Le Qatar organisera la prochaine Coupe du Monde en hiver 2022. Le pays en plein essor fait cependant de ses travailleurs des esclaves modernes en usant de pratiques immorales, en vue de construire les stades les plus luxueux au monde. Le spécialiste du Qatar Nicholas Mcgeehan de l’organisation Human Rights Watch nous apporte des précisions au sujet de l’évolution de la situation.
La Coupe du monde 2018 vient à peine de prendre fin, et récemment, le Président de la FIFA annonçait déjà les dates du prochain tournoi. Ce dernier aura lieu au Qatar du 21 novembre au 18 décembre 2022, parce que les footballeurs « ne peu(ve)t pas jouer au football en juin et juillet au Qatar ». La main d’oeuvre immigrée, par contre, peut travailler sous la chaleur du pays du Golfe en plein été. Pour accueillir les 1,5 millions de supporters attendus, les droits de l’Homme sont laissés de côté au profit d’une construction rapide réalisée par des travailleurs exploités.
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Il y a deux ans, l’ONG Amnesty International attirait l’attention sur la préparation du tournoi mondial dans un rapport alarmant intitulé “The ugly side of the beautiful game” (“le côté hideux du beau jeu”). On y découvrait alors des conditions de travail déplorables pour des migrants venus d’Asie du Sud, qui représentent plus de 90% de la main d’œuvre qatarienne. D’autres rapports de l’ONG Human Rights Watch évoquent ces mêmes conditions et s’insurgent du manque de transparence des autorités concernant les décès de plusieurs ouvriers.
Des faits concrets prouvent que les travailleurs sont exploités sur le stade Khalifa, un des neuf stades construits à l’occasion de la compétition, ainsi que sur la Zone Aspire, complexe sportif de luxe de la capitale, Doha. Pour ces ouvriers étrangers principalement venus du Népal, du Bangladesh et d’Inde, cet emploi est synonyme d’esclavagisme contemporain. Ils doivent d’abord s’endetter en payant des frais de recrutement inabordables. Les travailleurs immigrés s’installent ensuite en périphérie dans des logements étroits, sales, et non sécurisés, pour finalement travailler de manière forcée. Afin de les attirer au Qatar, les recruteurs n’hésitent pas à cacher certaines vérités aux migrants quant aux salaires qu’ils vont percevoir et les leur versent avec des mois de retard.
Sans permis de séjour fournis par leur employeur, certains d’entre eux n’osent même pas quitter le stade qu’ils construisent. Les passeports sont aussi confisqués dès leur arrivée, ils ne peuvent donc pas voyager ou espérer changer d’emploi malgré le travail forcé qu’ils subissent. En plus de cela, impossible de se plaindre par crainte de représailles. Pour voir naître de nouvelles villes, de nouvelles infrastructures, les travailleurs étrangers sont donc quotidiennement privés de leurs droits.
L’esclavagisme moderne serait-il le prix à payer pour voir le Qatar organiser la prochaine Coupe du monde ? Eléments de réponse avec Nicholas Mcgeehan, chercheur spécialisé sur le Qatar à Human Rights Watch (HRW).
Que promettaient les recruteurs pour attirer les migrants sur les chantiers ?
Nicholas Mcgeehan – Ils vont chercher les travailleurs dans des pays très pauvres, donc tout ce qu’ils ont à promettre c’est un salaire régulier. Ce salaire offre à l’individu et à sa famille une situation stable qui leur permet de se maintenir en vie ou de sortir de la pauvreté.
Comment expliquez-vous le fait que la FIFA n’ait pas pris en compte les droits humains avant de sélectionner le Qatar comme pays d’accueil de la prochaine Coupe du monde ?
C’est inexcusable de la part de la FIFA. Une simple évaluation de la situation des ouvriers aurait révélé le potentiel de graves violations des droits de l’Homme. La FIFA avait clairement d’autres préoccupations au moment où elle a sélectionné le Qatar pour ce titre.
Deux ans après la publication de votre rapport et au lendemain de la Coupe du Monde 2018, où en est la situation sur les chantiers au Qatar ?
Il est difficile de généraliser : les normes de travail varient d’un projet à l’autre. Mais dans ce secteur, l’exploitation et la maltraitance restent de mise. Et les autorités ne sont pas parvenues à prendre les mesures requises pour assurer une protection aux employés, malgré de vives critiques qui remontent à 2012.
Comment peut-on lutter contre ces pratiques ?
Les entreprises ont aussi leur rôle à jouer et peuvent prendre les mesures nécessaires sur leurs propres projets afin de protéger les travailleurs. Mais en définitive, un problème aussi sérieux et aussi répandu nécessite l’intervention du gouvernement.
Le Qatar a indiqué travailler avec l’Organisation internationale du travail pour réformer et améliorer ces conditions. Le pays avait jusqu’en novembre dernier pour mettre de nouvelles réformes en place et mettre fin aux abus sur les ouvriers. Savez-vous si ce travail est fructueux ?
Un accord d’assistance technique a été signé avec l’Organisation internationale du travail (OIT). Il est entré en vigueur au mois de mars 2018. L’OIT offre effectivement des chances de réussite, mais le Qatar doit faire avancer rapidement les réformes qu’il a promis de mettre en place. Le simple fait que l’OIT soit sur place au Qatar ne garantit aucune amélioration de la situation.
Que pensez-vous des déclarations de l’ambassadeur du Qatar aux Etats-Unis selon lesquelles le Qatar serait particulièrement dévoué à protéger les droits des employés ?
Nous verrons. Jusqu’à maintenant, ils n’ont absolument pas pris la question au sérieux. La balle est dans leur camp, c’est à eux de montrer que leur attitude a changé.
Propos recueillis par Clara Vaccarella
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