Avec l’application « Juif ou pas juif », Apple s’attire les foudres d’utilisateurs et d’associations de lutte contre le racisme. Ce n’est pas la première fois que la firme à la pomme se fait épingler pour avoir laissé passer des applications douteuses, ou pour en avoir supprimé d’autres avec un peu trop de zèle.
Mardi, on découvrait l’existence d’une nouvelle application, sobrement intitulée « Juif ou pas juif », qui permet de déterminer si telle ou telle personnalité est juive. La base de données recense « des milliers de personnalités juives présentant plus de 50 pays (…) regroupées dans des catégories variées comme le cinéma, la musique, le business, les prix Nobels, les journalistes, les politiciens, les scientifiques, les sportifs etc. »
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Plusieurs associations (SOS Racisme, le Crif, la Licra) ont réagi. Le directeur d’Apple France, Stéphane Thirion, a assuré qu’il allait « faire tout son possible pour que l’application soit retirée ». Il prévoit également la mise en place d’une « charte de validation des applications iPhone« .
L’objet du litige a été retiré de la vente mercredi soir.
Ce n’est pas la première fois qu’une application disponible sur l’AppStore, embarrasse la firme de Cupertino. Celle-ci a pourtant elle-même fixé ses règles (avec humour cependant) : pas de pornographie, pas de discrimination, pas de violation de droits d’auteurs, pas de piratage, pas d’application pouvant entrer en concurrence avec celles d’Apple et pas d’application illégale en général. Avec, en plus, cette indication assez floue mais bien pratique :
« Nous rejetterons toutes les applications qui nous paraîtront franchir la ligne. Quelle ligne, vous demandez-vous ? Eh bien, comme la Cour suprême (des Etats-Unis) l’a dit un jour : ‘Je le saurai quand je le verrai.’ Et nous pensons que vous le saurez aussi quand vous l’aurez franchie. »
Malgré cette règle très fourre-tout, il arrive régulièrement que l’AppStore propose des applications qui suscitent colère et incompréhension chez certains utilisateurs, ou violent parfois les propres conditions d’Apple. Illustration en cinq applications.
1. « Exodus », l’application qui « guérissait » l’homosexualité
En mars 2011, Apple a retiré de son catalogue le gadget virtuel d’Exodus International, une organisation chrétienne fondée aux Etats-Unis à la fin des années 70. Le principe de cette application, qui s’est attirée les foudres de 150000 signataires d’une pétition demandant son retrait ? Le même que celui d’Exodus en général et de son site web dédié, à savoir : « se délivrer de l’homosexualité », avec l’aide de Jésus. On pouvait y trouver, outre le calendrier des prochains événements du mouvement, des conseils pour « lutter contre l’attirance envers des personnes du même sexe ». L’association militante Truth Wins Out, à l’origine de la mobilisation, s’était étonnée qu’Apple ait autorisé une telle « cure ». La marque a répondu qu’effectivement, l’application ne respectait pas ses conditions d’utilisation. Celle-ci est restée disponible plus d’un mois.
2. « WikiLeaks », l’application qui affichait les documents secrets
Non officiel, ce programme affichait une partie de la base de données de WikiLeaks ainsi que le fil Twitter de l’organisation spécialisée dans la divulgation de documents confidentiels. L’application, mise en ligne en décembre 2010, est restée disponible trois jours à peine. Cette fois-ci, point de pétition d’internautes énervés : c’est Apple qui l’a supprimée de son propre chef — après l’avoir forcément approuvée dans un premier temps. Il faut dire qu’à l’époque, tous les regards étaient braqués sur ces stakhanovistes du data-journalisme, avec qui PayPal ou encore Amazon venaient de couper les ponts. Apple s’est brièvement justifié, invoquant « les règles imposées aux développeurs » et ajoutant que les applications « doivent obéir aux lois locales et ne pas mettre d’individus ou de groupes en danger ».
3. « Phone Story », l’application qui critiquait Apple
Les agitateurs des Yes Men ont frappé fort, le 10 septembre dernier, en réussissant à mettre en vente sur la plateforme d’Apple un jeu… anti-Apple. Avec Phone Story, on pouvait incarner un fabricant de téléphones qui devait gérer enfants esclaves au Congo et employés suicidaires en Chine (rapport aux suicides à répétition chez Foxconn, un sous-traitant chinois d’Apple). Paolo Pedercini, le développeur, a expliqué que le jeu devait « amener à discuter de notre impact socioéconomique en tant que consommateurs produits électroniques ».
Au bout de quatre jours, Apple a évidemment retiré l’application de son catalogue, invoquant une fois de plus ses bien commodes « developer’s guidelines ». Si la marque a refusé d’en dire plus aux médias, Paolo Pedercini affirme de son côté qu’un représentant d’Apple l’a appelé, lui expliquant pourquoi son programme avait été supprimé : non seulement une application ne doit pas montrer des enfants maltraités, mais en plus, elle ne doit pas servir à collecter des fonds. Le développeur comptait en effet reverser les 99 centimes que coûtait le jeu à des ONG.
4. « I Am Rich », l’application qui coûtait 999 dollars
L’application la plus chère du marché, « I Am Rich », n’avait pas d’autre but que de prouver aux gens qui regardaient votre écran de téléphone que vous étiez riche. Après avoir déboursé la bagatelle de 999,99 dollars, un rubis s’affichait sur votre écran, certifiant que vous aviez bien payé. Lancée en août 2008, elle n’est restée que 24 heures sur l’AppStore. Armin Heinrich, le développeur, a expliqué qu’il ne savait pas pourquoi son application avait été retirée et qu’il n’avait pas, à sa connaissance, violé de règles. Aurait-t-il franchi la ligne, celle qu’Apple reconnaît quand il la voit ? Pas forcément. Car sur les huit utilisateurs qui se sont payé l’application (six Américains, un Allemand et un Français), il y en a au moins un qui l’aurait fait accidentellement. Il l’a fait savoir, suppliant Apple de l’aider et de supprimer « cette arnaque ridicule » de sa plateforme. Apple a fait les deux, remboursant l’étourdi de sa poche.
5. « Third Intifada », l’application qui enjoignait au soulèvement contre Israël
Chants nationalistes, calendrier des prochaines manifestations pro-palestiniennes, articles incitant au soulèvement contre Israël… « Third Intifada » (« la troisième intifada »), application lancée en juin, n’y allait pas de main morte. Il a fallu que le ministre israélien de la Diplomatie en personne, Yuli Edelstein, demande à Apple de la retirer, ce que l’entreprise a fait le 23 juin.
« Je suis convaincu que vous êtes conscient de la capacité de ce genre d’application à fédérer beaucoup de monde vers un objectif qui pourrait être désastreux », avait écrit le ministre à Steve Jobs.
La suppression des applications semble vraiment aléatoire. Au point qu’on finit par penser qu’Apple a encore un peu de mal à détecter la fameuse « ligne à ne pas franchir ».
Eléonore Quesnel
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