Les chaînes de la télévision publique espagnole s’interdisent de parler de boxe. Et les deux plus grands quotidiens du pays la boudent aussi. La faute à la gauche.
Sept fois champion du monde, six fois champion d’Europe, le « Lynx de Parla », du nom de sa banlieue madrilène, est « le meilleur espagnol que nous ayons jamais eu », selon la Fédération espagnole de boxe. Et pourtant, les foules ne se pressaient pas pour accueillir Javier Castillejo lorsqu’il rentrait en Espagne, les bagages chargés de ceintures, pendant les deux décennies d’une carrière achevée en 2009. Rien à voir avec le déploiement médiatique qui accompagne la plupart des sports en Espagne, natation synchronisée comprise.
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« Tu gagnes le championnat du monde, on t’acclame à l’étranger et ici on te maltraite. On m’a fait me sentir comme un délinquant dans mon pays », lançait Javier Castillejo au magazine Epoca en 2010.
Son « successeur », le déjà champion du monde Gabriel Campillo, est aujourd’hui pratiquement inconnu du grand public espagnol.
Pourquoi un tel ostracisme dans un pays où la boxe a pourtant été aussi populaire que le football dans les années 1950 et 1960 ? La faute à la gauche, clament en choeur les boxeurs qui dénoncent une véritable « persécution ».
Dès sa fondation en 1976, le quotidien espagnol de référence, El País, décide de ne publier aucune information sur la boxe.
« Sauf celles relatant des accidents soufferts par les combattants ou qui reflètent le monde sordide de cette activité. »
Le journal couvre en revanche les corridas, en leur dédiant de pleines pages aux images souvent sanglantes.
En 1989, la télévision publique (TVE) suit le même chemin, sur l’initiative de son directeur, Luis Solana, un ancien député socialiste. Toutes ses antennes opposent un veto à la boxe qui « n’est pas bonne pour la stabilité de la société et la morale publique », argumente-t-il. Apparu dans les kiosques en 2007, le deuxième plus grand journal espagnol marqué à gauche, Público, a suivi le même chemin.
Plus mesurée que ses boxeurs, la secrétaire générale de la Fédération, Margarita Rodríguez, rejette le terme de « persécution ». La boxe espagnole reçoit après tout des subventions annuelles du gouvernement socialiste en place (moins d’un million d’euros en 2010). Mais les médias de gauche « nous annulent, tout simplement. Ils nous ignorent ».
Quant à la télévision publique, « elle retransmet les courses de Formule 1 et de motos alors qu’il s’y produit beaucoup plus d’accidents », s’agace-t-elle.
L’invisibilité médiatique asphyxie en tout cas la boxe espagnole, les sponsors hésitant à financer un sport rejeté par la première chaîne publique, leader d’audience en Espagne. Certaines petites chaînes de la TNT se sont cependant récemment lancées sur le filon avec un certain succès d’audience.
« La gauche a tué la boxe espagnole. En la stigmatisant moralement, elle l’a plombée financièrement », accuse Quique Peinado, journaliste sur la chaîne de télévision sportive Marca TV et d’autant plus en colère qu’il se situe lui aussi bien à gauche.
« L’hostilité vient d’un cliché né pendant le franquisme, lorsque les boxeurs espagnols étaient les sportifs les plus associés au régime. Normal, ils triomphaient à cette époque et Franco tentait d’utiliser leur gloire comme il l’a fait avec le football », explique-t-il.
Prêts à faire des milliers de kilomètres pour suivre les champions espagnols, l’acteur Javier Bardem et son frère, Carlos, issus d’une famille très marquée à gauche, dénoncent aussi le « discrédit social de la boxe en Espagne ».
Elodie Cuzin
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