Une enquête sans compromis réalisée par la journaliste Patricia Tourancheau pointe l’absurdité de la politique du chiffre, devenue seul indice de la lutte contre la délinquance. Ce vendredi soir sur Canal +, à 22 h 25.
C’est dans un commissariat parisien du XIIe arrondissement que Patricia Tourancheau a mené son enquête, suivant des policiers en exercice pendant deux semaines. Pas de sensationnalisme ni de poursuites effrénées dans les rues de la capitale, mais juste le quotidien des brigades entre opérations sur le terrain et quelques portraits-interviews. Résultat : un constat sans compromis sur les limites de la politique du chiffre.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Consécutive à l’action de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur, dès 2002, la culture du résultat est devenue une pièce maîtresse de la politique sécuritaire en France. On demande désormais aux policiers de rendre des comptes, chiffrés, sur leurs interventions. Le taux d’élucidation est donc devenu un indicateur clé de l’évaluation des fonctionnaires de police. Ratio entre affaires constatées et affaires élucidées, il contraint les policiers à adapter leurs interventions aux statistiques.
S’est alors constitué un véritable pôle de délits rentables. En tête : infractions à la législation sur les stupéfiants (+ 41,8 % entre 2003 et 2008), infractions à la législation sur les étrangers (+ 68,2 % sur la même période) et racolage passif, délit créé par Nicolas Sarkozy au mois de juin 2003. Le problème tient moins à l’injonction de résultats qu’à la mauvaise définition des objectifs, déconnectée des problèmes réels d’insécurité : le nombre d’atteintes volontaires à l’intégrité physique a ayant augmenté de 14 % en cinq ans.
Exemple type : un fumeur de cannabis, “un shiteux”, arrêté sur la voie publique et ramené au commissariat. Une affaire constatée devient une affaire élucidée. Des jeunes ayant tagué un immeuble, arrêtés à leur domicile et interrogés, cela donne un délit constaté, un délit élucidé et trois interpellations. Taux d’élucidation : 100 % pour ces délits n’impliquant ni enquête préalable, ni plaignant, ni victime. Et de quoi surtout doper les chiffres de la lutte contre la délinquance. Mais il y a d’autres aspects, plus pervers, dénoncés par Patricia Tourancheau : contrôles au faciès ou travailleurs illégaux auditionnés en tant que victimes de travail dissimulé puis aussitôt poursuivis pour situation irrégulière.
Le reportage, bien qu’il soit à charge contre la politique gouvernementale, se garde de stigmatiser les policiers. Certains ont déjà fait part de leur méfiance, voire de leur totale opposition à cette politique du chiffre qui les focalise sur des délits mineurs au détriment d’affaires plus importantes. D’autres sont plus réticents à s’exprimer mais la tension reste palpable. En réalité, les fonctionnaires de police, comme il est mentionné dans leur code de déontologie, “peuvent s’exprimer librement dans les limites résultant de l’obligation de réserve à laquelle ils sont tenus et des règles relatives à la discrétion et au secret professionnels” (article 11). Difficile donc de critiquer une orientation formulée dans des lettres de mission émanant directement de la hiérarchie.
Elsa Mondin Gava
Cannabis, prostitution, sans-papiers : la politique du chiffre Une enquête de Patricia Tourancheau, vendredi à 22 h 25 sur Canal +.
{"type":"Banniere-Basse"}