Qu’ils soient clairement engagés ou politiquement neutres, les journalistes ne dérangent jamais vraiment les politiques à la télévision. Cette campagne n’échappe pas à la règle.
Pourquoi une interview d’homme politique suscite-t-elle à la télé plus de frustrations que de révélations ? L’exercice de la confrontation entre un journaliste et un élu bute sur une loi d’airain télévisuelle que la campagne actuelle confirme : le politique gagne toujours à la fin. Même brillant, combatif ou réflexif, comme Audrey Pulvar, soucieuse de mettre les politiques face à leurs contradictions, le journaliste n’y peut rien : ses armes ne valent pas grand-chose face au rouleau compresseur d’une machinerie habile à contourner l’obstacle de la contradiction.
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Comme si un politique n’avait jamais rien à perdre sur un plateau, sinon au pire d’exprimer un léger flottement, voire d’afficher une incompétence que les téléspectateurs oublient aussi vite. La télévision reste le meilleur réceptacle de leur discours performatif. Les JT leur offrent la possibilité de livrer un message circonstanciel sans contradicteur gênant en trois minutes chrono. Les émissions politiques (Des paroles et des actes, Parole de candidat…) les mettent en transe et les poussent, par l’effet de durée et la multiplicité des intervenants, à faire le show. Les émissions d’infotainment (On n’est pas couché, Le Grand Journal…) valorisent leur pugnacité de surface et leur désir de satisfaire le peuple des téléspectateurs.
A chaque fois, les chaînes imposent un cadre dont ils tirent profit : l’indice de leur succès se fixe sur leur audience, signe que plus que de la politique, ils font un spectacle. Même les émissions dites subversives, comme Le Petit Journal, échouent, lorsqu’elles reçoivent en plateau des candidats (Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy), à déranger l’ordre tranquille de leurs discours. Pire, elles les associent à leurs propres rires, dans un brouillage malsain : qui rit de quoi ? avec qui ? contre qui ?
Quand le politique prend “l’adversaire” journalistique à son propre piège, et fait semblant d’assumer ses propres faiblesses par un faux rire complice, l’affaire est entendue : c’est lui qui a gain de cause dans un retournement vicieux. Un aveu d’une grande tristesse pour le journalisme, alors absorbé dans l’écrin de la communication. Au coeur de ce théâtre d’opérations, la nature et la personnalité des journalistes comptent pourtant encore beaucoup. C’est autant un paradoxe que le signe qu’ils font partie d’un casting censé proposer le show le plus attrayant possible.
A ce jeu, les intervieweurs assumant ouvertement leurs convictions ont le vent en poupe. Sur les chaînes d’info, on orchestre leurs disputes lors de bras de fer. Si Audrey Pulvar porte désormais l’étendard le plus visible à gauche, la droite a des ressources : du Figaro à Valeurs actuelles, les combattants sont nombreux – Eric Zemmour, Eric Brunet, Yves Thréard, Ivan Rioufol, François d’Orcival, Guillaume Roquette et tous les polémistes à la petite semaine qui squattent les émissions censées refaire le monde…
En dehors de ces chevaliers d’un journalisme politique affichant ses affinités idéologiques (une tradition forte du journalisme hexagonal), la majorité des journalistes revendiquent leur neutralité, elle-même discutable parce que non dépourvue de sous-entendus. Entre indépendance, interdépendance, subordination, provocation, esprit partisan, esprit critique, entre gauche et droite, les journalistes naviguent entre des îles dispersées selon les médias et les types d’émissions : un archipel au coeur duquel les politiques restent les capitaines, parfois malmenés, chahutés, moqués, mais jamais coulés.
Jean-Marie Durand
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