Le parti de la gauche radicale mené par Alexis Tsipras remporte les élections législatives en devançant de plus de huit points le parti de droite Nouvelle Démocratie, le parti du Premier ministre Antonis Samaras. Un écart supérieur à ce que prédisaient les derniers sondages.
À Exarchia, la victoire de Syriza revêt une saveur toute particulière. C’est dans ce bastion de la gauche radicale athénienne, qu’Alexandros Grigoropoulos, un jeune lycéen de 15 ans, a été tué par balles par un policier en 2008. Sa mort avait déclenché d’immenses manifestations et des affrontements pendant plusieurs jours. Ce soir, dès l’annonce des premiers résultats, c’est sans surprise qu’une foule animée a envahi les bars et ces ruelles couvertes de graffitis dénonçant la montée du fascisme et la tutelle de la Troïka (Commission européenne, BCE et FMI).
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“Ce soir, toute l’Europe prend conscience que la Grèce est à bout de souffle et qu’il faudra renégocier la dette”, s’enthousiasme Alkminia, 24 ans. Comme lui, les électeurs ont rejeté les mesures imposées depuis 2010, lors de la mise sous perfusion financière de la Grèce. Selon les derniers résultats du ministère de l’Intérieur, Syriza affiche, dimanche 25 janvier, une avance de huit points face à la droite, 36,1 % contre 28,1% des suffrages. Les projections en siège donnent au parti d’Alexis Tsipras, qui deviendra le plus jeune Premier ministre grec, 149 sièges au Parlement, à deux sièges seulement de la majorité absolue.
L’euphorie d’un basculement historique
Depuis l’annonce des résultats, Exarchia baigne dans ce sentiment à la fois euphorique et incertain, celui que l’on ressent lors d’un basculement historique. Le quartier abrite le Diktio, un centre social de référence venant notamment en aide aux réfugiés. Ici, chaque année on organise un festival de lutte contre le racisme. Alors que l’on soit pro-Syriza, anarchiste ou électron libre, chacun s’empresse de commenter les résultats partiels : les conservateurs de Nouvelle Démocratie, le parti du Premier ministre sortant Antonis Samaras, a 76 sièges ; Aube dorée, le parti d’extrême droite se classe troisième avec 6,3 % (17 sièges, un de moins qu’en 2012) : “L’extrême droite recule. Au delà de la victoire de Syriza, c’est aussi très encourageant”, se réjouit Vaggelis, 27 ans.
Les hypothèses de scénario foisonnent, oscillent et s’entrechoquent car la question de la majorité absolue de Syriza au Parlement est encore en jeu, et donc la perspective d’alliances parlementaires. Or, à la différence du parti espagnol Podemos, construit sur le principe d’assemblées citoyennes et de cercles, Syriza est un parti politique au sens classique, issue d’une coalition électorale et beaucoup moins proche de sa base électorale. “J’attends de voir avec qui va gouverner Syriza. Il ne faudrait pas qu’une alliance vide de sa substance son programme”, met ainsi en garde, Katerina, 40 ans, architecte au chômage.
« Le paquet social » : des mesures immédiates
Alexis Tsipras a l’intention d’appliquer des mesures immédiates comme le “paquet social” avec une remontée du salaire minimum de 580 à 751 euros, la distribution de coupons repas, l’accès aux soins gratuits… “Nous sommes désormais une ‘opposition de propulsion’, qui va veiller à ce que les mesures promises par Syriza soient réellement mises en place » insiste Andreas, trentenaire alerte. Celui-ci avoue avoir mangé encore ce soir, à quelques centaines de mètres de là, grâce à l’association Bouroume ! qui distribue la soupe populaire aux retraités et aux familles les plus précaires. 30 % de la population grecque vit sous le seuil de pauvreté ; 25,5 % de la population active est au chômage : c’est cette Grèce lessivée par quatre ans de politique de rigueur qui a basculé dans le camp de Syriza.
Depuis 1974, lorsque la dictature des colonels s’est écroulée, deux partis se partageaient le pouvoir : les socialistes du Pasok et la droite incarnée aujourd’hui par Nouvelle Démocratie. “Nous arrivons à la fin d’un cycle et Syriza est la seule alternative crédible” poursuit tout émue Anna, portant péniblement ses deux enfants dans les bras. Car les sociodémocrates du Pasok dégringolent encore avec 4,88 % des voix et 13 sièges, contre 33 en 2012. “Alexis Tsipras a été déterminant dans le succès de Syriza : il a porté un discours bien plus cohérent que la classe politique grecque, engluée dans ses privilèges et les logiques d’appareils” analyse Ania, étudiante non loin de là, à l’école Polytechnique.
Depuis l’annonce des élections grecques, une victoire de Syriza est présentée comme une menace pour la zone euro, notamment par le Premier ministre sortant Antonis Samaras (le “Grexit”, la sortie de la Grèce de la zone euro ou encore un “bank run”, l’écroulement des banques grecques). Cependant, pragmatique, Syriza s’engage à maintenir un budget équilibré, souhaite que la Grèce reste dans la zone euro, et propose une renégociation au niveau européen de la dette du pays, qui représente 175 % du PIB annuel. Depuis vendredi, la chancelière allemande Angela Merkel souhaite d’ailleurs trouver “tranquillement des solutions”.
En Grèce, où les caisses de l’État sont vides et l’accès aux liquidités reste très limité pour les banques, il faut cependant espérer que l’adaptation de Syriza, qui n’a jamais exercé le pouvoir au niveau étatique, soit rapide. Et que s’engage une réflexion de fond sur ce qui est allé de travers, avant, et durant la gestion de la crise des subprimes en Europe.
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