Pour les Inrocks.com, Eva Joly revient à froid sur la tonalité des réactions engendrées par l’évocation de son « rêve » de remplacer le défilé militaire du 14 juillet par un défilé citoyen.
Candidate d’Europe Ecologie-les Verts à l’élection présidentielle, Eva Joly subit depuis avant-hier une flopée d’attaques personnelles, venant aussi bien de la droite que de l’extrême-droite, autour de sa binationalité franco-norvégienne. Son crime de lèse-majesté? Avoir dit qu’elle rêverait de remplacer le défilé militaire du 14 juillet par un défilé citoyen.
Petit retour en arrière
Lionel Tardy, député UMP, a invité sur Twitter la député européenne à « retourner en Norvège ». Depuis Abidjan François Fillon a pointé que « cette dame n’a pas une culture très ancienne de la tradition française ». Lionnel Luca, député chargé par l’UMP de conduire le débat sur la binationalité, s’interroge sur ce « qu’elle aurait fait en 1944-45 », quant à Marine le Pen, elle paraissait presque timorée en estimant illégitime la candidature de l’ex-magistrate à l’élection de tous les Français.
Pointant d’abord un « faux pas » de l’écologiste, les socialistes ont joué les diesels avant de contre-attaquer en visant les propos du Premier ministre. De passage à Avignon, Martine Aubry l’a accusé de rejoindre « les thèses du Front national », François Hollande y a vu une « remarque blessante » pour nombre de Français, et dans le Parisien de samedi le Vert Daniel Cohn-Bendit a demandé à la droite si l’on allait désormais « reprocher à Madame Carla Bruni-Sarkozy sa double nationalité » ?
Pour les Inrocks.com, Eva Joly revient sur cet épisode qui pourrait bien donner le ton politique des huit prochains mois.
Pourquoi en est-on venu, jusqu’au plus haut sommet de l’Etat, à évoquer votre double nationalité?
Un vent mauvais souffle sur notre pays. Je ne vais pas feindre de le découvrir. Depuis plusieurs années, la droite française subit l’influence de nationaux-conservateurs qui tentent de polariser tout le débat public autour de leur vision obsessionnellement réductrice de l’identité nationale.
Ma proposition d’aménagement du défilé du 14 Juillet a cristallisé leurs oppositions en offrant un défouloir commode pour leur frustration. Certains présentaient jusqu’alors François Fillon comme un rempart contre la tentation xénophobe. Mais désormais, il semblerait que ce soit lui qui mène la charge. J’aimerais croire que c’est un dérapage. Il ferait mieux de relire La révolution française de Michelet : la France républicaine est d’abord celle de ses citoyens et des valeurs qu’ils partagent. Elle n’est pas celle de leur lieu de naissance.
Quelle remarque vous a le plus interpellée ?
Je distingue le débat politique normal des attaques qui se développent sur un substrat de xénophobie. J’ai un impératif de conviction dans le premier cas, un devoir d’opposition dans le second. Je me sens solidaire de ce que subissent au quotidien les millions d’habitants de notre pays qui ont à subir le discours incriminatoire de l’actuel gouvernement en raison de leur seule origine. J’ajoute qu’un vrai républicain ne fait pas le tri entre les Français.
Pensez-vous qu’il y aura, pour vous, des conséquences politiques durables à cet épisode?
Ce qui est certain, c’est que je ne compte pas abandonner l’idée républicaine à ceux qui tentent de la capturer à leur seul profit pour mettre au cachot le concept d’égalité entre tous les habitants de notre pays. Je démontrerai d’ailleurs pendant la campagne à venir que l’écologie politique, en rendant centrale la question de la gestion des biens communs de l’humanité, redéfinit l’intérêt général et ouvre une perspective de refondation de la République. Dans cet esprit, notre campagne présentera des propositions fortes, y compris en matière de défense et pour renforcer le lien entre l’armée et ses citoyens.
Devant certaines réactions xénophobes d’une partie de la classe politique de droite et les réactions mitigées voire de désaveu d’élus du PS, avez-vous douté de votre engagement à l’élection présidentielle de tous les Français?
Pas un instant. J’ai entamé une démarche visant à réussir le rendez-vous entre la France et les écologistes. Rien ne m’en détournera. L’enjeu est trop important : le prochain président de la République doit engager d’urgence une politique de transition écologique pour affronter la crise environnementale tout en faisant face à la crise économique et à la crise sociale.
Seuls les écologistes sont porteurs de réponses à la hauteur de cet enjeu, qu’il s’agisse de la sortie du nucléaire, de la lutte contre le réchauffement climatique ou de remettre la finance à sa place au niveau européen.
Prolongez, pour nous, votre rêve d’un nouveau 14 juillet : comment l’imagineriez-vous exactement?
Je rêve d’un renouveau de l’idée républicaine en France. C’est l’esprit de ma proposition. Sur le fond, je voudrais que le 14 Juillet soit l’occasion d’un défilé des forces vives de la Nation. C’est cela pour moi le défilé citoyen: montrer que la première force de la France, c’est l’ensemble de son peuple.
Sur la forme, j’imagine un défilé où des grands-parents aux petits enfants, tous se rejoignent autour des symboles de la République. Par ailleurs, le 14 Juillet doit aussi être un rendez vous de la culture et de la création. La richesse de notre imaginaire, qui rayonne dans le monde entier, mérite bien d’être associée à la célébration de la République, non?
Recueilli par Geoffrey Le Guilcher