Conçu par l’illustrateur et game designer Michel Ziegler, Mundaun nous invite dans une vallée alpine. Un jeu vidéo d’horreur au graphisme splendide qui nous emmène très loin des codes du genre.
Un apiculteur sans visage, un bonhomme de foin. Ce ne sont pas les “monstres” traditionnels des jeux vidéo d’horreur, mais leur apparition nous laisse tétanisé·es. Sursaut, coup au cœur, avis de grand froid à l’intérieur : toute la collection est là quand on les aperçoit, immobiles ou en mouvement, dans la montagne en noir et blanc. Mundaun n’est pas un jeu d’épouvante comme les autres.
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En n’y jetant qu’un œil distrait, on pourrait même presque le prendre pour une aimable balade alpine, n’était ce style graphique qui tranche avec l’ordinaire vidéoludique. Car, dans ce jeu conçu par l’illustrateur et game designer suisse Michel Ziegler et dont l’ensemble des décors et personnages ont été dessinés à la main, le photoréalisme n’est pas un objectif. Même à l’air libre et dans une apparente liberté, se déplacer dans ce monde et voir ses habitant·es bouger est déjà source d’étrangeté.
https://www.youtube.com/watch?v=kCQNrOpyNcI
Marier une modernité structurelle avec quelque chose de primitif
Le point de départ de Mundaun est classique pour un jeu d’aventure. Le héros que l’on contrôle reçoit une lettre lui annonçant la mort de son grand-père et se rend dans la vallée des Alpes où le vieil homme vivait et que lui-même a bien connue autrefois. Mais, là-bas, rien ne se passe comme on pouvait s’y attendre. A notre arrivée, on n’y rencontre personne, sauf à compter le cadavre carbonisé de notre papi dans sa grange qui a brûlé alors qu’on le croyait au cimetière et, très vite, des choses bizarres se produisent.
Oh, d’abord presque rien, juste un léger flottement, comme avec ces photos sur les murs qui semblent prendre vie quand on les regarde longtemps – on les entend, on se croirait dedans. Mais, bientôt, on se retrouve à trimballer dans notre besace la tête coupée et agitée d’une chèvre que l’on remettra plus tard dans son bunker à un vieil homme qui se croit toujours en guerre.
Un “Grand Theft Auto” devenu jeu d’épouvante dirigé par Dreyer
La force de Mundaun, c’est sa manière de marier une certaine modernité structurelle, celle des jeux vidéo d’aujourd’hui (leurs mondes ouverts à explorer, leur multitude d’activités, leurs missions…), avec quelque chose de beaucoup plus primitif dont le parti pris d’une image en noir et blanc n’est qu’un indice parmi d’autres, un peu comme si l’on se retrouvait dans un Grand Theft Auto devenu jeu d’épouvante sous la direction de Carl Theodor Dreyer.
Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce qu’on se sente à la fois en terrain (ludique) familier et profondément déstabilisé par ce jeu qui peut aussi s’appréhender comme un Kentucky Route Zero suisse en 3D – toutes proportions gardées.
Un voyage dans une certaine mémoire collective
Le cas Mundaun ressemble aussi à un nouveau signe que quelque chose est en train de changer dans le jeu d’horreur qui, loin des survivals musclés façon Resident Evil, s’offre depuis quelque temps une échappée plus auteuriste et troublante en passant par l’Europe.
Ce n’est pas forcément un hasard si le suisse Mundaun nous arrive dans la foulée du suédois Little Nightmares II (qui jouait sur les peurs de l’enfance, avec notamment un chapitre à l’école très traumatisant) et du polonais The Medium. Comme ce dernier, l’œuvre de Michel Ziegler s’inscrit d’ailleurs d’une façon très assumée dans l’histoire et la culture de son pays, là où bien des jeux occidentaux optent encore pour un cadre américain de synthèse supposé plus neutre et vendeur.
Mais, entre ces deux jeux marquants du début d’année, les similitudes vont plus loin. A l’image de The Medium mais en s’inspirant du folklore et des légendes des Alpes, Mundaun invite lui aussi à un voyage dans une certaine mémoire collective doublé d’une interrogation sur ce qui fait (ou non) exister et tenir une communauté. Le lien entre les générations ? Le travail ? La manière de s’approprier l’espace ? Les rituels partagés ?
Tout cela pourrait sembler théorique, littéraire, exagérément cérébral. C’est pourtant tout le contraire dans ce jeu stupéfiant qui apporte une nouvelle preuve de la portée universelle du très particulier – du très personnel, du très local – dans le jeu vidéo comme dans la fiction en général. Une manette ou une souris d’ordinateur en main, l’expérience Mundaun est viscérale.
Mundaun (Hidden Fiels/MWM Interactive) sur PS4, PS5, Xbox One, Xbox Series X/S et Windows. A paraître sur Switch en avril
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