« Cette fille mérite-t-elle d’être violée ? ». Neuf étudiantes de l’École supérieure de commerce de Dijon ont réalisé une vidéo en posant cette question à des dizaines de passants. 450 000 vues plus tard, la séquence a relancé le débat sur le harcèlement de rue et la culpabilisation systématique des victimes de viol.
“Ma façon de m’habiller mérite-t-elle de me faire agresser ?”. Le 13 avril dernier, une vidéo réalisée par neuf étudiantes de l’école de commerce de Dijon (et dont le campus est basé à Lyon) montrait la réaction des passants lorsque l’on posait cette question. 450 000 vues plus tard, ces neuf filles ont réussi à relancer le débat autour du harcèlement de rue. Un mois après, elles ont accepté de revenir sur l’origine du projet et sur ses conséquences.
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Une enquête aux résultats stupéfiants
Agacées par les harcèlements qu’elles vivaient au quotidien, ces neuf étudiantes avaient décidé d’orienter leur projet de fin d’année vers la défense des droits de l’homme et plus particulièrement celui des femmes. L’idée est partie de la lecture d’une enquête publiée en mars 2016 par l’institut Ipsos et l’association Mémoire Traumatique et Victimologie concernant les représentations du viol et les violences sexuelles en France.
On y apprend que 19% des personnes interrogées considèrent que des femmes qui disent « non » à une proposition de relation sexuelle veulent en fait dire « oui ». Ou encore que 21% des femmes peuvent prendre du plaisir à être forcées lors d’une relation sexuelle. Plus grave encore, près de 40% des personnes interrogées estiment que la responsabilité du violeur est moins grave si la victime a eu une attitude provocante en public. 27% révèlent même que la tenue vestimentaire de la victime serait assimilée à une attitude provocante. C’est ce dernier résultat qui a le plus stupéfié ces étudiantes.
(De gauche à droite sur la photo : Camille El-batal, Marine Le Bars, Mathilde Chaix, Emma Ziegler, Orégane Arnaud, Marie Rochet, Estelle Massaunet, Louise Leyendecker et Calixte Prononce)
Ma façon de m’habiller mérite t-elle de me faire agresser ?
Cette bande de copines a alors décidé d’utiliser cette étude pour une expérience sociale. Lors d’un séminaire organisé par leur école à Dijon, elles sont descendues dans les rues de la ville pour un test grandeur nature. Le concept est simple : cinq d’entre elles se sont installées sur l’artère principale de la ville, toutes vêtues différemment. Une en jean/col roulé, bien couverte. Une en jupe/débardeur. Une autre en manteau. Une autre en tenue casual et enfin la dernière en jupe accompagnée d’un mini-haut. Chaque étudiante portait un panneau sur lequel était inscrit : « Ma façon de m’habiller mérite t-elle de me faire agresser ? ». Les passants étaient alors invités à coller des étiquettes sur celle(s) qu’ils trouvai(en)t la plus provocante.
« Beaucoup de témoignages violents »
Elles pensaient rester des heures entières à devoir solliciter les passants pour les amener à participer à leur projet. A leur grande surprise, ils ne se sont pas fait prier pour juger leurs tenues. En vingt minutes, l’expérience était bouclée.
Deux étudiantes étaient chargées de relever les réactions des passants en enregistrant leurs propos et en filmant la scène. Parmi elles, Louise, qui nous raconte le déroulement de l’opération :
« Nous avons choisi les témoignages. Nous n’avons pas voulu tout mettre. Certains d’entre eux étaient trop injurieux : « T’es habillé comme une pute, tu mérites ! » voir pire, certains étaient même racistes : « Va mettre la burka, c’est tout ce que tu mérites ! ». Ces témoignages n’avaient pas leur place au sein de notre vidéo. Ce n’était pas le but de notre action. Nous, ce qu’on voulait c’était comprendre et voir si l’étude que nous trouvions absurde était réellement fondée. Beaucoup de témoignages ont été violents, beaucoup sont allés jusqu’à dire « oui, elle mérite de se faire agresser ». Ca dépendait des personnes. Et puis il y a eu d’autres réactions qui nous ont touché positivement. Des passants nous on dit : « Elle est belle, elle n’est pas choquante. Elle fait ce qu’elle veut ». Il y a même une dame qui nous a confié s’être fait violer et notre démarche l’a émue. Les réactions ont été très aléatoires même si la plupart ne sont pas allées dans le sens que nous espérions ».
Un travail salué
Incrédules et choquées, les neuf femmes ont présenté leur travail à l’ensemble du campus de leur école. Leur vidéo a été unanimement saluée et a remporté deux prix. Massivement partagée sur le net (plus de 450 000 vues), la vidéo a surtout eu le mérite de relancer le débat autour du viol, des tenues jugées provocantes et de la soit-disant responsabilité de celles qui les portent.
Pour Louise, ce combat est lourd à porter et reste difficile à aborder même avec ses amies :
« Nous n’en parlons pas trop entre nous. C’est personnel et puis on n’ose pas. Chacune d’entre nous connaît des ‘amies d’amies’ qui ont été agressées sexuellement dans notre sphère sociale. Ca nous touche mais ça reste tabou. Par contre, nous nous sommes déjà toutes faites agressées dans la rue. On a tout le temps des remarques et c’est pénible. »
« Les hommes ont des pulsions, il faut les respecter et s’adapter »
Dans la bande sonore intégrale de l’opération, les réactions de certains passants sont encore plus outrancières. On y entend que les « Les hommes ont des pulsions, il faut les respecter et s’adapter » ; « c’est jouer avec le feu de s’habiller comme ça » ou bien encore « Elle cherche, si elle s’habille comme ça, elle cherche ! Faut pas abuser! ».
Pour Louise et ses huit autres camarades, il était impensable de recueillir de tels propos. Les plus extrêmes étaient souvent prononcés par des personnes jeunes ou des personnes âgées. Au sein de notre société, une frange importante de la population reste convaincue que le fait de mettre une jupe ou un haut un peu trop moulant est synonyme d’une disponibilité sexuelle…
« Seule la responsabilité des violeurs est taboue »
Des situations comme celles-ci ont fait naître une association « Stop au harcèlement de rue« . Depuis mars 2014, ce collectif se bat pour faire émerger le combat contre le harcèlement de rue dans l’espace public. Il existe également la page Facebook Paye Ta Shnek, un projet féministe recensant quotidiennement des témoignages de harcèlements de rue ou d’agressions.
Pour Anaïs Bourdet, fondatrice et administratrice de PTS, la vidéo réalisée par ces neuf étudiantes vaut tous les discours sur le sujet. A ses yeux, cette vidéo montre bien que « la responsabilité des victimes n’a jamais été taboue et elle est au contraire systématiquement mise au premier plan, alors que la responsabilité des agresseurs, elle, le reste ».
Selon Anaïs Bourdet, il est urgent que les pouvoirs publics s’emparent de ce sujet :
« Actuellement, seules des initiatives individuelles tentent de les contrer. Il faut absolument rectifier le tir, qu’on fasse entender une fois pour toutes qu’il n’existe aucune excuse au viol, à l’agression et au harcèlement. Absolument aucune. Personne, jamais, ne cherche à vivre une telle violence. Selon moi il y a deux grands axes à traiter, d’une part, se demander comment notre société fabrique ces comportements violents, et comment les arrêter. D’autre part, lutter contre cette culpabilisation des victimes, pour la reporter enfin sur les agresseurs. Comment donner les moyens aux victimes de se défendre et d’être prises au sérieux immédiatement ? À l’heure actuelle il est, par exemple, extrêmement compliqué de porter plainte. La culpabilisation se retrouve à toutes les échelles : par l’agresseur, par l’entourage, par l’opinion publique, par la police, par le système judiciaire… tandis que les agresseurs, eux, ne sont que rarement inquiétés. C’est un véritable parcours du combattant, qui décourage très rapidement. Il est au final extrêmement rare qu’un violeur ou agresseur soit condamné, et quand bien même il le serait, la victime aura dû subir une chaine de violences supplémentaires à celle de l’agresseur. Tout cela créé une forme d’impunité, entretenue à tous les niveaux, ce qui est insupportable. »
Un travail pédagogique reste à accomplir
Interrogée sur le sujet, la secrétaire d’Etat chargée du droit des femmes estimait qu’un travail pédagogique devait être entamé dès le plus jeune âge au sein même des institutions afin de sensibiliser les enfants au respect. Mais d’après Pascale Boistard ce n’est pas une loi qui réglera cette problématique, c’est aux mentalités de changer : « Les femmes ont le droit d’être partout où elles veulent, quand elles le souhaitent! »
La vidéo des neufs étudiantes de l’ESC Dijon servira peut-être à déclencher cette révolution des mentalités. Le ministère de l’Education a récemment approché les étudiantes afin de pouvoir diffuser leur vidéo dans des lycées et d’ouvrir le débat sur la question au sein de l’école.
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