Un collectif de « gouines politiques » a bloqué le char de Personn’Ailes, association LGBTI d’Air France, lors de la Marche des fiertés de Paris, afin de dénoncer le rôle joué par l’entreprise dans les expulsions de migrants.
Partie de Montparnasse aux alentours de 15h, la Marche des fiertés LGBT + suivait son cours habituel, ce samedi 29 juin, entre paillettes, drapeaux arc-en-ciel et sono lancée à plein volume. Aux alentours de 16h, cependant, une petite centaine de militants (et surtout de militantes) s’est regroupée autour du char de Personn’Ailes, l’association LGBTI d’Air France, afin d’interpeller l’entreprise et ses salariés présents dans la marche. « Etat raciste, Air France complice » ou « Pas de fiertés à déporter », pouvait-on lire sur lespancartes des activistes, rappelant le rôle joué par Air France dans les expulsions d’exilés vers leur pays d’origine.
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Après avoir demandé à pouvoir monter sur le char afin de prendre la parole – et avoir essuyé un refus – le collectif a bloqué pendant quelques minutes le cortège de Personn’Ailes avant d’être prié de reprendre sa course sous peine d’être délogé par la police, selon une militante. « On dénonce le durcissement des déportations et toutes les politiques migratoires qui se passent en ce moment depuis la loi asile-immigration », a indiqué aux Inrocks Sam*, co-organisatrice de l’action. Avant de poursuivre : « Une entreprise qui reçoit de l’argent de la part de l’Etat pour faire le travail de mort de déportation ne peut pas venir faire sa vitrine à la Pride ni être laissée tranquille à aucun moment ».
Air France pointée du doigt
Comme l’ont rappelé les activistes, ce rôle d’Air France a récemment été pointé du doigt par plusieurs centaines de Gilets Noirs lors d’une occupation à Roissy – et à laquelle l’entreprise a, semble-t-il, jusqu’ici refusé de réagir. Rappelant que des demandeurs d’asile LGBTI font régulièrement partie des personnes reconduites à la frontière par la compagnie à la demande du Ministère de l’Intérieur, le collectif a cependant tenu à affirmer son soutien à toutes les personnes migrantes sans distinction : « On dénonce toutes les déportations. Le but n’est pas de faire du triage entre bons et mauvais migrants, les déportations doivent s’arrêter pour tout le monde », nous a précisé Sam.
#GouinesContreLesDéportations : action contre @PersonnAilesAF, char LGBT d’@AirFranceFR, à la #MarcheDesFiertes parisienne ✊ @GouinesCONTRE pic.twitter.com/FjFip2IgyS
— camille desombre 🌿 (@matthieufoucher) June 29, 2019
Rassemblé sous la bannière « Gouines contre les déportations », le groupe, mixte mais mené par des lesbiennes, a choisi de mettre en avant cette identité pour lutter contre l’effacement du travail des lesbiennes dans de nombreuses organisations politiques comme au sein des assos LGBTI : « On revendique d’être des gouines politiques, à la fois parce que nos analyses politiques comme notre rôle sont constamment invisibilisés, et parce qu’être gouine politique veut aussi dire faire des actions », a expliqué Sam, rappelant la participation de plusieurs militantes du groupe dans l’organisation du cortège de tête de l’an dernier.
Pour ces militantes, l’objectif était clair : « établir un rapport de force » et obtenir une prise de position de la part des membres de Personn’Ailes, afin qu’ils se désolidarisent de la participation d’Air France dans les expulsions. « Ces gens pouvaient venir à la Pride comme ils voulaient, visibiliser n’importe quelle facette de leur identité ou de leur vie, mais ils ont choisi volontairement d’incarner leur entreprise dans l’espace de la Pride, une entreprise qui déporte », explique Sarah*, membre du collectif. « On peut donc leur demander des comptes sur cette prise de position, qui est une prise de position politique ».
URGENT ACTION EN COURS 🔴 "Nous refusons la présence à la Marche des Fiertés d'une entreprise, @AirFranceFR, qui reçoit de l'argent de l'État pour déporter celles et ceux qui n'ont pas les bons papiers ou le bon visa." #Pride2019 pic.twitter.com/IavleSiiFS
— Gouines contre les déportations (@GouinesCdprtns) June 29, 2019
« Qu’ils aillent voir Air France en direct »
Interrogés par Les Inrocks juste après l’action, les représentants de Personn’Ailes ont déploré cette intervention des activistes venues « gâcher la fête ». « Le combat est peut-être juste mais nous ne sommes qu’une association d’entreprise, nous n’avons pas de pouvoir de décision sur ce que fait Air France », a expliqué le secrétaire de Personn’Ailes, avant de concéder toutefois : « Si ce sont des faits avérés, ce serait dommage, mais je ne suis pas dans le secret des dieux ». Président de l’association et steward chez Air France depuis 23 ans, Sébastien Corolleur a quant à lui rappelé le travail effectué par l’asso pour les personnes LGBTI au sein d’Air France. « Ce qu’ils viennent de faire, ça nous a pété notre journée. S’ils ont des problèmes avec Air France, qu’ils aillent voir Air France en direct », a-t-il ajouté, précisant que l’entreprise, signataire de la convention de Chicago, « n’est de toute façon pas au-dessus des lois ».
Bien que n’ayant pas commenté spécifiquement cette action, Air France, par le biais de son compte Air France Newsroom, nous a envoyé par message privé sur Twitter un court communiqué : « Air France est amenée à transporter certains ressortissants étrangers reconduits à la frontière. Ces mesures sont exécutées par le ministère de l’Intérieur, sur la base de décisions administratives ou de justice […] Il n’appartient pas à Air France de remettre en cause ces décisions de justice ni sur les mesures prises pour effectuer ce rapatriement ».
De leur côté, les militantes lesbiennes ont affirmé « prendre acte » du refus des membres de Personn’Ailes de se désolidariser davantage des expulsions et de leur donner la parole sur leur char : « On aurait bien aimé que ce soit un moment de fête mais dans ces conditions, cette fête à un goût un peu amer », a commenté Sarah, dénonçant les pressions effectuées par la police, et bien décidée à ne pas baisser les bras. « On reviendra c’est sûr », a quant à elle conclu Imen, également membre du collectif.
*les prénoms ont été modifiés à la demande de certaines militantes qui craignaient d’éventuelles poursuites ainsi que des répercussions dans leur vie personnelle ou dans le milieu LGBTI
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