Le résultat des élections européennes pour la France insoumise est un camouflet. Le soir du 26 mai, les cadres de l’organisation de gauche radicale peinaient à y voir clair.
C’est un voyage inattendu dans le temps. A l’issue du scrutin du 26 mai pour les élections européennes, la France insoumise (LFI) se retrouve projetée des années en arrière. Avec 7 % des voix (derrière le RN, LREM, EELV et LR), la formation de gauche radicale revient au même niveau que le Front de gauche (réunissant le Parti de gauche, le PCF et d’autres petits partis) en 2014 (6,61 %). Elle fait même jeu égal avec le PS (allié à Place publique), dont les caciques de LFI proclament la mort depuis des années. La mine fermée, Manon Aubry, tête de liste de 29 ans qui essuie ses premiers plâtres en politique, prend acte de l’affront : “Les résultats sont décevants par rapport à nos espérances et à nos efforts. Mais cela confirme que LFI s’ancre dans le paysage politique”, déclare-t-elle devant ses troupes réunies au Belushi’s (Paris, Xe). Quelques minutes plus tard, Jean-Luc Mélenchon jugera les résultats “très décevants”.
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“Ce n’est pas une soirée heureuse pour nous”
Le chef de file du mouvement s’est fortement impliqué dans la campagne dans sa dernière ligne droite, faisant de l’élection un référendum anti-Macron – en témoigne le slogan trouvé par François Ruffin : “Dites Manon à Macron”. En vain. “Ce n’est pas une soirée heureuse pour nous, convient Jean-Luc Mélenchon. Pour la deuxième fois l’extrême droite gagne l’élection européenne. […] Notre pays s’enfonce dans une crise profonde. Nul n’en perçoit l’issue positive. Notre responsabilité est de tâcher de l’ouvrir”.
C'est l'heure des combats et des caractères.
Réaction à l'annonce des résultats des élections européennes de 2019. #ElectionsEuropeenne2019 pic.twitter.com/ywTq7RBPWR
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) May 26, 2019
Pour l’analyse de la contre-performance de LFI, on repassera plus tard. Ce soir, c’est l’antifascisme qui prime – le député du Nord Ugo Bernalicis, présent dans les parages, arbore le triangle rouge symbole des déportés communistes. Pourtant, un grand remue-méninges travaille intérieurement les insoumis. “Il va falloir qu’on réfléchisse, car le moment politique est très important, tant du point de vue de la situation sociale avec les Gilets jaunes, que du point de vue de l’urgence climatique”, décrit Martin, un militant LFI. En trois ans, LFI semblait avoir acquis une place centrale à gauche : avec ses 19 % à la présidentielle de 2017, ses 17 députés “de combat” envoyés à l’Assemblée, sa “fête à Macron” ou encore la “marée populaire”, elle incarnait une force motrice. Qu’est-ce qui l’a faite dérailler ?
“Il ne faut pas tirer de conclusions trop hâtives”
L’affaire des perquisitions, les billets de blog au vitriol de Jean-Luc Mélenchon contre “les médias”, les départs ou les réserves de plusieurs responsables de LFI sur l’orientation politique et le fonctionnement interne, ou encore la conversion spectaculaire au RN d’un militant LFI inconnu au bataillon ont sans doute pesé dans la balance. Mais pour l’heure, les insoumis relativisent plutôt le sens de ce revers : “Je suis un peu surpris par ce résultat, c’est une déception”, déclare Guillaume Tatu, militant LFI. “Mais LFI est une force politique qui n’a que trois ans, et il est traditionnellement difficile de mobiliser notre électorat pour le scrutin européen. Le temps de l’analyse viendra après”.
Younous Omarjee, réélu député européen de LFI (qui passe tout de même de 2 à 6 eurodéputés), minimise lui aussi le cataclysme : “Il ne faut pas tirer de conclusions trop hâtives, ni surévaluer la signification nationale de ce scrutin. Traditionnellement, il mobilise davantage les pro-européens, et le FN. Rappelez-vous en 2009, alors que le ‘non’venait de l’emporter en 2005, le résultat du Front de gauche n’était pas à la hauteur de ce qu’on pouvait espérer”. Gageons que ce calme apparent n’est qu’une façade, en prélude à une autocritique réservée aux instances internes du mouvement dans les prochains jours.
“Faire du bruit”
Car après un tel score, l’appel à construire une “fédération populaire” avec d’autres organisations de gauche lancé par Jean-Luc Mélenchon dans Libération n’a plus la même portée. La voix de l’insoumission s’est enrouée. Dans le sprint final de la campagne électorale, les insoumis ont tiré à boulets rouges sur les écologistes (les accusant de vouloir faire une coalition avec le PS, Les Républicains et LREM au Parlement européen) et sur le candidat communiste Ian Brossat. Avec un peu de recul, cette attitude cavalière semble d’autant plus déplacée. Pour l’instant, les cadres insoumis prétendent ne pas s’intéresser à la redistribution potentielle des cartes à gauche. La création de LFI a été un moyen pour Jean-Luc Mélenchon se faire table rase de la “tambouille” et des “arrangements” entre partis. Même s’il a invité à “se fédérer tous ceux qui partagent cette volonté (de combattre le RN et LREM, ndlr)”, l’heure ne semble donc pas encore au changement de méthode. “C’est l’heure des combats et des caractères”, a lancé le député des Bouches-du-Rhône.
Leïla Chaibi, qui vient d’être élue eurodéputée, dit penser en priorité aux abstentionnistes : “Il faut toujours avoir en tête d’aller les chercher, sans retomber dans l’idée des cartels du XXe siècle. Le but ne doit pas être de piquer des parts de marché aux autres partis de gauche. D’ailleurs Yannick Jadot a fait son score sans s’allier à d’autres partis”, affirme-t-elle. Fédérer le peuple reste donc une formule pertinente officiellement, même si le contexte de mobilisation des Gilets jaunes n’a pas joué en la faveur de LFI. La révolution citoyenne ne déferlera pas sur le Parlement européen, mais Leïla Chaïbi espère bien y amener tout de même un vent d’insoumission : “On ne sera pas aussi nombreux qu’on l’aurait souhaité, mais notre responsabilité est d’autant plus grande. L’enjeu pour nous six va être de faire du bruit, de le dé-technocratiser, à l’instar de nos députés à l’Assemblée nationale.” Pour cela, LFI devra retrouver sa voix.
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