Un juge français enquête sur le rachat douteux de dizaines de PMU en Ile-de-France par la communauté chinoise. Le procédé pourrait servir à blanchir de l’argent.
Mégots qui s’amassent devant l’entrée, légère odeur de clope froide à l’intérieur, billets perdants entassés au pied du zinc, atmosphère saturée : nulle bourgade ne serait française sans son bar sous licence PMU, la seule qui permet de miser sur les courses hippiques accoudé au comptoir.
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Monstre aux bénéfices chaque année florissants, le Pari mutuel urbain réalise près de 90 % de son chiffre d’affaires de 9 milliards d’euros depuis ses points de vente en dur : café, tabac, brasserie…
« Nous avons actuellement 10 374 points de ventes, précise la com du parieur. Et cela au prix de la distribution de 800 nouvelles licences en 2010. »
Un pactole qui aiguise notamment l’appétit de membres de la communauté chinoise, qui se sont depuis des années investis dans la reprise d’établissements assortis d’une licence PMU : 20 % des rachats en Ile-de-France l’an dernier. Mais la boulimie a récemment provoqué une petite indigestion.
Une commission rogatoire internationale, lancée par le juge d’instruction Jean-Christophe Hullin du TGI de Paris, vient de partir vers la Chine, conséquence d’une vaste enquête sur le rachat douteux de dizaines de bars PMU en Ile-de-France pour autant de demandes de licence pour les paris hippiques. La procédure, lancée par la brigade courses et jeux en février 2010, suscite un malaise, et pas seulement au PMU qui dit ne l’avoir apprise que par la presse. Pourtant, les policiers assurent lui avoir intimé de porter plainte. « Faux, assure-ton au PMU, d’ailleurs nous ne savions même pas sur quelle base porter plainte. »
Officiellement, pour obtenir la précieuse licence, le cafetier se rend à l’agence régionale du PMU et remplit un dossier assez sommaire. Puis il passe par les services du ministère de l’Intérieur, plus précisément à la brigade course et jeux de Nanterre- passée de la direction des Renseignements généraux (RG) à la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). Pour prouver leur bonne foi, les patrons d’établissement doivent justifier de la provenance de leur pécule, avec notamment une attestation justifiant de l’origine des fonds dans le cas d’un changement de mains. Après enquête, la police délivre (ou pas) l’autorisation. Un moyen d’éviter que les rachats ne servent à blanchir de l’argent sale grâce à une activité commerciale générant de l’argent tout propre.
Devant l’afflux de demandes, les vérifications s’avèrent d’ordinaire assez légères – « quand il y en a, peste un flic de la brigade. Un simple examen administratif ou tout comme. » Fin 2009, l’amoncellement d’attestations d’apports en liquide rédigées en mandarin et venues de la même étude notariale sise en Chine a intrigué la police. Elle a sondé la véracité d’une des attestations en demandant une coopération technique internationale en Chine… Après vérification, l’étude notariale existe bien mais le document ne parle pas d’un apport de fonds. Le logo du notaire a été emprunté pour réaliser un document bidon.
En février 2010, les limiers ont donc ouvert une enquête préliminaire pour faux, usage de faux et non-justification de ressources. Au fil des mois, ils ont compilé patiemment les dossiers, mettant de côté les demandes où apparaissait le même sceau. Cela concernait onze tabacs et pour près de 2 millions d’euros à l’origine suspecte.
« En octobre, on a constaté que le filon s’épuisait, on ne recevait plus de demandes, glisse l’un des enquêteurs, il était temps de cueillir. »
L’enquête, ouverte sous l’égide du procureur de Créteil, migre alors vers Paris et sa juridiction interrégionale spécialisée (Jirs). Le 22 octobre, une vingtaine de personnes sont interpellées. Au cours des perquisitions diligentées par le juge d’instruction Jean-Christophe Hullin, la police retrouve d’autres actes falsifiés et du liquide. Et obtient de certains des aveux : les attestations sont bien bidons.
Les enquêteurs, qui ont longtemps espéré remonter une filière de blanchiment liée aux mafias extrêmeorientales, ne sont pas entièrement satisfaits : « Le mieux que l’on puisse faire désormais, c’est identifier le faussaire s’il est en France. Mais prouver un quelconque blanchiment va être compliqué », déplorent les policiers. Même avec une commission rogatoire internationale ?
« Le dossier est vide sur cet aspect. La CRI ne concerne pas le blanchiment. Certains suspects n’ont pas avoué qu’ils ont fait des faux, la demande ne concerne que la vérification des documents. On va avoir un retour de Chine qui va prouver qu’ils sont faux et les gars en prendront pour cinq ans de condamnation, voilà tout. De toute façon, aucune enquête de blanchiment avec la Chine n’a jamais abouti à Paris. »
Avant de conclure, dépité : « Chercher d’où vient l’argent liquide en Chine, c’est comme se demander si Dieu existe. »
Une interrogation mystico-financière que les bars PMU ne souhaitent pas trop aborder. Depuis octobre, la Fédération des buralistes d’Ile-de-France ne communique plus sur le sujet. A l’époque, son patron Gérard Bohelay s’était réjoui du coup de filet. « J’attendais une enquête depuis longtemps. La profession a besoin d’être nettoyée. Certains roulaient trop des mécaniques. On se posait des questions. » La tirade a été fort peu goûtée par une profession en crise et incite désormais le chef buraliste à faire profil bas. Contacté, il n’a pas souhaité donner suite.
Les sociétés de jeux regardent aussi leurs pieds. Le PMU ne mène aucune enquête au moment de distribuer ses licences. La Française des jeux (FDJ), elle, n’est même pas soumise à ce genre de paperasse. Jeux de grattage, loterie, tirage, Rapido, Keno : les tabacs qui les vendent n’ont besoin d’aucune autorisation de l’Etat.
PMU et FDJ sont l’objet de nombreuses combines, dont l’une dure depuis longtemps. Il suffit d’acheter un ticket gagnant avec de l’argent sale pour ensuite demander son chèque, et donc son oseille proprette. Le petit et le grand banditisme usent et abusent de ce procédé sans que la législation ait jamais changé et que les sociétés de jeux soient inquiétées.
« Nous n’avons pas fouillé en ce sens, constate un des chargés de l’affaire, et ouvrir une procédure pour complicité est un brin risqué. Cela signifierait pointer les dysfonctionnements de l’Etat. »
Au premier rang desquels une certaine passivité des services des douanes et des impôts, encouragée au plus haut niveau. Au moment du rachat d’un bar-tabac, les douaniers doivent normalement procéder aux vérifications d’usage : provenance des fonds, solvabilité des pourvoyeurs.
Mais leur boulot se borne souvent à une simple enquête de moralité. Pour soutenir une profession en crise, la procédure s’est même un peu simplifiée : l’obligation d’apporter 33 % en fonds propres a été levée l’été dernier… En 2010, le produit des jeux reversé à l’Etat a dépassé 3 milliards d’euros et les prévisions sont en hausse pour 2011, sans compter la manne internet et les taxes sur les mises. De quoi lâcher un peu la bride au jeu ?
Xavier Monnier
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