Entre Emmanuel Macron, qui fait de l’entente franco-allemande un axe majeur de sa politique, et Marine Le Pen, fer de lance d’un Frexit soumis à référendum, jamais la question de l’Europe n’a été aussi centrale lors d’un second tour d’élection présidentielle.
Quand Marine fait siffler l’Union européenne dans ses meetings, Emmanuel Macron répond en faisant applaudir le couple franco-allemand dans les siens. Entre une candidate farouchement europhobe et un candidat ouvertement europhile, la question européenne, une fois n’est pas coutume, se retrouve au cœur de la campagne présidentielle. Quand TF1 retire le drapeau européen de son plateau à la demande de la candidate du Front national, les drapeaux européens se mélangent aux drapeaux français dans les meetings d’Emmanuel Macron.
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Les deux candidats du second tour portent des récits diamétralement opposés : celui d’une France fermée sur elle-même contre celui d’une France ouverte. Marine Le Pen s’inscrit dans la lignée du Brexit et de la montée des populismes en Europe, et accuse Bruxelles d’être la cause des maux de la France. Dans le monde de Trump, d’Erdogan et Poutine, Emmanuel Macron fait de l’ouverture un axe central de sa campagne pour agglomérer les voix des proeuropéens de gauche et de droite contre le risque du repli.
Plus haut score du parti écolo
“Dans les campagnes présidentielles précédentes, la question européenne était absente ou presque, à part François Mitterrand et Jacques Chirac en 1988 sur le futur traité de Maastricht de 1992”, raconte Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’Ifop. La seule campagne véritablement europhile fut celle portée par Daniel Cohn-Bendit lors des européennes de 2009. EE-LV remporta alors 16,28 % des voix au niveau national et 20,86 % en Ile-de-France, le plus haut score du parti écolo.
“Ce n’était pas si facile de faire le pari de mettre en avant le projet européen plutôt que de s’opposer frontalement à la politique de Nicolas Sarkozy car cette question est sous-traitée ou mal traitée par les journalistes”, estime Daniel Cohn-Bendit, aujourd’hui soutien affiché d’Emmanuel Macron. Un point de vue partagé avec ironie par Jean Quatremer, le correspondant de Libération à Bruxelles.
“Les questions européennes ont été sous-traitées dans les débats. Les télés préfèrent parler des costumes de François Fillon qu’interroger les candidats sur leur projet européen. Le soir du premier tour, pour la première fois en vingt ans, France 2 m’a fait venir à Paris pour un petit débat sur l’Europe de sept minutes… il a été diffusé à 2 heures du matin ! Un progrès tout relatif.”
Sept candidats soutenaient une sortie de l’Europe
Mal traitée médiatiquement, l’Europe a été très représentée politiquement dans cette campagne : sur onze candidats, sept soutenaient une sortie de l’Europe. Et trois parmi ces onzes en ont fait une question centrale : Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. “Ces deux derniers en ont même fait la mère de toutes les batailles”, estime Thierry Pech, le directeur du think tank Terra Nova.
Le leader de La France insoumise fustige la politique allemande, responsable selon lui de l’austérité européenne et d’avoir étouffé le peuple grec. La chef du parti d’extrême droite accuse l’Europe de tous les maux. “Derrière le thème de l’Europe apparaît un clivage très structurant entre nationalisme et mondialisme, nationalisme de gauche avec Jean-Luc Mélenchon et de droite avec Le Pen, mondialisme de gauche avec Benoît Hamon et de centre-droit avec Emmanuel Macron”, analyse le spécialiste des relations internationales Bertrand Badie.
“Le clivage gauche-droite disparaît au profit du clivage fermeture et ouverture” Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’Ifop
“Le vote Le Pen et Macron est divisé en deux entre les perdants et les gagnants de cette mondialisation, rappelle Frédéric Dabi, entre la France des campagnes qui se sent abandonnée, celle des non-diplômés qui n’est pas adaptée à la nouvelle économie, contre la France ouverte sur l’extérieur, en contact avec le monde qui bouge, celle des villes. Le clivage gauche-droite disparaît au profit du clivage fermeture et ouverture”.
“Statu quo complet”
Pour l’économiste Thomas Piketty, défenseur du projet européen de Benoît Hamon et partisan d’un traité de démocratisation de l’UE, “la question européenne domine en fait la politique française depuis un quart de siècle et le traité de Maastricht, sauf qu’en général, cette question est traitée sur un mode pathologique : soit on casse tout, soit on ne change rien au traité budgétaire de 2012, comme le souhaitait François Fillon et le souhaite Emmanuel Macron.
“Macron ne propose rien. C’est le statu quo complet. Cette idée qu’il faut attendre qu’on devienne tous allemands pour pouvoir réformer l’Europe est une idée folle. La situation économique actuelle de l’Europe ne permet pas d’attendre”.
“Relancer le moteur franco-allemand”
En 2012, François Hollande parlait de réorienter l’Europe. En 2007, Nicolas Sarkozy voulait imposer sa vision européenne à Angela Merkel, la même ligne que François Fillon dans cette élection. Mais pour Daniel Cohn-Bendit, ce n’est pas la ligne d’Emmanuel Macron : “Il est faux de dire que Macron est le candidat de la continuité ou du statu quo. Il veut en même temps réformer la France et en même temps demander aux Allemands de changer la politique économique européenne.
“Il veut relancer le moteur franco-allemand et, en même temps, il ne promet pas des choses qu’il ne peut pas faire.” Le candidat d’En marche !, qui s’est rendu deux fois en Allemagne au cours de sa campagne, est soutenu à la fois par Angela Merkel à droite et Martin Schulz à gauche.
Farouche opposante à l’Union européenne et partisane de la sortie de l’euro, Marine Le Pen a arrondi les angles sur sa fin de campagne et insisté sur le fait qu’elle conditionnera la sortie de l’euro à un référendum. “C’est vous qui choisirez”, a-t-elle une nouvelle fois répété en meeting à Nice, le 27 avril. “Si elle laisse tomber la sortie de l’euro et de l’Europe, c’est 50 % de son programme qui s’effondre – la sortie de la PAC, la préférence nationale…
“Marine Le Pen, sous l’impulsion du souverainiste Florian Philippot, a donné dans son offre politique un caractère systémique à la sortie de l’Union, une question qui ne fait pas partie du logiciel historique du Front national – identité, immigration, sécurité. En cas de mauvais score le 7 mai, la tête de Philippot roulera dans le panier, estime Thierry Pech, avant d’ajouter, la centralité qu’elle donne à la sortie de l’euro est une erreur stratégique qui l’empêche de grandir et divise son propre électorat.”
“Le sentiment antieuropéen n’est pas majoritaire dans l’opinion” Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales
En effet, les enquêtes d’opinion montrent que cette question clive les jeunes électeurs du FN et que 70 % des Français sont opposés à la sortie de l’euro. “C’est un paradoxe important : le sentiment antieuropéen n’est pas majoritaire dans l’opinion, il est surtout utilisé pour cristalliser les dysfonctionnements français sur le dos de l’Europe et créer un motif de ralliement contre l’ordre politique”, analyse Bertrand Badie.
Ce paradoxe entrave la campagne de Marine Le Pen, qui a hésité entre le retour aux fondamentaux, comme en 2012, avant d’opter pour une autre stratégie en s’engouffrant dans la porte laissée ouverte par Jean-Luc Mélenchon, suite à son silence au soir du premier tour. En faisant le choix de ne pas se positionner, il a influé sur la stratégie de Marine Le Pen qui tente de rallier l’électorat populaire, eurosceptique et rétif à la mondialisation, ou à le dissuader de se rendre aux urnes.
“La fasciste” et “le banquier”
Elle tape dans le vocabulaire du leader de La France insoumise en faisant d’Emmanuel Macron le candidat de “l’oligarchie”, et s’acharne à souligner les “similitudes” entre le programme du FN et celui des Insoumis, sans hésiter à falsifier une partie de la réalité. Elle compte surfer sur le “ni ni”, positionnement qui renvoie dos à dos Le Pen et Macron, “la fasciste” et “le banquier”, l’extrême droite et le libéralisme.
En voulant siphonner le vote insoumis, Marine Le Pen cherche à agglomérer les votes de droite et de gauche du non à Maastricht en 2005. Cette jonction est-elle possible le 7 mai ? “Jean-Luc Mélenchon a pris un risque énorme, estime Bertrand Badie, celui de reconstruire la gauche autour de l’équation nationaliste. La preuve, des électeurs de Mélenchon ne sont pas du tout gênés de reporter leurs voix sur Le Pen.”
Une porositée dont doute sérieusement le démographe Hervé Le Bras : “Seulement entre 9 à 15 % du vote Mélenchon pourrait passer au Front national. Il ne faut pas oublier que l’électorat de Mélenchon c’est le vote Hamon, plus le vote François Hollande de 2012, c’est donc très largement une clientèle socialiste.”
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