Dans un autoportrait plein de distance amusée, l’actrice Anne Brochet interroge le trouble de porter un nom d’animal.
En dépit d’un visage très humain, fébrilement gracieux, Anne Brochet se voit et se vit comme un poisson. La faute à son nom, dont elle révèle dans un autoportrait fantaisiste combien il pèse sur sa vie intérieure. Comment vivre paisiblement en portant le nom d’un animal qu’elle imagine revêche, fuyant, bourré d’arêtes et qui se mange en quenelles ? Comment assumer l’écart entre l’enveloppe d’un corps sans écailles et un nom qui l’assigne à sa condition aquatique ? En questionnant sa propre étrangeté (ou l’idée qu’elle s’en fait), Anne Brochet se prête au jeu réjouissant d’une analyse sauvage dans laquelle elle flotte au fil d’apparitions saisissantes. Sous forme d’une enquête aux airs lacaniens, qui la conduit à des face-à-face avec ses parents mais aussi un orthophoniste, une linguiste, des pêcheurs et un rabbin, la fille-poisson interroge l’ambiguïté des affects entre les humains et les bêtes, comme Derrida dans son texte L’animal que donc je suis.
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Brochet comme le poisson_Extrait from Quark Productions on Vimeo.
En s’intéressant à ses pairs – mesdames Vipère, Vache, Tortue, messieurs Teckel, Pigeon, Vautour… -, marqués par cette nomination forcée, elle crée une communauté d’êtres troublés, coincés entre deux statuts antithétiques, dont elle serait une sorte de porte-voix réfléchie. On aimerait lui suggérer de se pencher désormais sur le trouble de ceux qui portent un nom trop banal pour être vraiment humain (Dupont, Durand…), qui rêvent de la vitalité sauvage résonnant chez tous les Marcassin et les Brochet du monde. A chacun son poison inoffensif.
Jean-Marie Durand
Brochet comme le poisson documentaire d’Anne Brochet, jeudi 27 juin, 23 h 05, Arte
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