Les nostalgiques de Thierry Roland vont devoir s’habituer. Transfuge de Canal+, Grégoire Margotton est depuis quelques jours le nouveau commentateur de l’équipe de France sur TF1. Bosseur, discret, apprécié de ses confrères, ce fan d’indie-rock apporte sa touche personnelle, sobre et modeste.
« L’aventure commence ce soir, on compte sur vous !” Le message est concis, clair et limpide. Il est 20 h 42 quand les spectateurs de TF1 découvrent le visage du nouveau commentateur, nommé le 10 mai, des matches de l’équipe de France de football. Il rejoint ainsi l’ancien Bleu Bixente Lizarazu et l’homme de terrain Frédéric Calenge à l’occasion du match amical France-Cameroun (3-2).
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A 46 ans, Grégoire Margotton a quitté le poste de commentateur vedette de Canal+ où il a effectué l’intégralité de sa carrière – mais où il partageait ce statut avec Stéphane Guy depuis 2014 – pour faire les quelques mètres qui séparent les bureaux de la chaîne cryptée de ceux de la plus grande chaîne d’Europe, situés à Boulogne-Billancourt.
« J’étais fan des Stones Roses, des Happy Mondays, d’Inspiral Carpets »
A première vue, Grégoire Margotton est l’archétype de l’homme lisse sur lequel la critique – quand elle existe – glisse comme l’eau sur les plumes d’un canard. Une apparence de vrai gentil, entre le premier de la classe et le gendre idéal. D’ailleurs, sa première au micro des Bleus, le 30 mai, pour ce premier match de préparation en vue de l’Euro 2016, a été un modèle du genre.
Calme, tenue et sobriété enveloppées d’un grain de voix grave, Margotton semble comme sur pilotage automatique durant les 90 minutes d’un match de foot. “C’est le meilleur commentateur et je ne dis pas ça parce que c’est mon pote, explique Vincent Radureau, entré en même temps que lui à Canal+. Jamais Greg ne m’a fait me sentir mal à l’aise en écoutant un match de foot.”
il préfère le club mythique de l’Haçienda à Anfield Road, l’antre du Liverpool FC
Depuis 1984, il n’est que le quatrième journaliste à commenter les Bleus après les regrettés Thierry Roland et Thierry Gilardi ou son prédécesseur Christian Jeanpierre. Mais des quatre, Margotton est sans doute le seul à préférer le mythique club mancunien de l’Haçienda à Anfield Road, l’antre du Liverpool FC.
“En 1989, lors de mon année scolaire à Liverpool, j’allais à un concert tous les soirs. J’étais fan des Stones Roses, des Happy Mondays ou d’Inspiral Carpets que j’ai vus une fois à Manchester dans une salle miteuse. Ils étaient totalement malades, le concert était énorme”. A ces souvenirs, Margotton a les yeux qui pétillent et le moteur qui s’emballe : “Je n’ai jamais pris d’acides, jure-t-il, mais j’ai passé les meilleures soirées de ma vie.” On y croit.
« Pour faire court, avec Grégoire, il n’y a jamais de problème »
La vie de ce Lyonnais de bonne famille, limite “bourgeois de province”, avait jusque-là tout l’air d’un long fleuve tranquille. Enfance heureuse entre les bords de la Saône et du Rhône ; des parents intellos (son père enseigne l’allemand à la fac et sa mère le français, le grec et le latin au lycée) mais pas rétifs au sport. Son frère échouera en sport-études et deviendra musicien.
Bac en poche, Grégoire se rêve à Sciences-Po. Patatras, l’échec est dur à avaler. Il végète en licence d’anglais. C’est là qu’il décide de terminer son cursus outre-Manche. “ça m’a sauvé la vie”, confie-t-il. De retour en France, Margotton ne se coupe pas encore les cheveux qu’il porte jusqu’aux épaules mais réussit le concours du Centre de formation des journalistes (CFJ) “grâce à (son) niveau d’anglais”.
Margotton a été biberonné à l’école Canal par le professeur principal, Charles Biétry. L’ancien directeur des sports de Canal+ (1984- 1998) est à l’origine de son recrutement en juin 1992, alors qu’il sort de l’école. Il se souvient avoir été rapidement conquis par le jeune stagiaire : “Dire que c’est une assurance tous risques serait péjoratif pour lui, tant il est pétri de qualités, assure-t-il. Pour faire court, avec Grégoire, il n’y a jamais de problème.”
« J’aurais trouvé le moyen de retourner en Angleterre »
Il semble bien révolu le temps où son prédécesseur au micro des Bleus, Christian Jeanpierre, était la cible de critiques – très souvent injustifiées – à chaque prise de parole. Mieux, le soir de France-Cameroun, sur le célèbre réseau social à l’oiseau bleu, Grégoire Margotton est jugé “homme du match”.
Mais derrière une apparente décontraction, l’homme intrigue. On lui demande s’il ne ressent pas de pression. “Imagine un joueur formé au Barça et qui y remporte tous les trophées. A 27 ans, on lui propose, au même moment, un transfert au Real Madrid et une sélection en équipe nationale. C’est à peu près l’état dans lequel je me trouve”, explique-t-il, un poil trop préparé.
Depuis quelques jours, le nom de Margotton est partout, les articles s’enchaînent et le quotidien de référence, L’Equipe, lui a même réservé un article pour juger de sa première prestation au micro. Naïf ou faux modeste, il assure que cette médiatisation ne l’émeut pas plus que ça : “Je préfère que ça m’arrive aujourd’hui à 46 ans plutôt qu’à 25 ans, tempère-t-il toujours souriant. Je sais que ça va se calmer et que je reprendrai vite mon rythme de croisière.”
Rien ne le prédisposait pourtant à une carrière d’un quart de siècle dans les bureaux de la chaîne cryptée, et encore moins au service des sports : “Si je n’étais pas tombé dans un service de sports, j’aurais trouvé le moyen de retourner en Angleterre, pour y parler de musique”, jure-t-il, un rien flagorneur.
« Si t’es champion, tu nous parles ? »
L’Angleterre, il y retournera pourtant très vite à ses débuts sur Canal, notamment pour suivre le meilleur joueur français de l’époque, l’attaquant vedette de Manchester United Eric Cantona. C’est à cette occasion qu’il obtient à l’arraché son premier “scoop” .
Le 25 janvier 1995, “The King” craque après avoir été expulsé. Il adresse un coup de pied spectaculaire à un supporter de Crystal Palace qui l’insultait depuis les tribunes. Un geste immortalisé sous le nom de “kung-fu kick”. Grégoire Margotton se rappelle de la véritable traque qu’il lance alors : “Après son geste, il n’a plus parlé à la presse française pendant un an et demi. A son retour à la compétition, je l’attendais à chaque fin de match une demi-heure pour lui parler. Jamais un mot.”
« Alors une fois, à Blackburn, je suis sorti devant le bus, il pleuvait à torrent. Sur une feuille A4, j’avais noté le message : ‘Si t’es champion, tu nous parles ?’ Il m’a vu à travers la vitre et m’a fait un signe du genre exaspéré : c’est bon, tu as gagné. Six mois plus tard, ils étaient champions et j’avais mon interview. Elle était horrible, je l’ai tutoyé mais j’étais tellement content.”
A Canal aussi, ils sont contents. Durant vingt-quatre ans, il gravira une à une les marches. En 2012, le nouveau venu beIN, où a migré entre-temps son mentor Biétry, tentera même de le débaucher, en vain.
« Grégoire ne sera jamais un hurleur ou un chauvin »
A TF1 désormais, après les matchs de coupe d’Europe ou des championnats français ou étrangers sur Canal, Grégoire commentera ceux de l’équipe de France, qui peuvent réunir plus de vingt millions de téléspectateurs. Un poste qu’on dit parfois plus réservé à un commentateur chauvin et supporter.
Charles Biétry balaie l’idée reçue : “C’est une légende de croire qu’on commente l’équipe de France de façon différente. Après, c’est vrai qu’une partie du public peut être plus supporter et qu’il faut, sans aller jusqu’à le flatter, ne pas aller contre son désir, qui est de voir l’équipe de France gagner. Grégoire ne sera jamais un hurleur ou un chauvin. Il ne dira jamais ‘Monsieur Foote, vous êtes un salaud’ (comme Thierry Roland s’adressant à l’arbitre d’un Bulgarie-France en 1976 – ndlr) et il fera bien de ne jamais le dire.”
L’intéressé confirme, avec tout ce qu’il faut de courtoisie : “Ce qu’on appelle du chauvinisme en 2016 n’est que le fruit d’un changement d’époque. On ne pourrait plus dire aujourd’hui certaines choses à la manière de Coluche ou Desproges.”
« Mon regard d’enfant se tourne vers Liverpool”
En le poussant un peu, Margotton arrive même à sortir de sa réserve : “Même si j’aime mon pays et sa culture, je l’ai quitté tôt. C’est ce qui m’a sauvé et m’a fait grandir. Je suis très attaché à la France mais je pourrais vivre dans un autre pays. Je me sens français mais j’ai la chance de parler d’autres langues, d’avoir voyagé et de me sentir bien ailleurs. J’ai de l’empathie pour d’autres sélections. Alors, apparaître comme un ‘footix’ ne me pose aucun problème. Mon regard d’enfant sur le foot se tourne toujours vers Liverpool.”
L’homme des Bleus préfère donc définitivement le rouge. “Le football n’est pas une question de vie ou de mort, c’est quelque chose de bien plus important que cela”, avait un jour déclaré le mythique manager des Reds de Liverpool, Bill Shankly. Lundi soir, une heure et demie avant le coup d’envoi de son premier match sur TF1, Margotton tweetait : “A la fin, c’est toujours le ballon le plus important…” Toujours en sobriété.
France-Roumanie vendredi 10, 21 h, TF1
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