise amère au géant créé par Fabian Thylmann. En effet, le site Xhamster affiche dans ses statistiques 119,2 millions de vidéos cliquées, prenant ainsi la tête des sites pornographiques les plus visités du monde. Mais que l’industrie ne se réjouisse pas trop vite : il s’agit là-aussi d’un tube, qui pratique les mêmes méthodes que les rejetons de MindGeek.
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