Le prix Goncourt 2017 mène la fronde contre l’arrestation de Vincenzo Vecchi. A quelques jours de la décision de la Cour d’appel de Rennes sur la potentielle extradition de l’activiste italien, l’écrivain revient sur les raisons de son engagement.
Une peine de douze ans de prison l’attend en Italie, pays qu’il a fui il y a plusieurs années pour Rochefort-en-Terre, dans le Morbihan. Vincenzo Vecchi est, notamment, accusé de « dévastations et pillage » lors du contre sommet du G8, à Gênes, en 2001. Depuis son arrestation en France le 8 août dernier, l’écrivain Eric Vuillard a décidé de monter au créneau pour le défendre et empêcher son extradition vers l’Italie.
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Manière pour celui qui a reçu le plus prestigieux des prix littéraires français pour L’Ordre du jour (éd. Actes Sud, 2017) de dénoncer les “politiques répressives” qui se diffusent, selon lui, en Europe. Les Inrocks l’ont rencontré mercredi 6 novembre, lors d’une réunion du Comité de soutien au militant antifasciste, à Paris.
Pourquoi s’engager en faveur de Vincenzo Vecchi ?
Eric Vuillard – Une vieille amie m’a parlé du Comité de soutien de Rochefort-en-Terre, et m’a proposé de signer la pétition en faveur de sa libération. Une fois que je m’y suis intéressé, j’ai découvert que le cas de Vincenzo Vecchi disait quelque chose du climat répressif actuel, qui se généralise. On voit que cette affaire glisse lexicalement, qu’il y a une surqualification dans les termes employés par la justice. Parler de « dévastations et pillage » criminalise et emphatise ce qu’il s’est réellement passé. Il m’a semblé que c’était le moment de dire quelque chose.
Vous parlez de “recul des libertés publiques”. Comment analysez-vous ce phénomène ?
On le voit tous je pense. Il y a eu ce livre du juriste François Sureau sur la liberté (Sans la liberté, paru en septembre dernier, ndlr). La rétention de sûreté, décidée sous Sarkozy, contrevient à des principes élémentaires du droit pénal. La façon dont on peut assigner à résidence de manière administrative contrevient également à des principes élémentaires, qu’il y a vingt ou trente ans, on pensait intangibles.
Le fait que l’état d’urgence ait été prolongé pendant deux ans, cela aussi, c’est très mauvais. A chaque fois, le mot « disproportionné » ne convient même plus. On voit bien que les choses glissent. Mais comme ceux qui nous présentent ces mesures sont des gens qui ont l’air très propres sur eux, qu’ils ne portent pas des bottes et ne sont pas en train de défiler avec des képis, tout cela nous semble partiellement acceptable. On les tolère et on se compromet.
Conférence de presse du 17/10/19 du comité de soutien de #vincenzovecchi, prise de parole d'Eric Vuillard.#vincelibero #libertepourvincenzo #niprisonniextradition #antirep https://t.co/7ixXUthRBe
— Soutien à Vincenzo Vecchi (@soutienvincenzo) October 21, 2019
Comment interprétez-vous ces condamnations ?
C’est un peu comme le mot « bagnard » qui, jadis, terrorisait les gens. Il a fallu 200 pages des Misérables d’Hugo et de pouvoir s’identifier à Jean Valjean pour que le lecteur se retrouve dans un autre climat, comme désenvoûté de ses peurs. Cette peine de douze ans de prison rendue en 2012 contre Vincenzo Vecchi est faite pour terroriser. On se dit tous : “Douze ans de prison, tout de même, ça ne peut pas être décidé sans raison.” Eh bien c’est tout le contraire qu’il faut penser. Et je crois que c’est par le biais d’un un processus identificatoire que l’on peut y parvenir. Il faut se dire que ces peines portent sur des évènements qui datent d’il y a 18 ans. Qu’est-ce que je faisais il y a 18 ans ? C’est toute une vie qui nous sépare de ces évènements, c’est abyssal.
Et puis douze années de prison, c’est absolument démesuré par rapport aux faits qui sont reprochés à Vincenzo Vecchi. Ces faits ne sont même pas étayés. On a juste des photographies prises par la police elle-même, sur lesquelles, lorsqu’on peut l’identifier, on le voit en train de boire une canette de bière. Autrement, on n’aperçoit que des gens dissimulés par des cagoules. Mais eux, on ne sait pas qui ils sont.
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Que pensez-vous du recours à des mandats d’arrêt européens ?
Cela montre bien l’échec d’une politique pénale européenne. Une politique pénale, c’est prendre un Code pénal, et cela demande de réfléchir. Le Code civil a été rédigé par des commissions qui se sont réunies avec de grands juristes. Cela suscite des débats publics, on a le temps d’être en désaccord.
Utiliser le mandat d’arrêt européen, c’est permettre que les éléments les plus répressifs de chaque législation contaminent toutes les autres. Et c’est une solution purement administrative : cela veut dire moins d’avocats, moins de garanties, moins de juges. C’est une procédure en elle-même répressive. Pire encore, elle se présente comme neutre politiquement. Mais en réalité c’est tout l’inverse. C’est la cristallisation d’une politique répressive : je refile aux justices voisines, sans trop regarder les prévenus qu’elle me réclame.
Lors de votre intervention, vous avez invoqué la “tradition littéraire” et cité Hugo. En tant qu’écrivain, estimez-vous qu’il est de votre devoir de vous engager ?
Tout à l’heure, dans la salle, quelqu’un citait à la volée Les Ames mortes (roman de Nicolas Gogol, ndlr). La tradition littéraire est émancipatrice. Que ce soit Gogol, Tolstoï, Hugo, Zola ou Dos Passos, on voit bien que tous ces noms représentent un moment de la vie collective. Tolstoï n’est pas qu’un type qui écrit des livres, c’est aussi quelqu’un qui annonce les révolutions de 1905 en Russie et ce qui va suivre. Il est adossé à un mouvement collectif plus général. Zola, c’est l’affaire Dreyfus, c’est les grèves de mineurs et toute la société qui bouge en même temps que lui. On ne peut pas séparer la littérature de la vie sociale.
Dans votre dernier ouvrage, “La Guerre des Pauvres” (éd. Actes Sud, 2019), vous évoquez ceux qui se révoltent contre les puissants. Vincenzo Vecchi pourrait-il être le personnage d’un de vos livres ?
En général, j’écris des livres sur l’histoire, au passé. En revanche, je crois que, contrairement à ce que l’on pense souvent, ce n’est pas l’histoire qui revient toute seule vers nous. C’est l’inverse : le présent nous oriente vers l’histoire. A l’heure où aujourd’hui, les inégalités sociales sont fortes, cela ressemble à l’époque de ceux que l’on a appelés les « barons voleurs », au XIXe siècle, aux Etats-Unis. Une littérature qui ne parlerait pas de la concentration des richesses serait angélique et parlerait d’un autre monde. Naturellement, les révoltés comme Vincenzo Vecchi sont le pendant de cette situation. Les gens s’accoutument mal d’être assujettis.
Propos recueillis par Thomas Guichard
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