Avec « Halal police d’Etat », Eric et Ramzy font de l’humour de cité pour la première fois et dénoncent par l’absurde la France des expulsions. Ils étaient ravis de parler aux Inrocks, qu’ils appellent « Les Inraïuptibles » dans Halal police d’Etat.
Le propre de l’humour réussi n’est-il pas de transcender les barrières, sociales, culturelles ou ethniques ?
Ramzy – On voulait montrer aux Blancs qu’on pouvait venir des cités et ne pas faire de l’humour de cité, et montrer aux Noirs qu’on pouvait venir des cités et faire de l’humour de Blanc. C’était ça, l’essence de notre positionnement.
Eric – Si on peut faire Halal police d’Etat aujourd’hui, c’est parce qu’avant on a fait Steak, Seuls Two, H, nos spectacles, qui ne parlaient pas du tout de banlieue.
Du coup, Halal police d’Etat arrive comme une sorte de virgule. Les gens vont se dire « tiens, c’est vrai, ils viennent de là ».
Ramzy – Du coup, on y va raciste à fond !
C’est-à-dire antiraciste par antiphrase…
Ramzy – (prenant un ton très intello) Oui, certes, quelque part… (puis, à voix basse) Je te le dis entre nous, mais y a des vannes racistes qui nous font vraiment rire.
Eric – Oui, il faut le dire, certains Chinois ressemblent à des macaques ! Et ils sentent les nems.
Ramzy – Ah oui, je confirme. J’habite au-dessus d’un resto chinois. Et là-dedans, ça parle pas, ça caquette ! Ils ne disent pas bonjour, ils n’ouvrent pas les portes, ils crachent toutes
les cinq minutes et ma fille a peur d’eux !
Eric – Moi, ma fille est en panique devant vous, les Arabes.
Ramzy – Arrête, ta fille est à moitié bougnoule ! T’y peux rien.
Luc Besson a produit Halal police d’Etat. Vous avez aussi joué dans Steak de Quentin Dupieux, participé à une programmation de Serge Bozon à Beaubourg. Vous circulez du populaire au pointu…
Eric – Pour moi, la responsabilité des artistes n’est pas sociale mais avant tout artistique. Quand tu es populaire, c’est justement là qu’il faut emmener le public vers autre chose. Quand on a fait Steak, une partie de notre public habituel n’a rien capté. Mais ceux qui ont capté, on les a ouverts à autre chose. J’aimerais voir d’autres mecs très connus tentés d’embarquer leur public ailleurs plutôt que leur donner toujours ce qu’ils attendent.
Ramzy – Les gros comiques ressemblent parfois aux grosses chaînes : ils ne prennent plus aucun risque.
Le public, il ne faut pas lui donner toujours ce qu’il attend, il faut lui donner du mieux, aller plus loin, proposer un autre rire, une autre émotion.
Eric – Aujourd’hui, les comiques veulent être le gendre idéal. Ils ne veulent plus faire les clowns mais les beaux gosses. Ils sont très bien habillés, rient sous cape. On a l’impression qu’ils sont là pour dire des choses intelligentes.
Ramzy – Et ils finissent toujours avec une phrase qui plaît au public, du genre « tu ‘ois, les peuples sont faits pour s’entendre » !
Quand vous étiez ados, qu’est-ce qui vous faisait rire ?
Ramzy – La misère, le sida, les gens malades…
Eric – Le ping-pong.
Je reformule : qui vous faisait rire ?
Ramzy – Ah, pardon ! Albert Dupontel a été LE mec.
Eric – A une époque, j’allais voir les spectacles d’Elie et Dieudonné, d’Alex Métayer… J’avais l’impression que j’aurais presque pu faire aussi bien qu’eux. Puis j’ai vu Dupontel au Théâtre Tristan-Bernard, je pleurais de rire. J’en suis sorti déprimé avec l’impression que je ne parviendrais jamais à ce niveau. Pierre Richard aussi a été important.
Ramzy – Et François Rollin. Quand on allait voir ce genre de spectacles, on se cassait le ventre à force de rire. On en tombait de notre chaise.
Et au cinéma ?
Eric – Les Marx Brothers, de Funès évidemment…
Ramzy – Notre ligne directrice, c’est le film du dimanche soir à 20 h 30. Tu sais, celui où tu débarrasses vite fait la table, pof !, t’as déjà le jingle qu’est parti…
Eric – Je me souviens du vieux logo de la Gaumont, et ensuite débarquait Pierre Richard.
Ramzy – C’est des films qu’on regarde en famille, on sait qu’il n’y aura pas de violence, pas de cul, ce qui était préférable chez nous, les Arabes. C’est ça qu’on vise avec Eric. A 65 ans, j’aimerais bien, un dimanche soir, voir La Tour Montparnasse infernale à la télé.
Vos films sont décalés, voire déjantés, par rapport à la ligne de TF1 pour le prime time du dimanche…
Ramzy – Pourtant, c’est ce qu’on vise. (son portable sonne)… La vache, Besson ! Oui ben il attendra, on est en interview…
Il a bien pris votre parodie du Grand bleu dans Halal police d’Etat ?
Ramzy – Très bien, il ne s’est pas du tout vexé.
Eric – Il n’y a pas que du Besson, il y a aussi du Arrête-moi si tu peux, du Psychose, du I comme Icare…
Ramzy – Et du Inspecteur Tahar. Tu peux aller choper ces films sur internet, tu vas voir, c’est irregardable ! On se marre mais je me demande s’il ne faut pas être algérien pour rire de ça. Les comédies populaires de la télé des années 1970, tout le monde connaît ça en Algérie. C’est hallucinant. Tu peux avoir un plan où il entre dans une pièce, il fait jour, le plan d’après il fait nuit, puis il ressort de la pièce, et c’est filmé en 16 mm ! Eric – On a su faire ça nous aussi, et pourtant on est en France.
Votre travail évoque aussi les Anglo-Saxons, la bande du Saturday Night Live, Sacha Baron Cohen…
Eric – Bien sûr, à fond. Baron Cohen, Larry David…
Ramzy – Woody Allen me fait halluciner. A son âge, il garde une de ces niaque !
Eric – Ne pas oublier non plus les Monty Python qui m’ont fait hurler de rire…
Ramzy – Pas moi ! Je vais leur écrire.
Avant, en France, il y avait un ou deux comiques par génération. Vous avez émergé dans une époque où le rire est partout.
Eric – Aujourd’hui, on trouve de l’humour jusque dans la présentation de la météo, dans les billets d’humeur politiques… Tout le monde est devenu humoriste.
Ramzy – Il suffit qu’un stagiaire soit marrant à table ou devant la machine à café et hop !, on lui donne une rubrique. Avant, il y avait peu de comiques mais ils cassaient des ventres, aujourd’hui, il y en a beaucoup mais ils ne cassent plus rien.
Eric – Le problème, c’est qu’ils sont tous au service d’une chronique humoristique de l’actu quotidienne ou hebdo, qui te noie artistiquement. Quand t’es obligé de pondre tous les jours quelque chose sur l’actu, tu n’as plus le temps ou l’énergie de développer un univers. On nous étiquette souvent « comiques de la télé », mais on a fait du café-théâtre bien avant la télé, ce qui nous a laissé le temps de construire un univers.
Vous suivez les événements en Tunisie, en Algérie ou les grèves aux Antilles il y a deux ans ?
Eric – On suit tout ça et notre avis reste celui d’un citoyen. Par contre, aller balancer un avis d’artiste sur ces sujets, je trouve ça périlleux. Je refuse de m’autoproclamer analyste politique ou social.
Ramzy – Tu as des gens qui savent manier humour et analyse, comme Stéphane Guillon ou Guy Bedos. Si on ne prend pas parti publiquement, ce n’est pas parce qu’on est suisse ou qu’on n’a pas de couilles. Mais à partir du moment où tout le monde ouvre sa gueule, ben on se tait.
Pourtant, Halal police d’Etat donne une vision de la société française d’aujourd’hui. Comment ressentezvous l’évolution de la France sur l’intégration et la diversité ?
Ramzy – Toute cette histoire va bien finir, c’est obligé. On a beau rencontrer des problèmes, parler des mosquées, du FN à 18 %, plus le temps passe…
Eric –… plus la France devient beige.
Ramzy – On a vu la même chose avec les Polonais ou les Italiens. Nous, c’est un peu plus dur parce qu’on a une autre religion et que la guerre d’Algérie est passée par là, mais ça ne peut que bien finir. Je ne suis pas optimiste en disant cela, mais réaliste.
Dans vingt ans, c’est réglé. On ne repartira jamais chez nous, puisque chez nous, c’est ici. Et on fait des enfants avec vous. On peut continuer à discuter du voile pendant mille ans, ça va bien se finir parce que c’est l’évolution naturelle des choses. On ne va pas élever des barricades et couper la France en deux, impossible.
Eric – Juste un truc : je veux éviter à mes enfants de se marier avec des Arabes.
Ramzy – Ah ben moi, hors de question que ma fille embrasse un Noir !
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Halal police d’Etat de Rachid Dhibou, avec Ramzy Bedia, Eric Judor, Jean-Pierre Lazzerini. En salle le 16 février.
Propos recueillis par Serge Kaganski