Dans le milieu de l’innovation débridée, le projet Eros fait sensation. Le pari : ubériser la prostitution. Mais cette application de la blockchain pourrait bien être illégale en France. Et des soupçons d’arnaque pèsent sur elle. Ses créateurs nous répondent.
Commander une prostituée aussi simplement qu’un covoiturage ou une pizza. C’est, en bref, l’objectif d’Eros. Un site aussi bien révolutionnaire que révoltant en fonction des avis sur la prostitution. L’idée est relativement simple : bâtir le Uber du sexe. Mais les obstacles légaux, technologiques et moraux à une telle plateforme rendent le projet beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît.
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Michael O’Brien et Kevin Yang, ses fondateurs, ne se démontent pas. Ils promettent le “premier marché décentralisé du sexe”. Selon leurs prévisions, la plateforme serait ouverte au public le 29 septembre et compterait 100 000 utilisateurs dès le 29 décembre.
Un site potentiellement illégal en France
“Si le site devait exister pour la France, il nous semble qu’il tomberait à la fois sous le coup de la loi contre le proxénétisme et sous le coup de la loi qui interdit l’achat d’acte sexuel”, nous explique un membre du Mouvement du Nid, une association qui agit pour “abolir le système prostituteur.” Cette loi, du 13 avril 2016, permet aussi d’obliger les fournisseurs d’accès à internet (FAI) à bloquer des sites illégaux.
proxenetisme sur internet / lisez et partagez notre lettre ouverte au Ppremier ministre @BCazeneuve https://t.co/WtoJN9xKg1 #vivastreet pic.twitter.com/S6GKs66h0h
— Mouvement du Nid (@MouvementduNid) 14 avril 2017
“Plusieurs avocats français nous ont dit qu’ils nous avaient signalé aux autorités compétentes”, révèle Michael O’Brien, PDG d’Eros. Les perspectives de poursuite sont loin d’inquiéter l’entrepreneur :
“Nous avons pris des précautions pour être sûrs que la plateforme soit résiliente, quel que soit le destin de ses créateurs. Kevin et moi vivons actuellement dans un pays où la prostitution est légale, jusqu’à ce que le projet soit effectivement lancé.”
Sur ce terrain, d’autres se sont pourtant cassé la figure. En octobre 2016, le PDG de Backpage.com, Carl Ferrer, était arrêté aux États-Unis pour proxénétisme. Son site de petites annonces avait fait scandale pour sa “section adulte”, notamment soupçonnée d’être utilisée pour prostituer des personnes mineures. Pourquoi Eros serait-il différent ?
La blockchain rend Eros difficile à censurer
Nous vous présentions il y a peu cette technologie : grâce à la blockchain, Eros semble difficile à contrer. Ses données ne seront pas stockées sur des serveurs regroupés mais dans un maillon d’ordinateurs disséminés. De la même manière que le site en lui-même ne sera pas hébergé par une seule entité mais par une multitude d’utilisateurs.
“Nous voulons que cette plateforme dure. Pour toujours”, peut-on lire sur le site d’Eros. Théoriquement, c’est bien parti : le site ne pourrait pas être censuré ou bloqué par les FAI. De plus, il serait extrêmement compliqué pour la police de saisir les serveurs du site, puisqu’ils ne seraient pas centralisés.
Stealth mode off. Introducing https://t.co/r5WHEBxnhD, the OpenBazaar of Sex. Decentralized.
— Eros (@ErosHQ) 2 juillet 2017
(« Mode furtif désactivé. Présentation d’eros.vision, l’OpenBazaar du Sexe. Décentralisé. »)
“Nous sommes libertariens du fond du cœur, justifie Michael O’Brien. Nous croyons qu’un Etat ne devrait pas être impliqué dans les décisions d’une personne qui concernent son propre corps.” Mélange d’ultra-libéralisme et de défense des libertés individuelles, le libertarianisme a une certaine influence dans le milieu de l’innovation.
Une plateforme idéale pour les clients et les prostituées ?
À en croire les créateurs d’Eros, la plateforme pourrait mettre les maquereaux au chômage et rendre le racolage de rue désuet. “Personnellement, je connais plusieurs escortes et j’ai toujours été consterné par l’inefficacité de l’interdiction politique de cette activité”, confie Michael O’Brien.
Quelques images donnent un aperçu de cet Uber du sexe. À la façon de Couchsurfing ou de Blablacar, les clients et les prostituées se voient attribuer une note sur 5, en fonction des évaluations laissées par les autres utilisateurs. Sur fond de couleurs chaudes, le client parcourt un catalogue de femmes. Pour chacune s’affiche l’âge, le tarif horaire et la distance à laquelle elle se trouve. Du côté des “escortes”, l’adresse du client s’affiche ainsi que l’itinéraire pour y accéder. Elles peuvent choisir d’accepter ou de décliner l’offre. À noter qu’à son ouverture, le site ne proposera pas encore d’escortes masculins.
Qui dit blockchain, dit cryptomonnaie. Même si les prix s’affichent en dollars, les transactions seront effectuées en Eros, la cryptomonnaie du site. Une méthode qui permet certes de sécuriser et d’anonymiser les échanges, mais qui peut soulever des questions sur le succès escompté par les créateurs de l’entreprise. Est-ce que cette plateforme sera suffisamment simple d’utilisation pour les clients et pour les prostituées ? Acquérir des cryptomonnaies, les stocker dans un portefeuille sécurisé, accéder au réseau ZeroNet qui hébergera Eros : des étapes qui peuvent induire une censure technique.
Des soupçons d’arnaque pèsent sur Eros
Entre le 10 et 25 juillet, Eros a rassemblé plus de 7,6 millions de dollars d’investissements. Le site fait partie des ICO (Initial Coin Offering) : ces start-ups de la blockchain qui échangent des jetons de leur cryptomonnaie en échange de financements.
Les ICO les plus prometteuses réussissent à lever des centaines de millions de dollars en quelques jours. Très à la mode dans le milieu des investisseurs, la blockchain est également devenue un terrain miné de faux projets ou de plans fumeux montés pour profiter de l’effervescence du marché.
Sur un forum Reddit, des utilisateurs révèlent que le livre blanc d’Eros est un plagiat. Or c’est le livre blanc d’une ICO qui détaille son fonctionnement et ses règles. À ce jour, le document est inaccessible sur le site d’Eros. Par ailleurs, le site spécialisé dans la blockchain, Crypto Insider, se demande si Michael O’Brien et Kevin Yang ne sont pas des fausses identités. Le site met en avant le fait que c’est une équipe assez restreinte pour un tel projet et que les deux créateurs ont une trace numérique très faible : juste un compte LinkedIn pour l’un et un compte GitHub pour l’autre (un site de développement web).
The ICO started today and 90.000$ was funded in 10h. But there is a chance this is a scam.https://t.co/lAjONcTzzf #eros
— Kmaschta (@Kmaschta) 10 juillet 2017
(« Cette ICO a commencé aujourd’hui et a obtenu 90 000 $ de financements en 10 heures. Mais il y a une chance que ce soit une arnaque. »)
Lorsque nous interrogeons Michael O’Brien à ce sujet, il balaye ces accusations :
“Haters gonna hate ! Selon les utilisateurs de Reddit, Monaco était une arnaque, Tezos était une arnaque, tout comme EOS.io. Ces projets ont réuni respectivement 25 millions, 235 millions et 200 millions de dollars. Les stratèges de salon sont très enclins à critiquer les initiatives qui ne viennent pas des entreprises du classement Fortune 500. Ils ne comprennent pas que ce ne sont certainement pas ces entités qui sont susceptibles de trouver les projets les plus disruptifs.”
Arnaque ou pas, le projet de plateforme Eros a mis le doigt sur une application concrète de la blockchain qui pourrait être très lucrative. Selon Havocscope, cabinet d’études spécialisé dans les marchés noirs, le marché de la prostitution dans le monde atteindrait 186 milliards de dollars.
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