La nouveauté de cette rentrée scolaire, c’est l’intégration de l’enseignement moral et civique au programme de l’année, du primaire à la terminale. Nous avons contacté une institutrice de primaire en banlieue parisienne. Pour elle, cette mesure est inutile et inapplicable.
Promulguée en juin 2015 par la ministre de l’Education nationale Najat Vallaud-Belkacem, la loi sur l’enseignement moral et civique (EMC) vise à sensibiliser les élèves aux valeurs de la République et à la citoyenneté “après les attentats qui ont visé le cœur des valeurs républicaines”, comme le précise le ministère sur son site. L’enseignante de CP que nous avons contactée estime non seulement que les valeurs que prône la nouvelle loi sont déjà évoquées dans l’enseignement, mais aussi que cette mesure est inapplicable telle qu’elle est envisagée par le gouvernement.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Comment avez-vous été informée de cette nouvelle mesure ?
– Tout ce qu’on a reçu, c’est simplement une directive de 6 pages sur la charte de la morale mais pas sur la laïcité. On a juste demandé aux professeurs de se rendre sur le site internet de l’Education nationale pour obtenir plus d’informations sur les programmes à mettre en place. Je reçois bientôt les parents d’élèves pour une réunion sur la rentrée, je ne vais pas perdre mon temps à parler de ça, j’ai d’autre priorités concernant l’accueil des élèves.
Certains syndicats enseignants estiment que cette loi aurait dû attendre la rentrée 2016 ?
Bien sûr qu’il fallait attendre l’année prochaine. On nous balance ça juste avant la rentrée, du coup on n’a ni le temps de s’organiser ni de se préparer. Comme d’habitude, on n’est jamais consultés. Il aurait fallu lancer l’idée d’un tel projet cette année avant de mettre en place un débat, des conférences pédagogiques, afin de s’organiser avec les autres écoles pour voir ce qui fonctionne ou pas… On aurait aussi pu débattre des thèmes à aborder, comme inclure celui de l’accueil des enfants non francophones, vu que beaucoup viennent de l’étranger.
Pourquoi, selon vous, cette mesure a été prise aussi rapidement ?
On a l’impression que le gouvernement a voulu bien se mettre en avant, en réagissant vite après les attentats à Charlie Hebdo. Mais on a déjà fait une minute de silence après les événements de janvier. Nous avons eu des discussions sur la liberté l’égalité, la fraternité… Tous les élèves sont réceptifs, ils adorent discuter. On leur explique qu’aller à l’école, c’est une chance, quand d’autres enfants en sont privés, et eux pensent que les autres ont de la chance de ne pas étudier. On leur a enseigné les valeurs de la République, par exemple à travers les couleurs du drapeau, et ceux des autres pays. Les élèves en sont fans, certains les connaissent mieux que moi (rires).
Enseigner la morale aux enfants, c’est une nouveauté ?
On n’a pas attendu notre ministre pour parler de la morale et de la laïcité. L’école c’est de toute manière l’enseignement du vivre ensemble en permanence, que ce soit en classe ou dans la cour…
La morale on en parle tous les jours à travers des thèmes très variés. Par exemple le thème de la liberté a été abordée avec mon assistante qui a quitté l’Algérie. Elle a expliqué qu’elle a fui son pays pour pouvoir s’habiller, parler comme elle veut… On évoque aussi le respect, la moquerie ou l’argent. C’est essentiel avec des élèves de toutes les conditions sociales réunis dans une seule classe. On parle aussi de la police, avec le père d’un élève, policier, qui intervient dans la classe pour faire comprendre qu’il n’est pas là pour embêter les gens, contrairement à ce que beaucoup d’enfants s’imaginent. Au-delà de la simple notion de morale, il s’agit de canaliser les émotions des élèves, en discutant de tout.
Donc que va changer au quotidien l’obligation d’intégrer l’EMC au programme ?
Je reste sur ce que je faisais déjà, je ne vais pas radicalement changer mon organisation. Après le déjeuner, nous faisons un débat de 15 minutes pour débriefer ce qui se passe pendant la récréation. Je leur demande de réagir d’abord, puis je redirige la discussion.
Le site de l’Education nationale indique qu’il faut discuter de situations réelles, c’est exactement ce que l’on a toujours fait. Avant, je le faisais deux fois par semaine. Je compte maintenant le faire tous les jours, et l’inscrire au programme de la journée, puisque je vais probablement recevoir une inspection dans le courant de l’année.
Le pire, c’est que l’EMC est censé occuper 1 heure de cours par semaine. C’est impossible à tenir. Avec la réforme, le temps scolaire a été diminué au profit du temps périscolaire. On dispose désormais de 15 minutes de travail en moins par jour. C’est un rythme impossible à appliquer pour les enseignants du cycle 3 (CE2, CM1 CM2 – ndlr) qui ont déjà raccourci leur programme d’histoire et d’instruction civique.
Qu’en est-il des sorties pédagogiques que le ministère préconise ?
A cause du plan Vigipirate on ne peut pas vraiment faire de sortie. On se limite à aller au sport et à la bibliothèque. Les années précédentes, les cycles 3 allaient au Sénat, mais depuis l’année dernière, ils n’ont plus le droit de s’y rendre pour des raisons de sécurité. Mais au-delà des déplacements, nous faisons en permanence comprendre aux élèves que les règles de savoir-vivre s’appliquent aussi bien à l’école qu’au dehors, que ce soit en respectant les règles de sécurité ou en étant polis avec les intervenants.
{"type":"Banniere-Basse"}