En campagne pour les européennes, Eva Joly a organisé un “Finance tour” dans les lieux emblématiques de la finance parisienne pour dénoncer l’évasion fiscale et les dérives de la “finance prédatrice”. L’occasion pour la magistrate de revenir sur l’affaire Kerviel.
Les actionnaires de la Société générale se sont donné rendez-vous mardi 20 mai au siège de la banque pour leur assemblée générale annuelle. Eva Joly et Pascal Canfin aussi. Si les deux responsables écolos se sont invités à la sauterie, ce n’est pas tant pour applaudir les nouveaux émoluments du président de la SoGé, que pour inaugurer un “Finance tour” traversant les lieux parisiens les plus emblématiques de la “finance prédatrice”.
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“Je vais vous parler de la Société générale et de ses activités spéculatives”, commence la magistrate, candidate à sa réélection au Parlement européen. Face à elle, sous le crachin printanier qui mouille le parvis de la Défense, la trentaine de journalistes et de militants tendent leurs micros.
“En 2008, l’année où démarre l’affaire Kerviel, la Société générale gagne 16 milliards d’euros grâce aux produits dérivés. Mais personne n’est allé voir comment ces 16 milliards se sont constitués. Jérôme Kerviel a été condamné à rembourser 4,9 milliards d’euros – un montant décrété par la banque, évaluant seule le montant de ses pertes. Il n’y a pourtant pas de raison particulière de croire la Société générale, qui, depuis quinze ans, est impliqué dans des dossiers de blanchiment ou de non-respect de la régulation.”
Dénoncer un “système problématique qui échappe à la lumière”
Technique, celle qui a fait tomber le patron d’Elf aligne les arguments contre la grande banque française. En croisade contre la finance, elle répète à qui veut l’entendre son soutien à Jérôme Kerviel, emprisonné depuis dimanche.
Mais attention : “Il ne s’agit pas de prendre la défense de Kerviel mais de montrer un système problématique qui a échappé à la lumière”, tempère Pascal Canfin, fondateur de l’ONG Finance Watch, genre de Greenpeace de la finance. Comment croire que les patrons de Kerviel n’ont rien su de ses fraudes alors que le tradeur truqueur ramène des sommes bien au-dessus de la normale ? Que les boîtes mail des cadres de la SoGé n’ont pas été analysées par la justice?
Eva Joly surenchérit : “Il faut rendre hommage à l’exceptionnel talent des communicants et des avocats de la banque qui ont réussi à faire oublier que l’épargne des citoyens n’était pas protégée.”
Un procès devrait avoir lieu devant la cour d’appel de Versailles pour déterminer quelle part des 4,9 milliards d’euros de dommages et d’intérêts devront payer la Société générale et Kerviel, après que la Cour de cassation a cassé le jugement qui considérait Kerviel comme seul responsable. “Je n’y crois pas, glisse encore la magistrate. La Société générale a les moyens de tout faire arrêter, d’autant que les traces des transactions ne sont pas conservées indéfiniment…”
L’impuissance des politiques
Mais si la justice ne prend pas les devants, le politique le peut lui. “Christine Lagarde, alors ministre des Finances, a fait un cadeau fiscal de 1,7 milliard d’euros à la Société générale, soit l’équivalent de 30 euros par Français. Tout ça pour renflouer la banque soi-disant ‘victime’ de la fraude, dénonce Julien Bayou, porte-parole d’Europe Ecologie-Les Verts. Mais la justice n’avait pas encore décrété Kerviel coupable à ce moment-là ! Une enquête montre qu’à Bercy les fonctionnaires savaient alors qu’ils faisaient une énorme erreur. C’est la responsabilité de Michel Sapin d’engager tous les moyens pour récupérer cette somme”.
Sauf que jusque-là, la finance a été plutôt épargnée par les gouvernements Ayrault et Valls.
“J’attends toujours le grand discours de François Hollande pour qu’il dise ce qu’il a fait contre la finance, raille Pascal Canfin, qui a démissionné de son poste de ministre du Développement il y a deux mois. Je l’ai constaté de l’intérieur, il n’a pas été à la pointe de son combat phare de la campagne présidentielle.”
Certes il y a bien eu une “mini-loi” sur les transactions bancaires, qui “au lieu de prélever 37 milliards d’euros par an comme le proposait la Commission européenne, en prélèvera 3 ou 4 maximum”. “C’est une occasion manquée incroyable”.
Reprendre la main sur la finance
Le Finance tour continue. Après La Défense, le bus vert marque un arrêt avenue Montaigne, devant la banque Reyl, ce cabinet suisse fréquenté par Jérôme Cahuzac.
Il faut reprendre la main sur la finance et “aller chercher l’argent planqué dans les paradis fiscaux” afin d’investir dans la transition énergétique, assène Canfin. “Les actifs gérés à partir des paradis fiscaux sont de 26 000 milliards de dollars, soit un tiers du PIB mondial (72 000 milliards en 2012 – ndr)”, explique à son tour Eva Joly.
Dernier arrêt, le jardin du Luxembourg, clin d’œil appuyé à Jean-Claude Juncker, candidat de droite à la Commission européenne, ex-premier ministre du Grand Duché, et défenseur invétéré des paradis fiscaux. “La finance a un visage, celui de Juncker. La lutte contre la finance a un visage, c’est celui d’Eva Joly”, martèle Canfin dans un grand sourire.
Le temps d’un happening rigolo où de jeunes écolos déguisés en traders s’enfuient à travers les grilles du parc une valise remplie de billets à la main, et c’est déjà le moment de se séparer. Joly est attendue à Montreuil pour un grand meeting avant l’élection de dimanche. Les militants entonnent un dernier chant avant de filer : “On ira tous au paradis… fiscal”.
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