La romancière Sorour Kasmaï est née à Téhéran en 1962. Elle a quitté son pays en 1983 et vit depuis à Paris. Elle revient ici sur la manière dont les médias occidentaux ont abordé la question iranienne jusqu’aux élections et au formidable réveil du peuple.
Ces dernières années, le mot Iran n’évoquait plus dans les médias occidentaux qu’un no man’s land désertique dont le sol cachait d’obscures centrales nucléaires, dans lesquelles déambulaient de fantomatiques chercheurs en blouse blanche, au visage masqué, en train de mettre la dernière touche à une bombe nucléaire imminente. Le régime en la personne de son président avait en effet réussi son pari : focaliser l’attention de l’Occident sur ce seul dossier, celui d’une énergie dite « vitale » pour l’avenir du pays.
Pour ce faire, il a su profiter pleinement de toutes les tribunes, de toutes les caméras et tous les micros occidentaux afin de divulguer ses provocations, son reniement des vérités historiques indiscutables, ses thèses négationnistes, ses déclarations haineuses… Les mêmes caméras et micros sont aujourd’hui bannis du pays, leurs porteurs expulsés ou réduits au silence, comme la majorité de leurs collègues iraniens.
Alors que le compte à rebours était lancé, et que dans les hautes instances internationales, les bookmakers pariaient sur le temps qui nous séparait de l’instant décisif de l’obtention de « la bombe », une gigantesque explosion iranienne a eu lieu sans que personne ne s’y attende.
Une énergie condensée depuis des années, étouffée sous la peau de la société, une énergie vitale mais souterraine, s’accumulant dans les méandres des grandes cités. Une énergie qui a explosé au grand dam des dirigeants du pays, d’abord dans les urnes, ensuite sur les grandes places et avenues des villes pour enfin s’étaler sur les écrans du monde entier. Contrairement à l’autre, cette énergie-là avait un visage humain : jeune, vieux, femme, homme, laïque, religieux, tous citoyens, habitant de grandes villes, constituant les deux tiers de la superficie du pays, l’autre tiers étant composé de désert.
Nous étions nombreux, artistes, intellectuels ou simples citoyens iraniens vivant en Occident mais conservant de fortes attaches avec le pays, à témoigner de la présence de cette force vitale au sein de la société iranienne. Il suffisait de se rendre sur place, de se promener dans les rues, de discuter avec les chauffeurs de taxi, de voir l’effervescence artistique de la société, de prêter l’oreille aux jeunes, d’entendre les revendications des femmes… pour voir à quel point le fossé était profond entre les dirigeants et une grande partie de la société. Nous tremblions face aux violences des déclarations à chaque fois que le bombardement de l’Iran était évoqué lors des rencontres internationales. Nous étions nombreux à nous offenser de l’absence inquiétante d’êtres humains de ces paysages lunaires que les satellites diffusaient pour illustrer la puissance nucléaire de l’Iran : l’Iran ce pays désertique ayant pour seul et unique habitant un président fou!
Mais le choc des images est de nos jours beaucoup plus important que la force des mots ! Et pour effacer une vieille image rien n’est plus efficace qu’une nouvelle image.
En quelques jours, la gigantesque force qui s’est déployée dans les rues de Téhéran a changé l’image de l’Iran. En l’absence des caméras professionnelles et des appareils photos sophistiqués, la foule des anonymes s’est filmée avec des téléphones portables, des bouts de film qu’elle a ensuite diffusé sur le web au nez et à la barbe de ses dirigeants. Ainsi, elle s’est donnée des milliers de visages, des silhouettes humaines, des prénoms, des voix, des cris faisant parvenir son profond ras-le-bol au monde entier… Par milliers, ces citoyens-reporters ont doublement pris leur destin en main : d’abord, en tant que citoyens, sur la scène intérieure, en descendant dans la rue et réclamant justice face à un régime qui vole leur vote et les traite de « poussière »; ensuite, sur la scène internationale, en filmant leur combat afin d’en offrir d’authentiques images au reste du monde.
Ainsi le citoyen iranien en quête de ses droits démocratiques, signe son acte de présence dans ce no man’s land désertique, exigeant à ne pas être oublié. Ne pas être oublié dans la vie du pays mais aussi par les grands de ce monde, ne pas être oublié dans les pourparlers internationaux, ne pas être oublié à chaque fois que l’on évoque le destin de son pays, un destin qu’il est en train de prendre pleinement en charge.
Car que serait-il devenu, le citoyen iranien, si l’Occident avait bombardé l’Iran ? « Nous ne sommes pas de la poussière », scandait-on dans les rues de Téhéran, en réponse à M.Ahmadinejad qui avait traité les centaines de milliers de manifestants « de poussière et de détritus ».