Le Parti Populaire sort en tête des élections législatives en Espagne avec 25 % des voix, mais très loin de la majorité absolue. La deuxième place est disputée par les socialistes du PSOE et le parti de gauche radicale Podemos, ouvrant plusieurs scénarios d’alliances incertains.
Dans le quartier populaire de Lavapiés, à Madrid, le résultat des élections revêt une intensité toute particulière. Ici, depuis les années 1990, la création d’éditions indépendantes et de librairies associatives, la fondation du journal alternatif Diagonal, la permanence de nombreux squats comme l’immense Tabacalera et la présence d’une forte population immigrée ont fait de ce quartier un lieu d’expression majeur des luttes sociales. Ce soir les ruelles ont très vite été envahies par la foule, tout particulièrement place du musée de la Reina Sofia, où Podemos a débuté son meeting : « Ce dimanche restera comme l’événement électoral le plus important depuis des décennies. Si le jeu des alliances est incertain, l’essentiel est déjà là : c’est la fin du bipartisme », a déclaré en préambule Pablo Iglesias, leader de ce parti de gauche radicale qui a tout juste deux ans.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
En effet, depuis 1976, lorsque la dictature de Franco s’est écroulée, deux partis se partageaient le pouvoir : les socialistes du PSOE et la droite incarnée aujourd’hui par le PP, le Partido Popular. Au gouvernement depuis 2011, la droite arrive en tête avec 28,3 % des voix (123 sièges), mais très loin de la majorité absolue (176 sièges). La deuxième place est sauvée de justesse par les socialistes du PSOE, qui obtiendraient 22,5 % des suffrages (94 députés), grâce aux règles électorales plus avantageuses. De manière remarquable, la gauche radicale Podemos récolte 20,5 % des voix (68 sièges).
Désormais, les hypothèses de scénario s’entrechoquent car une majorité absolue à gauche est quasi impossible, même dans le cas d’une alliance au Parlement entre Podemos, le PSOE et les autres forces minoritaires à gauche, notamment l’ERC, la gauche souverainiste catalane avec 9 sièges. “Il faut absolument trouver une solution : repartir pour quatre années avec le Parti Populaire n’est pas imaginable. Jamais un gouvernement, comme celui de Mariano Rajoy, n’avait tiré autant vers le bas nos vie !”, commente Marie Carmen, quarantenaire, docteur en lettres classiques mais qui enchaîne péniblement les contrats précaires dans l’enseignement.
Le leader du Parti Populaire, Mariano Rajoy, a mené campagne sur son contrôle évident des médias publics, un discours vantant la « stabilité » et une reprise de la croissance annoncée pour 2016 comme la plus forte de l’UE. Or pour la majorité des votants, l’Espagne est loin d’avoir réglé tous ses problèmes : sa dette publique atteint 100 % du PIB et le chômage touche encore 20 % de la population active.
Le feu de paille Ciudadanos
« Un jour, on étudiera dans les universités, d’un point de vue politique, les mécanismes de l’émergence de Podemos. Il s’agit d’un parti qui se présente pour la première fois aux élections générales et qui dépasse 20 % des voix », analyse David, trentenaire de Lavapiés, docteur en philosophie politique. A l’évidence, Podemos a tiré profit des affaires de corruption chronique impliquant le Parti Populaire et du rejet de ses dérives réactionnaires, entre autres sur les menaces sur le droit à l’avortement.
Pour autant, Podemos récupère beaucoup de votants dans les rangs du PSOE, le parti socialiste qui atteint un score historiquement bas : « J’ai quitté le PSOE car je ne supportais plus sa dérive social-démocrate », raconte Victor, trentenaire dynamique, recenseur sur un bureau de vote de Lavapiés. Enfin, Podemos, favorable au droit à l’autodétermination, bénéficie d’un accord stratégique avec la CUP, l’extrême gauche souverainiste catalane qui s’est retirée au profit de la formation de Pablo Iglesias.
Depuis décembre 2014, le mouvement anti-austérité Podemos était concurrencé sur sa droite par une jeune formation, Ciudadanos (Citoyens). Incarnée par le Catalan Albert Rivera et gonflée à l’évidence par les instituts sondages, la formation n’obtient que 13,7 % des voix (40 sièges). Ciudadanos a aussi révélé son vrai visage ces dernières semaines, en suggérant une alliance avec le Parti Populaire en vue d’une majorité parlementaire et cette perspective reste le scénario le plus craint par les forces de gauche.
Un vote pragmatique
Pour l’historien Emmanuel Rodriguez le vote Podemos est un vote pragmatique. Ces derniers mois, des publications de la gauche extra-parlementaire questionnaient avec force la stratégie de Podemos, tout particulièrement l’ouvrage remarqué Hasta luego, Pablo / Once ensayos críticos sobre Podemos (A bientôt, Pablo / Onze essais critiques sur Podemos). « L’échec de Syriza en Grèce est dans tous les esprits et une alliance avec le PSOE butera sur de nombreux points. J’ai voté sans illusion », confie ainsi Nacho, diplômé de journalisme mais survivant grâce à ce que l’on appelle ici les « emplois poubelles », payé actuellement 6,40 euros de l’heure dans une franchise de vêtement de sport.
En effet, Pablo Iglesias avait l’intention d’appliquer comme mesure immédiate le plan national de transition énergétique et revoir avec l’UE les traités budgétaires, pour accroître les dépenses publiques en investissements et développer les politiques sociales. « Notre stratégie sera différente [de celle de la Grèce], d’abord parce que l’Espagne représente 10,6 % du produit intérieur brut (PIB) de la zone euro en 2013, contre 1,9 % pour la Grèce », se défendait récemment Pablo Iglesias. Cependant, si Syriza a dû faire face à la Troïka européenne, Podemos devra d’abord convaincre ses alliés au sein du parlement espagnol, en premier lieu le PSOE.
{"type":"Banniere-Basse"}