Myriam Revault D’Allonnes soulève l’ambivalence qui nous lie au régime démocratique, qui ne peut que nous décevoir mais “qu’on ne peut pas ne pas vouloir”.
La “haine de la démocratie” fait écho à de très vieilles formes de déploration dans l’histoire politique.
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Elle se déploie pourtant aujourd’hui de manière renouvelée, au point de former une brumeuse idéologie contemporaine.
Au-delà des raisons circonstancielles du rejet viscéral mais ambigu de ses procédures, la philosophe Myriam Revault d’Allonnes tente d’en mesurer le sens dans un essai réflexif, Pourquoi nous n’aimons pas la démocratie.
L’absence de point d’interrogation dans le titre est l’indice de l’impuissance ontologique de la démocratie à jouir de son supposé pouvoir de séduction : à défaut de rêver d’autre chose, le citoyen s’en détache.
Même si chacun reconnaît que la démocratie reste “ce qu’on ne peut pas ne pas vouloir”. Cette double négation dit beaucoup, selon l’auteur, du rapport ambivalent qui nous lie à la démocratie.
Myriam Revault d’Allones le reconnaît d’emblée : “Il y a de quoi alimenter l’idée d’une insignifiance de la démocratie, d’une vacuité apte à recevoir toutes les acceptations, au gré des désirs, des attentes, des espoirs, des craintes et surtout de leur instrumentalisation…”
Pour autant, contre “les vaticinations antidémocratiques de certains maîtres à penser qui jouent sur le désarroi de générations dépourvues de mémoire et de culture politique”, la philosophe préfère chercher ce qui se (dé)joue au coeur même de cette expérience, qui n’est pas seulement un mode de gouvernement (représentatif) mais une forme de société et une manière de vivre (ou pas) ensemble.
En relisant des auteurs clés sur la question – Michel Foucault, Claude Lefort, Wendy Brown… –, elle éclaire parfaitement en quoi la démocratie apparaît comme la “forme politique des promesses non tenues ou intenables”.
“La condition de l’homme démocratique est une condition déceptive”, rappelle-t-elle en relisant Claude Lefort, pour qui la démocratie moderne a toujours été traversée par une énigme : celle d’une société qui se confronte dès son invention à la dissolution des repères sur le fondement du pouvoir.
Le processus de désubstantialisation et de désincarnation (le pouvoir n’est plus lié au corps du roi) sème le trouble dans l’espace politique, qui ne sera jamais autre chose qu’“un espace de doute, de conflit et d’invention imprévisible”.
La démocratie est toujours à venir, à reformuler, à parfaire : c’est l’amer destin de ceux qui se plient à son principe d’incertitude. Elle laisse l’homme “à découvert”.
Avec l’avènement du néolibéralisme, analysé par la politologue américaine Wendy Brown (Les Habits neufs de la politique mondiale), nous serions en outre confrontés à “un processus de dé-démocratisation à l’intérieur même de la démocratie”.
La rationalité néolibérale impose le règne inédit d’un Etat managérial qui contamine toutes les sphères de la société, soumises aux critères de l’évaluation systématique : la référence à un bien commun s’est effacée au profit des performances individuelles.
D’où l’émergence actuelle d’un sentiment de désespérance qui excède la déception originelle propre à la démocratie.
Prenant acte de cette radicalisation de la désillusion, la philosophe préfère aux postures de déploration ou d’hypercritique celle du “sage” qui met en avant “la fragilité structurelle qui habite l’existence démocratique”.
Pour elle, la démocratie ne peut se résumer ni à une coquille vide qu’il faudrait abolir, ni à une forme résignée qui conduirait à en rabattre sur les exigences qu’on lui porte.
Aimer la démocratie implique de ne jamais se satisfaire pleinement d’elle : c’est en la poussant à se perfectionner que nous lui prouvons une adhésion, critique, dynamique, et toujours inachevée.
Pourquoi nous n’aimons pas la démocratie (Seuil), 146 pages, 13 € Trois essais essentiels
3 ESSAIS ESSENTIELS sur la question de la démocratie
L’Invention démocratique de Claude Lefort (1981)
Généalogie de la démocratie, régime qui légitime le conflit au sein de la société : le pouvoir émane du peuple mais il n’est le pouvoir de personne.
La Haine de la démocratie de Jacques Rancière (La Fabrique, 2005)
Analyse de l’obsession d’une certaine intelligentsia française à voir dans la démocratie la cause de tous nos maux, qui mènerait l’humanité à sa perte.
Les Habits neufs de la politique mondiale de Wendy Brown (Les Prairies Ordinaires, 2007)
La philosophe américaine analyse les attaques du “néolibéralisme” contre nos démocraties en visant à réduire toute la société aux normes du marché et à dépolitiser l’espace politique.
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