La sociologue des médias Monique Dagnaud tire le portrait des 15-35 ans. Entre lol, rébellion et piratage, la première génération de l’ère numérique s’invente un futur.
Ils sont nés avec Pacman, Albator, les premiers Amstrad ou les mobiles format XXL. Ceux qui font partie de la « génération Y », arrivés au monde entre la fin des années 1970 et le début des années 1990, ont grandi avec Internet, les SMS, les jeux en réseau… Ces « digital natives » font la nique à leurs aînés niveau nouvelles technologies et participent quasiment tous à la vie numérique : 90 % des élèves de terminale ont un compte Facebook.
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Pour Monique Dagnaud, sociologue des médias qui travaille notamment sur la culture des jeunes générations, il existe « un véritable fossé avec leurs parents, la génération X ». Dans son dernier livre (après La Teuf en 2006), elle décrypte les comportements et usages de ces jeunes connectés et explique leur désenchantement par rapport aux soixante-huitards. Ces derniers s’inquiètant, eux, de l’essor de ces outils qu’ils ne comprennent et ne maîtrisent pas toujours – contenus violents, rencontres à risque, etc.
Afin de faire face aux désillusions, la « Net génération » a trouvé quoi faire de ses dix doigts : tapoter sur son clavier… pour essayer de changer le monde. Cette génération why ? (phonétique de « Y » en anglais) se pose en effet « beaucoup de questions sur la mondialisation, le marasme politique ou l’absence de perspectives », constate Monique Dagnaud. Elle n’a plus le même rapport à la famille ou à l’autorité et a une fâcheuse tendance à se « rebeller » – une insoumission qui effraie certaines entreprises et modifie leur fonctionnement : dans Intégrer et manager la génération Y, Julien Pouget, spécialiste en management et ressources humaines, explique comment « adapter l’organisation et les méthodes de l’entreprise pour mieux intégrer » cette nouvelle classe d’âge.
Très connecté ne veut pas dire déconnecté de la réalité
Alors que la définition d’un comportement par la simple appartenance à une génération peut porter à controverse, Monique Dagnaud soutient que l’outil de ces jeunes, Internet, est le plus révolutionnaire depuis l’invention de l’écriture. Mais ce n’est pas sous l’angle du travail ou de la consommation (car cette génération est déjà un concept marketing pour les publicitaires) que la sociologue a choisi d’analyser la génération Y. Elle a voulu « appréhender ses membres en tant qu’acteurs sociaux et innovateurs culturels », pour comprendre l’impact social de leur comportement.
Et l’innovation, on la trouve sur le Net : mots, images, sons, productions artistiques fusent en permanence. Pour Monique Dagnaud, « il y a un désir d’échapper à la routine qui s’exprime par beaucoup de créativité » – et beaucoup d’humour, le fameux lol. « On se moque des puissants, des médias, de soi-même. On parodie des contenus, on pirate des pages d’accueil, comme celle de l’Elysée en juillet. »
Certains vont plus loin que le lol avec le « lulz », plus pervers, qui consiste à se réjouir du malheur d’autrui. Le site 4chan en a carrément fait son mode d’action. Comme avec cette malheureuse Jessi Slaughter, 11 ans, lynchée virtuellement l’an dernier après avoir posté une vidéo d’elle jugée ridicule. Comme le souligne Monique Dagnaud, malgré leur cruauté, les membres de 4chan ont une vraie logique d’action et attaquent ceux qui égratignent leur vision du web : Sarah Palin, les gens qui maltraitent les animaux, les avocats qui défendent les droits d’auteur… Ils ont même aidé des dissidents en Chine et dans les pays arabes.
Très connecté ne veut donc pas forcément dire déconnecté de la réalité.
« Les jeunes s’appuient, de façon plus ou moins radicale, sur les valeurs idéologiques du web (autonomie, liberté d’expression, gratuité) pour mener des actions à dimension politique, comme les Indignés de Madrid », poursuit Monique Dagnaud.
Et même si les membres de la génération Y sont plus souvent des lanceurs d’alerte que de véritables militants, avec « leur vitalité, leur optimisme et leur subversion, ils luttent contre une société réelle vieille, morose et impuissante à agir ». Ils tentent ainsi de définir une « façon de vivre ensemble inédite ».
Béatrice Catanese
Génération Y – Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion de Monique Dagnaud (Les Presses de Sciences Po) 172 pages, 14 euros.
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