En Syrie la violence frappe aveuglément, mais certains habitants sont devenus des cibles de choix. Viols, kidnappings : loin d’être une sinécure avant la révolution, la situation des homosexuels ne cesse de s’y dégrader depuis deux ans.
« Ils étaient trois, ils m’ont pénétré chacun leur tour, je les suppliais d’arrêter mais ils riaient. » Sitôt ces mots prononcés, Ahmad*, aujourd’hui réfugié au Liban, quitte la pièce pour reprendre ses esprits. Le souvenir de son viol, perpétré dans un « centre pour criminels » du régime lors de son arrestation en novembre 2011, est une blessure qui ne cicatrise pas. En plus d’être pro-révolution, Ahmad est gay. C’est selon lui la principale raison de son viol. « En mars 2011 j’ai été le premier homosexuel à témoigner en Syrie sur une radio », explique-t-il. « Je sais qu’ils avaient beaucoup d’informations sur mon activisme LGBT ». Ensuite emprisonné pendant deux mois, un mâton s’adonnera à des attouchements sexuels réguliers sur lui : « Il me disait que j’étais son type ».
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Si le viol est une arme de guerre largement utilisée en Syrie, il s’agit à présent d’une torture quasi systématique pour les homosexuels. Dans une société conservatrice où chantage, racket et viols étaient courants contre les gays avant même le soulèvement populaire, le chaos qui dévaste à présent la Syrie a décuplé la violence dont ils sont victimes. Les viols ne sont plus forcément liés à la participation à la révolution. À Alep, un ami gay de Ahmad a été violé à un check-point du régime « parce qu’il était très efféminé ». Dans la même ville, Mahmoud*, a subi des attouchements sexuels dans le même contexte. Il veut à tout prix quitter la Syrie : « C’est devenu trop dangereux d’y être homo », affirme-t-il par Skype.
Ces manifestants, « tous des gays »
Premier à avoir ciblé les homosexuels sous la révolution : le régime. Celui-ci a lancé une campagne médiatique accusant les manifestants d’être tous des gays participant à un complot de l’étranger. Sur la chaîne pro-régime Al-Dounia, un homme s’emporte sur le plateau :
« Je connais la vérité. Je sais que le propriétaire d’Al-Arabyia (pro-révolution, ndlr) est homosexuel, comme toutes les personnes s’exprimant sur cette chaîne. »
« Une partie de la population en a ri mais une autre y a cru », regrette Nour, jeune originaire d’Idlib, province rurale et conservatrice du nord. « Pendant des mois, je ne suis pas sorti de chez moi, j’avais trop peur qu’on découvre mon homosexualité et que des habitants me tuent », se souvient-il.
Kidnappings et Coran obligatoire
L’influence grandissante des groupes religieux radicaux a renforcé les craintes de la communauté. En octobre 2012 dans la région d’Idlib a eu lieu une prise d’otage d’une cinquantaine de gays. « L’auteur est un groupe radical lié à l’Armée syrienne libre », détaille Mahmoud Hassino, journaliste gay syrien qui a parlé à trois des victimes. « Ces hommes devaient lire le Coran et payer une amende pour être libéré ». Peu de cas de la sorte ont pour le moment été répertoriés en Syrie. « Les gens ont très peur de communiquer par internet car la question est taboue », poursuit Mahmoud Hassino qui habite désormais en Turquie. « Mais je reçois beaucoup de mails d’homosexuels qui veulent quitter le pays à tous prix, c’est clair qu’il se passe quelque chose. »
Le journaliste reçoit de nombreuses menaces de mort. « J’ai choisi de faire mon coming-out médiatique car après l’histoire de la fausse lesbienne de Damas toute la communauté gay a été discréditée et il était dur de parler de notre situation sous la révolution », justifie-t-il. Résultat, il lui est quasiment impossible de retourner en Syrie alors que son visage est devenu public : « Dans certains quartiers d’Alep les femmes n’ont plus le droit d’aller au marché seule, imaginez ce qu’on réserve aux homos ». Sa hantise est que la Syrie connaisse le même sort que l’Irak, où les homosexuels sont victimes d’atrocités depuis 2003.
Manque de reconnaissance
À ses débuts, la révolution a pourtant été perçue par beaucoup de gays comme l’occasion ou jamais de revendiquer leurs droits. Même si cette aspiration est aujourd’hui fragilisée, Mahmoud Hassino garde espoir. Avec une petite équipe, il a fondé au printemps 2012 « Mawaleh« , le premier magazine gay syrien. Le challenge est dur à relever, faute de support élargi dans la société. « L’opposition n’apporte aucun soutien aux gays et lesbiennes car l’homosexualité est une ligne rouge à ne pas franchir en Syrie », déplore Guevarra, qui a quitté son pays à cause de son orientation sexuelle.
Lui souhaiterait que le rôle des homosexuels dans la révolution soit davantage reconnu. Son petit ami, activiste à Deir-Ez-Zor, a été tué après avoir beaucoup milité. « Tant d’homos ont donné leur vie pour la libération du pays, c’est une souffrance de mourir dans l’indifférence. »
{"type":"Banniere-Basse"}