Alors que depuis 2009 Athènes enchaine les mesures d’austérité contre des liquidités, l’allégement de sa dette n’a toujours pas été décidé par les pays de la zone euro. Certains Grecs regardent du côté de la France. Le nouveau locataire de l’Elysée “Européen convaincu” se positionne en faveur d’une restructuration de la dette hellène. Une voie dont l’Allemagne refuse d’entendre parler.
Dans son bureau inondé de soleil, Nikos, gérant d’une enseigne de cosmétiques, pianote sur son smartphone. Une vidéo de quelques secondes apparaît sur l’écran. Prise fin juin lors d’un Conseil européen, on voit Alexis Tsipras, Premier ministre grec, entré dans une salle de réunion. De dos un peu plus loin, la chancelière allemande Angela Merkel sert des mains. D’une démarche hésitante, le leader de Syriza vit un léger moment de solitude. Nikos repasse les images à plusieurs reprises. D’abord hilare, il finit par sourire jaune. “C’est pathétique, Tsipras est totalement ignoré. Cette situation représente bien celle de la Grèce: nous sommes seuls.”
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A ses côtés, Dimitris moins amusé par la saynète que son collègue, se veut plus enthousiaste. L’homme au visage hâlé lance la conversation sur l’élection, le 7 mai 2017, d’Emmanuel Macron. Un espoir selon lui pour l’Europe et la Grèce. “Il est jeune, moderne, ni de droite ni de gauche. Il représente le renouveau”, lance t-il enthousiaste. Contrairement à l’ancien président François Hollande “il a conscience du poids de la France, il pourra s’imposer face à Angela Merkel pour empêcher l’Allemagne de diriger seule la Communauté européenne”, estime Dimitris qui a suivi l’élection française de loin, sans s’être sérieusement penché sur le programme du nouveau président français.
“La lumière de la Grèce passe par Paris”
le 25e président de la République française, élu à 66,10 % sous la bannière de son propre parti En marche ! créé un an plus tôt, est “un Européen convaincu”. Emmanuel Macron envisage la relance de l’Europe comme une priorité. Dans son programme, l’homme d’Etat met l’accent sur le besoin d’une Union européenne renouvelée, plus forte. Cela passe notamment par une “Europe de la croissance” avec la création d’un budget commun pour la zone euro placé sous la responsabilité d’un ministre commun des Finances et une harmonisation de la couverture sociale, du salaire minimum et de l’assurance chômage.
“Je n’ai rien vu de concret pour la Grèce, admet Lino Silavos, avocat pour le compte de l’Eglise catholique, mais Macron veut réformer la France afin d’obtenir la confiance de Berlin, ce qui est bon pour nous.” Si le locataire de l’Elysée n’a jamais remis en question le duo franco-allemand qu’il souhaite consolider, Lino Silavos envisage la France comme un allié historique de la Grèce.
“Lorsque le gouvernement français aura réglé les problèmes dans son pays, il pourra plaider en notre faveur. La France est un pays fort, c’est bon de l’avoir à nos côtés”.
L’avocat en est convaincu: “La lumière de la Grèce passe par Paris”.
Lena Velissariou veut y croire. Assise dans un café en face du port de Thessalonique, la grande cité du nord du pays, la professeure de français se plaint de la forte odeur émanant des poubelles. Durant onze jours, les ordures n’ont pas été ramassées à travers le pays. Cela fait suite à une grève des éboueurs contractuels – environ 6 500 selon les syndicats – menacés de ne pas voir leurs contrats reconduits.
“Voilà où nous en sommes, lance Lena Velissariou. La crise dure depuis sept ans. Les mesures d’austérité s’enchainent. Même s’il en reste à faire, nous avons fournis beaucoup d’efforts.”
Sept ans de crise
En 2009, le Pasok (parti socialiste grec) tout juste élu, découvre un pays au bord de la faillite et divulgue les vrais chiffres d’un déficit maquillé. Il n’est pas de 6% comme indiqué par le gouvernement précédent mais de 12,7 % du PIB. Dans l’incapacité d’emprunter sur les marchés, la Grèce fait appel à l’aide internationale notamment au FMI et aux pays de la zone euro. Depuis 2010, trois plans d’aide – ou mémorandum – dont le dernier court jusqu’en 2018 ont été accordés à Athènes.
Contre cet argent frais débloqué par tranches, la Grèce s’engage à appliquer une politique d’austérité drastique. Privatisations, hausse des impôts, création de nouvelles taxes, coupe dans la fonction publique, salaire minimum amputé de 14 %, baisses de plus de 40 % en moyenne des retraites… Des mesures qui ont directement affecté la population, à l’image de Lena Velissariou
“J’ai perdu 400 euros sur mon salaire. Mon père reçoit 440 euros de retraite. Comment fait-on pour s’en sortir avec une telle somme?” questionne l’enseignante le visage froncé. “Une amie de ma fille de 20 ans est vendeuse. Elle touche 166 euros à la fin du mois. Nos jeunes paient le prix fort de cette crise. Il n’y a pas de futur en Grèce, nous sommes fatigués”.
Selon Lia Chrissara, journaliste pour la télévision publique ERT (le groupe audiovisuel qui, en 2013, a brutalement cessé d’émettre pendant deux ans), si les dernières élections française ont été peu suivies par les Grecs “davantage préoccupés par leurs problèmes quotidiens”, elle note l’espoir suscité par l’élection d’Emmanuel Macron. Déjà parce qu’il a fait barrage au Front national, parti d’extrême droite, “ce qui est un message positif pour toute l’Europe” mais aussi parce qu’il s’est dit en faveur d’une restructuration de la dette grecque. “Nous espérons qu’il aura le pouvoir de contrebalancer Merkel et Schäuble (Wolfgang Schäuble, ministre des finances allemand ndlr) intransigeants sur le sujet”.
Le fardeau de la dette
Croissante d’année en année, la dette grecque représente aujourd’hui 179 % du PIB grec. Alexis Tsipras avait fait de sa restructuration une promesse de campagne. Mais la zone euro notamment sous l’impulsion de Berlin refuse de trancher sur la question bien que la dette soit jugée insoutenable notamment par de nombreux spécialistes, le FMI et… Emmanuel Macron.
Le 29 mai dernier, avant la tenue d’un énième Eurogroupe réuni pour discuter du déblocage d’une nouvelle tranche d’aide à la Grèce, Emmanuel Macron s’est entretenu avec Alexis Tsipras. Durant la conversation téléphonique, le président français a rappelé à son homologue “sa volonté de trouver un accord prochainement pour alléger dans la durée le poids de la dette grecque”. Selon la solution envisagée et défendue par la France, la croissance grecque conditionnera sa capacité de rembourser ses créanciers (FMI, BCE, Commission européenne).
“Macron sait que le problème de la Grèce est un problème européen, avance Elias Karavolias, économiste grec. Il a compris que nous avons besoin de croissance et d’investissements. La réponse doit être économique”, poursuit l’économiste d’une voix grave. “Le nouveau président connaît parfaitement les mécanismes de la finance. Il sait que les mesures d’austérité prises jusqu’à présent ne sont pas efficaces.”
Emmanuel Macron n’en est pas à son premier coup d’essai en faveur de la Grèce. Retour à l’été 2015. L’Union européenne est ébranlée par le spectre d’un Grexit. Celui qui occupe encore les bureaux de Bercy veut jouer les intermédiaires de l’ombre entre Athènes, Paris et Berlin.
“Alors que la ‘troïka’ Les créanciers de la Grèce et le gouvernement de Berlin étranglaient les tentatives de notre gouvernement de gauche nouvellement élu pour libérer la Grèce du carcan de sa dette, Macron a été le seul ministre d’Etat en Europe à faire tout son possible pour nous aider” écrit Yanis Varoufakis dans une tribune publiée dans Le Monde. “Et il l’a fait en prenant un risque politique personnel”.
Avec @YanisVaroufakis pour parler d’Europe. pic.twitter.com/3XdggQ63OK
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) April 19, 2016
Finalement, l’épisode se solde par la signature au forceps d’un troisième Mémorandum évitant la sortie de la Grèce. François Hollande salue la décision d’Alexis Tsipras et le rôle clé joué par la France dans le maintien d’Athènes au sein de l’union monétaire. Emmanuel Macron lui, se montre sur la réserve : “Au-delà de l’accord qui a été trouvé, il faut que nous puissions redéfinir les voies et moyens d’un redémarrage de l’économie grecque, ce que ne permet pas l’accord à ce stade.”
“Macron ne changera pas le système en place, il en fait partie”
Platonas Chidzos reste dubitatif quant à l’espoir suscité par l’élection d’Emmanuel Macron. “Nos médias nationaux nous l’ont présenté comme étant la meilleure option pour la Grèce contrairement à Marine Le Pen qui, pour une raison que j’ignore, aurait été pire pour nous”, s’amuse ce diplômé d’histoire. “Comme dans toutes les relations, il y a un moment où chacun regarde ses propres intérêts. Il est question que l’on rembourse notre dette sur le plus long terme mais cela ne fait que repousser le problème sans le régler;”
Au sein du Parlement, à Athènes, Katerina Igglezi, députée Syriza secoue la tête en signe de négation. “Je ne pense pas que le nouveau président français représente une chance pour la Grèce ou l’Europe. Il va poursuivre la politique néolibérale dominante et rejoindre le cercle de Merkel et Schäuble.” Selon l’élue, la politique que compte mener Emmanuel Macron sera pire que celle de François Hollande. “Il ne changera pas le système en place, il en fait partie. Mais l’Europe ne tiendra pas ainsi”, prévient-elle.
En contrebas du Parlement, attablée à un café de la rue commerçante Ermou, Stéfania ne cache pas son exaspération. La trentenaire au chômage peste contre les dirigeants grecs qui ont, selon l’Athénienne, mené le pays au bord du gouffre.
“ Vous vous rendez compte, on espère qu’un dirigeant étranger vienne nous sauver et l’on regarde déjà du côté des prochaines élections allemandes prévues en septembre. Le sort de la Grèce n’est pas entre nos mains”.
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