Imposant, intrigant et pas franchement souriant, le nouveau maire d’Ekaterinbourg, la capitale de l’Oural, a pris les commandes de la quatrième ville de Russie depuis les élections municipales de septembre dernier. Il est le seul opposant à avoir arraché à un candidat de Poutine une grande ville de la Fédération.
« Voulez-vous coucher avec moi ? » Hilare, l’assistant d’Evgueni Roïzman nous accueille par ses mots. Cet après-midi-là, il nous a promis que l’on rencontrerait son mentor. En attendant, dans l’antichambre du nouveau maire, Igor n’hésite pas à exhiber le peu de français qu’il sait. Une petite heure et quelques répliques improbables plus tard, Evgueni Roïzman déboule, l’air affairé, au milieu de sa garde rapprochée. Finie la rigolade.
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Le 8 septembre dernier, la capitale de l’Oural et son million et demi d’âmes ont changé de représentant. Dans un pays où les opposants au régime n’accèdent jamais, ou presque, aux fonctions suprêmes, voilà qu’un homme a réussi à contredire le système établi. Non content de gagner les municipales face au candidat de Vladimir Poutine, Yakov Silin (également vice-gouverneur de la région de Sverdlovsk), Evgueni Roïzman a battu ce dernier dès le premier tour avec plus de 33 % des voix. Un résultat qui a surpris tout le monde sauf l’intéressé, par ailleurs allié de l’oligarque et homme politique Mikhaïl Prokhorov. Le costume soigné qu’arbore le nouvel édile d’Ekaterinbourg ce jour-là contraste singulièrement avec les tenues auxquelles il a habitué ses concitoyens. Avant, pendant, après son élection, ce grand et bel homme n’est jamais apparu de la sorte. Au mieux, c’était jean et chemise. Plus souvent, c’était baskets et sweat-shirt. Une marque de fabrique décontractée qui ne l’a pas desservi, semble-t-il.
« Je savais que j’allais gagner »
« Vous voyez, je le savais, lâche gravement Roïzman, imposant dans son fauteuil. C’est ma ville, j’y suis né et j’y ai grandi. Je savais que si je me présentais, j’allais gagner. Je le savais. Dans cette ville, j’ai remporté toutes les élections auxquelles j’ai participé (Evgueni Roïzman a aussi été député de 2003 à 2008, ndlr). » Somme toute, le siège de maire n’est qu’une victoire de plus pour cet homme de 51 ans très controversé et qui, jadis condamné pour fraudes et détention d’armes, a connu la prison au début des années 1980 avant d’être innocenté.
La victoire de Roïzman a pourtant ses écueils, au regard notamment du système de gouvernance russe. À Ekaterinbourg comme dans les autres villes de l’Oural, il y a d’un côté le maire, ici Roïzman, lequel fait office de représentant et de président du conseil municipal. Et de l’autre côté le directeur ou « city manager », ici un membre du parti Russie Unie (le parti du président de la Fédération russe). Lui a la main sur le budget et donc bien davantage de pouvoir. Evgueni Roïzman en est conscient, il est « un homme en dehors du système. [Sa] tâche consiste à identifier ce qui est bon et à faire quelque chose d’original grâce à ce mandat. » Le directeur de la ville et lui-même ont des fonctions tout à fait différentes.
Quand on demande au maire d’opposition si il a subi des pressions de la part du Kremlin, il assure que Moscou s’est contenté de regarder la tenue du scrutin de loin et n’est en aucun cas intervenu. Ce n’est pourtant pas ce que nous confiait ce cher Igor quelques minutes plus tôt, déplorant une situation difficile, du fait que « tout le monde est contre lui », que tous sont « corrompus » et que son candidat est sorti vainqueur du scrutin malgré les habituelles irrégularités électorales. Sans doute Evgueni Roïzman préfère-t-il cultiver une image d’homme fort plutôt que de se poser en victime. Là où on espérait éviter la langue de bois, cela se gâte.
Fin novembre sera désignée la ville hôte de l’Exposition universelle 2020. Il se trouve qu’Ekaterinbourg concoure, ce qui déplaisait fortement au candidat Roïzman qui ne manquait pas une occasion d’expliquer à ses concitoyens que cela n’apporterait rien à leur ville, sinon des dettes. Aujourd’hui maire, Roïzman ne tient plus du tout le même discours – il n’a d’ailleurs pas le choix. « C’est très important pour nous d’accueillir l’Expo 2020, se contente-t-il de dire. Ce sera un coup de pouce important pour le développement de la ville. Ekaterinbourg a un potentiel énorme, un potentiel de seconde ville de Russie (devant Saint-Pétersbourg, ndlr). » Quant au Mondial de foot 2018 – Eketarinbourg doit accueillir plusieurs matchs de la compétition, Roïzman ne critique plus le coût faramineux des travaux liés au nouveau stade.
Chasseur de dealers
Il y a au moins une chose qui ne change pas, c’est la ferveur avec laquelle Evgueni Roïzman parle de la fondation qu’il a créée voilà quinze ans et qui a, sans aucun doute, aidé à convaincre ses électeurs. La fondation « Ville sans drogues » est « un soulèvement populaire contre les trafiquants de drogue, explique calmement Roïzman. Avec plus de 5 500 opérations réussies contre les trafiquants, nous avons sauvé des milliers de personnes, continue-t-il. » Le maire n’évoque pas les bruits qui courent sur ces toxicomanes que l’on contraint au sevrage en les enfermant à plusieurs des jours durant et qui, parfois, ne s’en relèvent pas, ni de la rumeur qui veut qu’il copine avec la mafia locale. Il préfère nous parler de ce musée privé d’icônes russes (unique en Russie il est vrai) qu’il a également créé à Ekaterinbourg, lequel musée héberge l’énorme collection personnelle de Roïzman, cet historien de formation qui a rédigé deux livres sur le sujet.
Quand on demande, quand même, s’il est possible de visiter les locaux de la fondation, « il n’y a pas de problème ». Evidemment, l’espace que l’on nous montrera le lendemain ne renferme en fait que des bureaux où un certain Sergueï répond aux appels d’urgence. On parviendra quand même à visiter, en périphérie de la ville, un centre de rééducation pour toxicomanes (le pavillon des hommes – deux autres sont respectivement dédiés aux femmes et aux mineurs). La phase du sevrage passée, les « patients » y restent quelques temps en semi-liberté. Une visite dont il ressort surtout qu’Ekaterinbourg est la ville de Russie où l’on trouve le plus facilement de la drogue, selon un Biélorusse interné dans ce centre. Une réputation qui avait convaincu ce dernier de faire le déplacement depuis Minsk, soit la modique distance de 2 500 km.
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