Qui pour soigner les étudiants infirmiers ? C’est un fait, ces derniers vont mal. Très mal même, à en croire le bilan de santé catastrophique révélé par la Fédération nationale des étudiants en soin infirmiers (Fnési), et publié la semaine dernière dans Le Journal du Dimanche. Au total, plus de 14 000 infirmiers en herbe issus […]
Stressés, épuisés, parfois même persécutés… Une enquête menée auprès de 14 000 étudiants infirmiers, publiée par le Journal du Dimanche, révèle que leur état de santé psychologique et physique ne cesse de s’aggraver.
Qui pour soigner les étudiants infirmiers ? C’est un fait, ces derniers vont mal. Très mal même, à en croire le bilan de santé catastrophique révélé par la Fédération nationale des étudiants en soin infirmiers (Fnési), et publié la semaine dernière dans Le Journal du Dimanche. Au total, plus de 14 000 infirmiers en herbe issus de dix-huit régions métropolitaines et d’outre-mer ont répondu à un questionnaire en ligne. « Soit 15 % de la population des étudiants infirmiers, un échantillon représentatif », estime le syndicat étudiant.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Les (mauvais) chiffres parlent d’eux-mêmes : les trois quarts (75,4%) sont épuisés physiquement ; un tiers sont sujets à des crises d’angoisse. 61,8 % des étudiants se déclarent souvent ou tout le temps épuisés psychologiquement, un état qui s’accroît au fur et à mesure de l’avancée dans le cursus (85,9 % pour les étudiants de troisième année contre 66,2 % en première année).
Pour soulager leurs maux, 27,3 % indiquent avoir déjà consommé un ou plusieurs médicaments psychotropes durant leurs études (le taux atteint 36 % pour les étudiants de troisième année). « Nous recevons tous les jours des demandes d’aide des étudiants. Mal-être, stress, harcèlement, violence… Les témoignages se multiplient et rien n’a été fait depuis nos dernières enquêtes, en 2015 et 2011″, explique au Monde Ludivine Gauthier, secrétaire générale de la Fnési.
Situation précaire
Parmi les facteurs de tension, et pas des moindres, la précarité dont souffrent 48 % des étudiants. En plus des trente-cinq heures hebdomadaires de formation et de stage, 76,5 % des étudiants disent être obligés de travailler pour subvenir convenablement à leurs besoins. « Contrairement à d’autres filières paramédicales, les étudiants infirmiers sont, en moyenne, issus de catégories socioprofessionnelles plus modestes », rappelle la Fnési.
Une enquête de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) publiée en 2016 précisait que « l’origine sociale des nouveaux étudiants de première année en formation en soins infirmiers est variée. 30 % d’entre eux sont issus de famille dont le père est employé et 20 % dont le père est ouvrier. »
Le stage, Némésis des étudiants
Résultat de cet épuisement, beaucoup ont pensé à abandonner leur formation en cours de route : 64,2 % en première année, 76 % en deuxième, 81,5 % lors de la dernière. Majoritairement pointés du doigt, les stages obligatoires dans les hôpitaux, centres de rééducation, crèches ou encore établissements d’hébergement pour personnes âgées. Prolongement des cours théorique inculqués en classe, ils se révèlent particulièrement intensifs.
Trop peut-être : nombre d’étudiants ne semblent pas parés à autant de pression, comme l’explique Audrey*, étudiante en deuxième année à Saint-André-lez-Lille : « Je ne sais combien de fois mes amies et moi nous nous sommes avouées avoir pleuré en cachette à la fin de la journée, tant la pression était intense… » Cadence effrénée, manque de cadrage et de bienveillance : les apprentis infirmiers, souvent en roue libre, n’ont d’autres choix que d’enchaîner les patients jusqu’à l’épuisement.
La faute, d’après elle, revient à une hiérarchie peu patiente contre laquelle les étudiants n’osent protester : « Le statut d’étudiants est très difficile à vivre et beaucoup de professionnels oublient vite ce que c’est. Les soignants sont très exigeants avec toi et n’hésitent pas à te réprimander de manière très frontale. Certains sont fiers de dire qu’ils sont durs avec les étudiants puisque ‘c’est comme ça qu’on apprend’. La relation serait moins conflictuelle si les étudiants osaient dire aussi ce qui ne va pas dans leur stage… «
La loi du silence
Problème, personne n’ose. Pis encore, il semble régner comme une omerta sur le harcèlement à l’hôpital. Ainsi, plus d’un tiers des étudiants infirmiers déclarent avoir été harcelés par un soignant au cours de formation quand près d’un sur dix (9,8 %) rapporte avoir été victime de harcèlement au sein de son institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) par un membre de l’encadrement.
Juliette, étudiante en troisième année à Grenoble, confiée au JDD son isolement « face à des équipes qui se connaissent et travaillent ensemble et considèrent l’étudiant comme un boulet ou un larbin. La seule solution que le référent m’a donnée quand j’ai osé parler de ma souffrance, a été de serrer les dents : ‘Tenez le coup, il vous reste quatre semaines.' »
Même son de cloche du côté de Théo, étudiant en troisième année, qui partageait les humiliations subies tout au long de son parcours au micro d’Europe 1 lundi dernier. Noyé sous les brimades, souvent contraint de prendre en charge plus de patients que la raison ne l’entend (sous-effectif oblige), l’infirmier en devenir n’a eu de cesse de se remettre en question.
« J’étais à bout. J’ai mal vécu d’être rabaissé, d’entendre des réactions d’infirmières qui disaient ‘Jamais tu seras infirmier, de toute façon, t’es nul, tu ne sers à rien.’ J’ai vécu ça dans un stage où il y avait une infirmière et deux aides-soignantes, c’est-à-dire qu’il manquait une infirmière pour prendre en charge la moitié des patients dans le service. On s’est mis à deux étudiants pour gérer le service, à devoir faire les soins d’hygiène des patients. C’est difficile pour un étudiant en première année, qui n’a pas été formé. On rentre le soir et on se dit ‘Est-ce que ce métier est vraiment fait pour nous ?‘ »
Des stagiaires abusés et désabusés : si certains se font ouvertement exploités, d’autres se voient tourmentés par leurs collègues selon des critères identitaires. « Je connais plusieurs personnes qui ont été harcelées par des professionnels à cause de leur religion, de leur âge, voire de leur couleur de cheveux, confesse Audrey. Ils profitent de la faiblesse mentale de certains, sachant qu’ils n’oseront rien dire. »
Pour le docteur Valérie Auslender, auteur de l’ouvrage Omerta à l’hôpital : Le livre noir des maltraitances faites aux étudiants en santé, « le harcèlement moral à l’hôpital est tabou et ancré dans les mœurs« . Pour en finir avec la loi du silence, elle appelle à « dénoncer systématiquement, condamner, inclure dans la formation la question des violences institutionnelles, de la souffrance du patient et de l’équipe, former les professionnels au tutorat, et surtout sortir des logiques de rentabilité à l’hôpital pour remettre l’humain au cœur du soin« .
*le prénom a été modifié
{"type":"Banniere-Basse"}