Les étudiants qui s’exercent aux touchers vaginal et rectal sur des patients endormis au bloc ne seraient-ils qu’un “mythe” ? Nous avons recueilli plusieurs témoignages qui tendent à prouver que les documents de l’université Lyon-Sud recouvrent une réalité, même si ces pratiques sont vraisemblablement très minoritaires.
Apprentie sage-femme dans un grand hôpital parisien de l’AP-HP, que nous ne nommerons pas pour ne pas permettre l’identification de notre témoin, Valérie (son prénom a été changé, comme celui de tous les témoins cités dans cet article) a vu l’année dernière une scène troublante, et qui restera à jamais gravée dans sa mémoire. Par un beau jour d’avril, un chirurgien entre au bloc opératoire accompagné de trois externes en médecine, et commence à faire un cours. “Aujourd’hui, vous allez pouvoir vous exercer au toucher vaginal”, lance le médecin. Un a un, chaque externe enfile des gants, et fait un toucher vaginal à la patiente.
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Le tout en quelques minutes, pendant lesquelles Valérie, interloquée, a le temps de se tourner vers l’anesthésiste pour lui demander si tout cela est bien normal. “Oh là là, mais tu sais, c’est courant ici. C’est comme cela qu’ils apprennent, ce n’est pas la première fois”, répond l’anesthésiste, pas plus étonnée que ça, et qui semble prendre Valérie pour une “novice”.
“Il a une grosse prostate, venez toucher”
Même ville, autre CHU. Il y a deux ans cette fois. Amélie était alors étudiante en quatrième année de médecine. Dans la salle où le médecin et “au moins trois étudiants” se sont installés, un homme dort déjà. Il va être opéré de la prostate. Sans savoir ce qui l’attend… vraiment. Tout content de pouvoir présenter un “cas” intéressant, le chef lance à ses jeunes pousses : “Il a une grosse prostate, venez toucher, vous allez la sentir”, raconte Amélie. “On est passés à la chaîne, chacun l’un après l’autre, pour lui faire un toucher rectal”, ajoute l’étudiante, qui précise que la scène s’est répétée plusieurs fois.
Selon cette jeune femme, les étudiants de son service étaient incités par des médecins de services différents, tels que l’urologie, la chirurgie digestive et la gynécologie, à s’exercer au toucher vaginal et au toucher rectal sur des patients endormis. “Ils nous encourageaient à le demander au chef. C’était sous-entendu dans n’importe quelle opération, y compris dans des chirurgies où le patient n’a pas besoin de touchers rectaux, par exemple en chirurgie de l’obésité”, confie Amélie.
“Profites-en pour t’exercer”
Troisième scène, dans un autre établissement public de la capitale. Cette fois-ci, une dame a été endormie pour qu’on lui fasse une “hystéroscopie”, qui consiste à introduire une caméra dans l’utérus pour le visualiser. Marie, alors en stage de gynécologie, raconte avoir été invitée à s’exercer au toucher vaginal par une interne en médecine. On m’a dit : “Profites-en pour t’exercer”, raconte-t-elle. Docile, elle effectue le geste… qui est ensuite refait par l’interne, qui a besoin de repérer le col pour le dilater.
La scène d’exercice s’est répétée à plusieurs reprises au cours de ses études, “au minimum quatre fois” selon Marie, par “au moins trois chirurgiens différents”. “La première fois, j’ai accepté sans ciller. Je ne me suis pas posée la question sur le moment, ce que je regrette beaucoup. C’était mon premier bloc opératoire. On nous dit toujours que certains chirurgiens peuvent être impatients quand on ne fait pas les choses rapidement. J’étais stressée à l’idée de faire une erreur, j’obéissais le plus vite possible sans discuter”, explique-t-elle.
“Ensuite je m’en suis beaucoup voulue”
Par la suite, quand on lui propose à nouveau, Marie essaie d’esquiver, ou répond qu’elle sait déjà le faire. Comme d’autres témoins interrogés, elle ressent “un malaise”, mais les choses ne lui semblent pas “claires”. “C’est en lisant des articles sur le site de Martin Winckler que j’ai réalisé que l’on m’avait demandé un viol”, raconte Marie, qui affirme qu’“aucune de ces patientes n’a été au courant de ce qui s’est passé”. “C’est considéré pour les médecins comme un non-événement. Personne n’aurait jugé utile de le dire à la patiente”, dit-elle, en regrettant qu’il y ait une telle “légèreté” transmise selon elle dans la “formation médicale”.
Ces témoins ont-ils ensuite entrepris de signaler les choses qu’ils avaient vues ? Ont-ils essayé d’alerter leur hiérarchie ? La réponse est négative, et s’explique par un mélange de peur des représailles et de banalisation ambiante. “On voit énormément de choses difficiles au bloc opératoire, on est tout le temps mis à l’épreuve sur le plan psychologique. Ce jour-là, j’ai été choquée, mais compte tenu de toutes les choses dures que j’avais vues, je n’ai pas réussi à faire la part des choses entre ce qui est dur moralement mais légitime et ce qui est dur moralement mais illégitime”, explique Valérie.
“Les médecins font des remarques hyper sexistes »
“Ça me choquait beaucoup de le faire. Ensuite je m’en suis beaucoup voulue”, raconte quant à elle Amélie. “Au bloc, ils font peu de cas des patients lorsqu’ils sont endormis. Les médecins se moquent de leurs corps, font des remarques hyper sexistes. Il y a un manque de respect global sur la personne. On a l’impression que lorsque les patients dorment, ils oublient qu’il s’agit de personnes”, confie-t-elle.
Un tel “oubli” est beaucoup plus courant sur des patients endormis, qui ne sont pas là pour rappeler qu’ils existent, que sur des patients éveillés. Mais un témoin, Isabelle, étudiante en médecine à l’université Lyon-sud, rapporte s’être exercée à la fin de l’année 2013 au toucher rectal sur un patient éveillé, qui avait donné son consentement à ce toucher, sans avoir conscience qu’il s’agissait d’un simple exercice, c’est-à-dire non nécessaire à la chirurgie qui allait suivre. “Le monsieur avait une pathologie intéressante et, pour mon apprentissage, c’était bien de s’en rendre compte par le toucher rectal. Mais il n’était pas nécessaire, c’était vraiment pour me faire la main au sens strict du terme. J’ai eu l’impression moi même qu’on m’avait forcée”, témoigne Isabelle.
La jeune femme reste circonspecte quant à l’étendue de ce qu’elle nomme des “cas-limites”: “Cela ne m’est arrivé qu’une seule fois”, détaille-t-elle. Elle estime par ailleurs que le patient est aujourd’hui très bien informé sur le détail de l’opération qu’il va subir, qui est décidée avec lui. Mais elle pointe en revanche un manque d’information donnée au patient concernant la présence d’étudiants et un manque de recul éthique de la part de ses camarades.
“Quand j’assistais à la consultation pré-opératoire, les médecins ne disaient jamais que des étudiants seraient dans la pièce et pourraient participer aux actes. Ils considèrent que c’est tacite”, argumente-t-elle.
“Après les articles sortis dans la presse, plusieurs de mes camarades ont affirmé qu’il était préférable que les patients ne soient pas au courant”, ajoute Isabelle. C’est le bénéfice qu’elle espère de ces révélations à grande échelle : qu’on améliore l’enseignement sur le consentement du patient.
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