Ordre du jour chargé et ambiance tendue à la réunion du bureau politique des Républicains (LR) qui se tient aujourd’hui 11 juillet. On discutera notamment de l’éventuelle exclusion des élus LR ralliés à la majorité présidentielle, parmi lesquels plusieurs membres du gouvernement. Jérôme Sainte-Marie, président-fondateur de l’institut PollingVox analyse la situation de la droite, déchirée par ses divisions.
« Les partis ne sont pas faibles parce qu’ils sont divisés, ils sont divisés parce qu’ils sont faibles », estime Jérôme Sainte-Marie. La situation est pour le moins inconfortable rue de Vaugirard où se tient aujourd’hui le bureau politique des Républicains. Le parti se trouve confronté à une crise historique. En effet, pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, le candidat de la droite a été éliminé au premier tour de l’élection présidentielle. Mais ce qui préoccupe les cadres du parti, ce sont les divisions de leur camp à l’Assemblée nationale.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Le groupe LR y est historiquement faible, seulement 100 députés. De nombreuses figures de la droite se sont fait élire sous l’étiquette de La République en marche (LREM) et quelques autres ont formé avec des députés UDI le groupe dit des « constructifs » Macron-compatible, qui compte 35 membres.
Si le président du groupe LR, Christian Jacob, avait déclaré suite à la formation de ce groupe que les députés l’ayant rejoint étaient « les bienvenus » s’ils souhaitaient « revenir dans leur famille », la position du parti vis-à-vis de ses dissidents semble s’être depuis durcie.
Menaces d’exclusion
Plusieurs procédures d’exclusion ont été lancées contre des figures importantes de la droite. Parmi elles : Thierry Solère, chef de file des « constructifs » et organisateur des primaires du parti ; Franck Riester, co-président du groupe ; mais sont aussi visés par une procédure disciplinaire Bruno Le Maire, ministre de l’économie, Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des comptes publics et même le Premier Ministre Edouard Philippe.
L’exclusion des leaders de la dissidence à droite est-elle pour autant certaine ou s’agit-il d’une posture de fermeté de la part de la direction des Républicains sans réelle intention de sanctionner les personnes concernées ? Pour Jérôme Sainte-Marie :
« Tout est compliqué dans cette situation, la position du parti vis-à-vis de ses dissidents est rendue très fragile du fait de l’abstention majoritaire dans le groupe LR dans le vote de confiance au gouvernement. Ne pas voter contre la confiance est une décision très lourde, très rare en réalité qui empêche d’accuser de trahison ceux qui partent. »
Les Républicains apparaissent trop fragiles pour se permettre de purger certains de leurs éléments les plus importants. Selon Christian Estrosi, qui a engagé ces dernières semaines un rapprochement avec la majorité présidentielle mais semble vouloir s’éloigner des polémiques qui agitent la droite, ces procédures d’exclusion seraient autant de « bûchers » destinés à « éliminer untel ou untel ». Dans une interview à BFMTV, il a déclaré : « Chez les staliniens, on disait ‘le parti se renforce en s’épurant’. Moi, je pense que pour se renforcer et préparer les victoires de demain, c’est en rassemblant, pas en excluant ». La question de la capacité pratique de LR à se défaire de ses éléments les plus dissipés se pose donc.
« C’est un parti qui est très affaibli par ses difficultés financières, ajoute Jérôme Sainte-Marie, qui est très affaibli par ses échecs successifs, c’est un parti qui doit préserver autant que faire se peut ses chances pour les sénatoriales en septembre. Ce qui rend l’éviction assez incertaine et très problématique. Ça peut les discréditer encore un peu plus auprès des élus de droite, ce n’est pas une décision administrative de virer Solère qui est l’organisateur de la primaire, qui est reconnu et apprécié. C’est très compliqué à faire et très compliqué à ne pas faire. »
Surtout, il n’est pas certain que couper les têtes qui dépassent suffise à résoudre les contradictions de la droite, dont les déboires actuels résultent d’une crise structurelle qui dépasse largement la question des divisions entre groupes parlementaires rivaux.
Qui pour prendre la tête des Républicains ?
Car l’autre grande question qui doit être abordée lors de ce bureau politique, c’est la date de l’organisation de l’élection du président du parti. François Fillon mis sur la touche, LR se retrouve sans leader. Aussi, tout naturellement, les factions s’organisent, avec cette particularité cependant que presque personne ne semble décidé à se lancer dans la bataille.
Seul Laurent Wauquiez apparaît pour le moment résolu à briguer la présidence de LR. Le président de la région Rhône-Alpes est le tenant d’une ligne sarkozyste dure. Il se fait l’héritier implicite de la ligne Buisson qui avait produit la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007 et avait failli la lui offrir en 2012. Tant sur la défense de la famille, de la tradition (cf. l’affaire des crèches de Noël dans les mairies), sur la dénonciation de la fiscalité, de « l’assistanat ».
Wauquiez assume une ligne dure, affiche sa volonté de renouer avec les classes populaires perdues au profit du Front national et tend à se rapprocher de la ligne Buisson. « C’est, je pensen la seule ligne tenable de la droite, la seule ligne qui permettrait à la droite de se reconstituer, analyse le président de l’institut PollingVox. Il a envoyé des signes assez nets, mais ça suppose quand même de revenir sur des années de banalisation idéologique de la droite » laquelle a « gommé les aspérités de son propos » durant les années 2000.
Cette ligne, après la défaite de Nicolas Sarkozy et l’affaire des écoutes qui a mis Patrick Buisson au ban de la vie politique, a accusé un fort recul. Depuis plusieurs années, “la droite s’est considérablement éloignée de tout ça, elle s’est ‘juppéisée’ si j’ose dire, mais c’est une ligne encore très minoritaire, c’est une ligne qui est peu appréciée par les secteurs les plus dynamiques de la bourgeoisie, et en particulier par les médias, c’est une position qui, dans la sociologie des dirigeants de la droite, est une position qui est difficilement tenable.”
C’est précisément contre cette ligne Buisson que Valérie Pécresse a lancé son mouvement cette semaine. Baptisé Libres !, le mouvement de la présidente de la région Ile-de-France affiche sa volonté de refonder une droite « ni soumise à Macron, ni poreuse avec le FN ». Dans une interview au JDD dimanche 9 juillet, celle qui était pressentie comme l’adversaire future de Laurent Wauquiez affirme néanmoins refuser de « participer à une guerre des chefs ».
C’est ensuite Xavier Bertrand qui a été poussé sur le devant de la scène, avant qu’il ne se désiste lui aussi. Bertrand et Pécresse s’affichent tous deux favorables à ce stade à la formation d’une direction collégiale plutôt qu’à l’élection d’un nouveau leader. Il est ainsi probable que le bureau politique de LR repousse à une prochaine fois le choix d’une date pour l’élection du président du parti. Pour Jérôme Sainte-Marie :
« La direction collégiale c’est toujours une manière de ne pas choisir entre différentes options, donc c’est une solution d’attente consistant à mettre différentes offres politiques représentées par différents individus sur la table en attendant qu’il y ait une décantation qui se produise, c’est à dire plus clairement en attendant que soit votée la réforme du code du travail essentiellement, une réforme sur laquelle il y a une vraie convergence entre l’opinion des députés de droite et la volonté du gouvernement représentée sur ces sujets économiques par des ministres issus de la droite. Mais une fois qu’aura été fait le travail de libéralisation de la société française au niveau de l’entreprise et de diminution de la part de l’Etat, enfin bref, de rupture avec le modèle social français, une fois que cette tâche historique aura été accomplie et bien ils espèrent tout simplement que l’usure du pouvoir que les difficultés sur les résultats ramène mécaniquement une partie de l’électorat En Marche vers eux. C’est un calcul politicien sur fond de difficulté à se définir idéologiquement et politiquement. C’est ce sur quoi mise ce qui reste du PS et ce qui reste de LR. »
Quelle refondation pour la droite ?
Si LR semble manquer de chefs pour pouvoir se livrer à une guerre des chefs, chacun entend néanmoins peser dans les évolutions à venir et l’heure est à la création de mouvements. Valérie Pécresse fonde donc « Libres ! », Virginie Calmels (proche d’Alain Juppé) est responsable du mouvement DroiteLib, de jeunes élus ont fondé Génération 2014 qui entend agir pour le renouvellement des instances dirigeantes en donnant davantage la parole à la base et aux jeunes, il y a le syndicat étudiant UNI et… Sens commun, organisation issue de La Manif pour tous qui avait permis la victoire à la primaire de François Fillon.
Consciente d’être prise en étau entre le quasi-hégémonique mouvement En marche ! et un Front national toujours puissant – quoique très affaibli dernièrement par ses querelles internes – la droite cherche à provoquer un renouveau idéologique. « Il y a un procès en incapacité qui est fait aux dirigeants, mais aussi un malaise idéologique très fort, poursuit Jérôme Sainte-Marie, aujourd’hui il est très difficile pour les leaders LR d’expliquer à l’opinion, à leurs sympathisants et à leurs députés la différence profonde entre la droite et cette offre politique nouvelle qu’est le mouvement En marche ! Si on veut faire aboutir des réformes libérales il est évident qu’En marche est beaucoup mieux stratégiquement configuré pour le faire et pas seulement parce qu’ils sont au pouvoir mais parce qu’ils rassemblent des forces convergentes pour le faire, ce que j’appelle la réconciliation de la bourgeoisie, alors qu’au fond l’œuvre réformatrice de Sarkzoy est assez limitée. Il y a cette impasse idéologique qui rend cette reconstruction très difficile, donc on en est réduits à un fétichisme de parti qui n’a pas beaucoup de portée. »
Si elle se produit effectivement, l’éviction des cadres ne sera, suivant cette analyse, qu’une solution de court terme incapable d’apporter une solution véritable à la crise d’un parti qui se cherche une identité.
Le 5 juillet s’est déroulé rue de Vaugirard un « atelier de refondation » organisé par Les Républicains. Peu de jeunes présents, beaucoup de retraités, et peu d’idées nouvelles, à l’image de l’électorat d’un parti sclérosé. De l’avis d’un militant présent sur place :
« C’est horrifiant de voir que le parti semble incapable de mener à bien une quelconque réflexion en interne. Il est incapable de porter un message clair, en opposition à Emmanuel Macron mais en condamnant avec intransigeance tout rapprochement avec le FN. Cet atelier est inutile dans le sens ou il ne permet pas d’apporter de vraies réponses à nos interrogations : quelle ligne politique pour demain ? quelle organisation pour le parti ? quels engagements de renouvellement des cadres ? quelle place pour les militants, les fédérations et les mouvements politiques internes comme DroiteLib ou Sens Commun ? Ce n’est pas en entassant 300 militants, qui plus est aux profils peu divers, retraités aisés, militants gaullistes depuis 60 ans) dans une salle, presque sans leur donner la parole, dans un exercice qui ressemble plus à une conférence du Cevipof et de Harris interactive qu’à un “atelier de la refondation”, que l’on va pouvoir relancer une dynamique autour de LR. »
Deux autres ateliers doivent se dérouler dans les mois à venir en province, à Arcachon et au Touquet… « La droite s’est laissé enfermer dans un électorat trop âgé, trop bourgeois, le fait qu’ils aient abandonné les catégories populaires au Front national les laisse complètement démunis quand il y a une offre plus intéressante qu’eux pour la bourgeoisie dynamique » analyse Jérôme Sainte-Marie. Difficile en effet de résister à la vague En Marche qui a su séduire les cadres, les professions libérales et les retraités. « Les personnes âgées c’est 15 millions de personnes, c’est le tiers du corps électoral théorique et beaucoup plus du corps électoral réel, c’est une donnée structurelle de la vie politique française » souligne Jérôme Sainte-Marie qui précise qu’on a pu observer au cours des élections présidentielle et législatives une « corrélation directe entre l’âge et le vote Macron ».
« Le travail de refondation ne peut se faire qu’à travers la définition de la fonction sociale d’un parti, à quoi ça sert et plus précisément à qui ça sert ? C’est aussi une question d’espace, c’est beaucoup plus compliqué pour la droite maintenant puisqu’elle a un concurrent, une formule qui défend les intérêts de catégories entières qui votaient à droite, par exemple les cadres supérieurs du privé, qui considèrent que leurs intérêts sont infiniment mieux défendus par En Marche que par la droite. »
Certains à droite, Nicolas Sarkozy en tête, s’étaient plus à citer Antonio Gramsci pour évoquer leur stratégie politique. Mais « Gramsci n’a jamais dit que les idées vivaient par elles mêmes, c’est une nuance du marxisme, pas un volontarisme idéologique, contrairement à ce qu’une lecture hâtive de Gramsci fait dire actuellement, le combat des idées ne peut pas se passer hors-sol, ne peut pas se passer en dehors de la défense de groupes sociaux, la question aujourd’hui c’est : qui a besoin de la droite ? Et ce n’est pas évident. » La crise de la droite est en définitive d’une double nature, une crise idéologique d’une part et une crise de ses soutiens d’autre part. Il faut enfin ajouter à cela le fossé grandissant entre les cadres et la base militante qui s’est largement droitisée ces dernières années du fait de l’influence du sarkozysme et de la ligne Buisson, de La Manif pour tous et de la campagne de François Fillon, comme l’a très bien analysé le politologue Gaël Brustier dans son ouvrage Le Mai 68 conservateur.
Cette base droitisée avait semblé trouver son champion dans la personne de François Fillon qui avait gagné largement la primaire avec 66,5% des voix. Il avait su incarner la suite logique de la dynamique de refondation idéologique engagée avec La Manif Pour Tous, convertie en offre politique par la création de Sens Commun, organisation fondée en 2013 qui a depuis intégré Les Républicains et a été le principal artisan de la victoire de l’ancien Premier Ministre de Nicolas Sarkozy.
« Le succès de Fillon à la primaire est extrêmement intéressant, ce n’est pas quelque chose qui doit être gommé par les déboires ultérieurs du candidat, ça a montré que cette ligne de l’ordolibéralisme trouve un public […] Ça a révélé quelque chose, je crois que la piste de la refondation de la droite, si la droite doit continuer à exister en France, suppose de revisiter le succès de Fillon. »
En fin de compte, que les dissidents « constructifs » soient évincés ou non lors de ce bureau politique, les divisions qui déchirent la droite ne semblent pas près de se résoudre. Et Jérôme Sainte-Marie de conclure : « Je ne suis pas sûr que ce soit une plaie très facile à cautériser parce qu’elle a des causes profondes qui vont bien au delà des ambitions personnelles d’X ou Y. »
{"type":"Banniere-Basse"}