Après un premier lancement compliqué en 2012 sur Mac et PC suivi de nombreuses modifications, extensions et mises à jour qui ont fini par en faire le (grand) jeu que l’on connaît aujourd’hui, « Diablo III » vient de débarquer sur la Switch. Après « Skyrim », « LA Noire », « Dark Souls » et quelques autres, le hack ‘n’ slash de Blizzard y trouve à son tour une nouvelle jeunesse.
“Est-ce que c’est une blague ?” Une “blague du 1er avril hors-saison” , pour reprendre les mots exacts de l’homme en tee-shirt rouge devenu la vedette inattendue de la récente Blizzcon, le grand raout organisé chaque année par l’éditeur américain Blizzard autour de ses grandes “franchises” (World of Warcraft, Hearthstone, Overwatch…). En cause : l’annonce par Blizzard d’une version mobile de sa série Diablo là où les “fans” (quoi que l’on désigne par ce mot) attendaient plutôt un vrai Diablo IV sur PC. Si l’avis semble relativement unanime parmi les gens civilisés sur le fait qu’agresser ainsi verbalement en public un développeur venu simplement présenter le fruit de son labeur et par ailleurs pas nécessairement responsable des choix éditoriaux de son employeur ne témoigne pas d’un savoir-vivre renversant, ce nouvel épisode post-Gamergate de la grande histoire des relations compliquées entre les éditeurs de jeux et la frange la plus conservatrice de leurs clients dit aussi plus spécifiquement quelque chose du statut de Diablo. Une série qui n’en est pas à ses premiers tourments.
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Le dilemme des suites de jeux à succès
Dans son indispensable ouvrage Du sang, des larmes et des pixels, le journaliste américain Jason Schreier revient longuement sur l’histoire troublée de Diablo III, dernier volet à ce jour de la série reine de cette famille du jeu de rôle que l’on nomme le hack’ n’ slash (ou, plus joliment en français, “porte-monstre-trésor”). Depuis le premier Diablo paru en 1997, le principe est globalement resté le même : dirigeant un héros choisi parmi les différentes classes disponibles (barbare, sorcier, archer…), le joueur traverse un univers médiéval-fantastique où des hordes de créatures belliqueuses ne semblent qu’attendre son arrivée pour se jeter sur lui. Il les affronte donc, remplit les divers objectifs que lui assigne une intrigue contée presque en sourdine et déniche toujours plus d’armes, tenues et accessoires divers qui, parallèlement à ses gains de points d’expérience et à ses montées en niveau, lui permettront de rendre son personnage toujours plus solide et efficace. Pour continuer à combattre, donc, ce qui est ici moins un moyen (d’obtenir quelque chose) qu’une fin en soi.
En 2012, lorsque Blizzard s’apprête à lancer Diablo III, sa situation est typique de celle, pas si confortable, des éditeurs tentant de donner une suite à un gros succès. Vaut-il mieux rester proche de l’expérience que proposait l’épisode précédent (quitte à donner le sentiment de manquer d’imagination ou d’audace) ou bien tenter quelque chose de différent (au risque d’être accusé de trahir la série, de lui faire perdre son âme) ?
Un lancement raté
Lorsque, douze ans après Diablo II, le III sort enfin, au-delà des problèmes de serveurs qui plombent son lancement, le sentiment général est qu’entre fidélité à la série et nouveautés, les développeurs n’ont pas su trouver le bon équilibre. En cause principalement comme le relève Jason Schreier dans son livre : la progression assez brutale de sa difficulté, notamment pour les quêtes prenant place après la fin de l’histoire principale, et la place qu’y occupait alors un “hôtel des ventes” où les joueurs étaient invités à acheter et vendre des équipements en utilisant de l’argent réel. Ce qui, souligne Schreier, “donnait l’impression que Diablo III était l’un des ces terribles ‘pay-to-win’, ces jeux où la meilleure façon de renforcer son personnage n’est pas de jouer ou de s’amuser, mais de taper son numéro de carte bleue dans un formulaire”.
Alors Diablo III a changé. D’abord légèrement, au fil des patchs venant corriger tel ou tel dysfonctionnement, et puis de manière plus profonde, avec les traditionnelles “extensions” qui, cette fois, ne devait pas se contenter d’ajouter de nouveaux environnements ou de nouvelles missions mais, aussi, revoir profondément l’équilibre du jeu sous la houlette d’un homme extérieur à l’équipe principale de développement, Joe Mosqueira, qui travaillait jusqu’alors sur la version pour consoles de Diablo III. Une version moins stratégique, moins attendue et, en conséquence, plus propice aux essais, virages conceptuels et expérimentations diverses. Dont bénéficiera finalement aussi Diablo III sur PC et Mac pour devenir, après bien des ajouts et corrections, le jeu (vendu à plus de 30 millions d’exemplaires) que l’on connaît aujourd’hui. Et aujourd’hui, donc, deux choses viennent d’arriver à Diablo.
Brutalité et minutie
La première, c’est cette réaction de certains joueurs qui, tels des enfants rendus fous à l’idée que d’autres puissent aussi profiter de leurs jouets, vouent Blizzard aux gémonies pour avoir osé présenter Diablo aux adeptes du jeu sur mobiles. Quant à la deuxième, presque simultanée, il s’agit de l’arrivée sur la Switch, quatre ans après ses adaptations sur PS4 et Xbox One, de Diablo III dans ce que l’on n’est pas loin de considérer, au risque de paraître blasphémer, comme la version ultime de ce jeu pas comme les autres. D’abord, parce que le jeu à la manette plutôt qu’au moyen du combo traditionnel clavier-souris sied à merveille au rythme d’un titre qui, bien que profondément inscrit dans la culture PC, a aussi quelque chose en lui de l’arcade – la nervosité de Diablo, au fond, n’est pas si loin de l’antique et fiévreux Gauntlet.
Mais aussi parce qu’en attendant sa déclinaison sur mobiles et tablettes (dont rien n’interdit de penser qu’elle pourrait bousculer de manière fructueuse la formule), cette arrivée du best-seller de Blizzard sur une machine portable vient confirmer deux ou trois choses dont on se doutait déjà à propos de Diablo III et, plus généralement, de la perméabilité de la frontière entre casual et hardcore gaming. Jeu supposé hardcore, Diablo III se prête en effet à merveille à une pratique dite casual, une demi-heure par ci, un bout de quête par là, ce qui n’avait jamais été aussi aisé qu’avec la Switch, console vite sortie, allumée, mise en veille, rangée. Le jeu-monde qui nous engloutit peut aussi devenir un jeu de compagnie. Le dévoreur de nos nuits sombres et hantées se change en copain de la pause-déjeuner ou du goûter (et plus si affinités). On découvre alors sous un nouveau jour cette expérience plus singulière qu’il n’y paraît avec son appel quasi simultané à la brutalité et à la minutie, sa façon de mettre à égalité le défoulement et la cartographie. Six ans plus tard et après bien des mutations, Diablo III pourrait bien avoir enfin trouvé sa forme idéale. Et ce n’est pas une blague.
Diablo III (Blizzard Entertainment), sur Switch, environ 60 €
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