Des tranchées irakiennes au salon de Jon Roberts, le fameux Cocaïne Cowboy, il n’y a qu’un pas. Le self-made journaliste et reporter de guerre Evan Wright l’a franchi pour faire parler un affranchi en toute confiance. Le résultat ? Un superbe roman documentaire qui rend un des plus grands gangsters du 20e siècle aussi attachant que révulsant. Evan Wright l’explique très bien lui-même. Interview.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire un livre avec Jon Roberts, le héros du film Cocaïne Cowboy ?
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Quand je l’ai rencontré, il m’a dit qu’il était un sociopathe. La plupart des criminels que j’ai côtoyés racontent leur enfance atroce ou expliquent leur code d’honneur. Pas lui, et c’était intéressant. Cependant, au fur et à mesure que le temps passait et qu’il racontait son histoire, certains schémas égoïstes sont apparus. Dans la plupart de ses histoires, quand il raconte avoir tabassé ou blessé quelqu’un, il accuse sa victime d’avoir fait quelque chose d’idiot, ou de l’avoir blessé d’une manière ou d’une autre. Parfois, il essaie de justifier ses actes d’une manière morale, juste avant d’abandonner.
Comment êtes-vous devenu proche de lui ?
Je suis devenu proche de lui en l’écoutant. Je ne suis pas porté sur le jugement, je sais que je ne suis pas Dieu ou une cour d’assises. Juger, ce n’est pas mon boulot. Je me vois comme un historien quand je parle aux gens. En plus, en tant que correspondant de guerre, j’ai vu beaucoup de morts, et Jon a perçu que je comprenais ça. Peu de temps après notre rencontre, il m’a dit « Evan, tu me comprends. Tu es dérangé comme moi« . J’ai ressenti le triomphe du journaliste qui gagne la confiance de son interlocuteur, mais aussi un genre de malaise. J’espère que ça n’est pas vrai, mais qui sait ? Un bon journaliste et un sociopathe criminel ne sont pas si différents.
Quel a été votre ressenti pendant tout le temps qu’ont duré ces entretiens ?
Même en essayant de ne pas juger Jon, il m’a souvent dégoûté. En même temps, il était très drôle, intéressant et très lucide dans sa propre perception. J’aimais bien traîner avec lui… Alors je me dégoûtais moi-même parce que j’appréciais sa compagnie. J’ai voulu conserver ce sentiment dans le livre. C’est lui qui raconte ses histoires et ses exploits, mais on sent quand même parfois qu’il implose et se contredit lui-même.
Comment définiriez-vous Jon Roberts ? Qu’est-ce qui vous a le plus impressionné chez lui ?
Il était à la fois lisse comme un vendeur immobilier et extrêmement violent. Il était très attachant. Et à l’inverse de beaucoup de types narcissiques, il s’intéressait aux gens. Avant sa mort (d’un cancer en 2011), il a passé beaucoup de temps à se demander s’il était le produit d’un environnement ou d’un patrimoine génétique. Il était terrifié à l’idée que son fils hérite de ses travers. Une chose qui m’a impressionnée chez lui est un rapport de police que j’ai lu. A 51 ans, Jon s’est fait arrêter pour une bricole. Les flics l’ont menotté, jeté sur la banquette arrière et, quand ils ont refusé d’allumer la clim, il a défoncé la fenêtre d’un coup de pied et sauté de la voiture en route. Quand les flics ont essayé de l’attraper, il leur a mis une dérouillée. Ils ont appelé du renfort, il a amoché d’autres flics encore. Ils ont dû utiliser des Taser et un chien pour le maîtriser. Dans le rapport de police, il est même stipulé qu’il a blessé le chien. Pas mal pour un type menotté de 51 ans!
Comment avez-vous travaillé, pour ce livre ? Quelle a été votre méthode ?
J’ai passé beaucoup de temps avec Jon. J’ai interviewé des tonnes de gens autour de lui. J’avais environ 1,5 millions de mots. Alors j’ai raccourci et tissé une grande trame. Le livre fait entendre plusieurs voix : Jon, sa soeur, sa femme, un de ses anciens associés, etc. J’ai interviewé chaque personne séparément, mais je me suis débrouillé pour que, dans le livre, leurs interventions donnent l’impression qu’ils suivent une conversation. Je voulais que le livre soit « naturaliste ».
De quelle manière travaillez-vous, en général ?
Je trébuche sur les sujets et je les absorbe ensuite comme une éponge. Après, quand j’écris, je suis en état d’anxiété totale, proche de la dépression nerveuse. Je n’ai jamais suivi de cursus d’écriture ou de journalisme! J’ai étudié l’histoire médiévale italienne à la fac. Quand j’ai commencé à écrire sur des criminels et la subculture américaine, c’était (dans ma tête en tout cas) un prolongement. Je veux savoir comment sont les gens. Pas ce qu’ils devraient être.
American Desperado (13e Note Editions), traduit de l’anglais par Patricia Carrera, 703 pages, 25,95 €
Propos recueillis par Tara Lennart
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