Du 4 au 10 mars a lieu la semaine européenne de prévention et d’information sur l’endométriose. A cette occasion, plusieurs femmes atteinte de cette maladie chronique extrêmement douloureuse et encore tabou, ont bien voulu témoigner de leur parcours auprès des « Inrocks ». Le tout en exprimant un précieux et puissant message de sororité.
En commençant à travailler sur ce papier consacré à l’endométriose, deux choses nous ont sauté aux yeux. Premièrement, Il a été très facile de rentrer en contact avec des femmes atteintes de cette maladie féminine chronique –de quoi montrer à quel point celle-ci est répandue. Deuxièmement, toutes les femmes ayant accepté de témoigner semblaient heureuses, voire soulagées, de pouvoir s’exprimer à ce propos… Et, surtout, de pouvoir faire oeuvre de sensibilisation et de sororité. Rien de bien étonnant à cela : l’endométriose, qui touche pourtant au minimum une femme sur dix en âge de procréer, reste une pathologie mal connue du grand public, et est souvent diagnostiquée tardivement chez les patientes. Lesquelles sont souvent plongées dans le flou et l’incompréhension avant de pouvoir, enfin, mettre un nom sur leurs douleurs, tant physiques que psychologiques, et être prises en charge. Du moins, à minima : il n’existe pas de traitement pour soigner efficacement et durablement cette maladie complexe et multifactorielle.
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A l’occasion de la semaine européenne de sensibilisation sur l’endométriose, cinq femmes ont bien voulu nous raconter leur expérience de la maladie et leurs parcours médical, de façon, notamment, à informer d’autres potentielles malades, beaucoup ayant découvert en premier lieu être atteintes en lisant un article de presse. Menstruations extrêmement douloureuses, maux de ventre atroces, difficultés à tomber enceintes, sentiment de ne pas être prises au sérieux et impacts substantiels sur la vie professionnelle, sociale et sexuelle… Les conséquences négatives voire réellement handicapantes de cette maladie, qui se caractérise par la présence de tissu endométrial en dehors de la cave utérine, sont diverses et nombreuses.
“J’ai deux garçons, je suis contente de savoir qu’ils ne connaîtront pas ça”
La première à nous avoir répondu est Julie, 38 ans, cheffe de projet à Paris. La salve de textos qu’elle nous a envoyés, avant même que l’on s’appelle pour discuter, était assez significative de sa démarche : Julie, après avoir un temps éprouvé une certaine forme de “honte” par rapport à la maladie, a envie de parler, a besoin de parler. “Je suis vraiment contente qu’on évoque ce sujet depuis quelques temps, car moi, quand je souffrais, je ne comprenais pas pourquoi”, raconte celle qui a découvert son endométriose en juin 2012, après des années d’errances médicales et de tentatives infructueuses de concevoir un enfant avec son compagnon. “J’ai quand même l’impression qu’on a abîmé mon corps, j’ai fait plein d’examens, j’ai fait quatre inséminations… Alors qu’en fait, ça ne servait à rien, comme j’avais l’endométriose.”
Elle aura bien tenté de parler de la maladie à son gynéco de l’époque, spécialiste de l’infertilité. “Quand je le lui ai montré des articles, il m’a envoyée bouler, vexé que je lui suggère ça… C’est sa réaction qui m’a convaincue de consulter pour un autre avis médical, et j’ai bien fait.” Ce nouveau “super gynéco”, qui lui fera une coelioscopie, lui dira : “Tu ne risquais pas de tomber enceinte, c’est comme si tu avais des toiles d’araignée d’endométriose, j’ai tout enlevé, maintenant, peut-être que tu vas pouvoir tomber enceinte naturellement”. C’est le cas : aujourd’hui, Julie est l’heureuse mère de deux garçons. Elle a cette phrase bouleversante : “Je suis contente de savoir qu’ils ne connaîtront pas ça.”
Une charge mentale exacerbée
Paradoxalement, apprendre qu’elle était malade a été un soulagement, “une délivrance” même, nous explique Julie, visiblement toujours très émue aujourd’hui d’évoquer cet épisode de sa vie : “Avec cette maladie, tu te demandes si le problème vient de toi, si tu en rajoutes, alors que ça fait des années que tu es en détresse… Quand on m’a appris que j’avais l’endométriose, je me suis mise à pleurer.” Laurine, 28 ans, a ressenti exactement la même chose à l’annonce de son diagnostic, il y a deux ans : “Il y a eu une forme de soulagement, tu te dis que tu n’es pas folle. Maintenant, je m’autorise beaucoup plus à écouter mon corps.” Du fait de l’avancement de sa maladie, Laurine a pu congeler ses ovocytes gratuitement – certaines femmes que nous avons interrogées étaient au courant de cette possibilité, d’autres non, de quoi montrer le manque de publicité à ce sujet. En septembre dernier, le comité consultatif national d’éthique (CCNE) a rendu un avis favorable à l’autoconservation des ovocytes pour toutes les femmes – une pratique aujourd’hui légale que dans certains cas –, ce qui sera débattu dans le cadre de la future loi bioéthique.
Cela n’a en tout cas pas été évident pour la jeune femme : “Après avoir vu plusieurs gynécos, on m’annonce après une échographie et une IRM que j’ai l’endométriose, et on me demande direct si je veux des enfants. Je réponds que je ne sais pas. C’était assez violent, je ne m’y attendais pas. Au final, j’ai fait deux ponctions d’ovocytes.” Ses séjours dans un service de maternité/PMA – pas forcément facile à gérer pour cette célibataire, “tu ne vois que des couples autour de toi” – s’avèreront très durs. Laurine évoque les piqûres d’hormones, les prises de sang, les arrêts de travail de dix jours par la suite – “J’ai survécu, mais bon.” Aujourd’hui encore, elle peut être à tout moment sujette à des crises, voit sa vie sociale impactée, a toujours ses médicaments anti-douleurs qui la “shootent” sur elle… De quoi “augmenter la charge mentale”.
Des difficultés au niveau social et professionnel
Un témoignage dans lequel se retrouve totalement Andréa, conseillère sociale de 31 ans. “Cela génère du stress. Tu prévois une soirée, eh bien non, tu annules. Il faut aussi beaucoup de courage pour ne pas se couper de sa vie sociale, car, franchement, ça serait beaucoup plus simple de rester en boule dans son lit toute la journée. En fait, tu anticipes la douleur : toute ta vie tourne autour de ça, tu dois tout gérer en fonction de la maladie.” On lui a diagnostiqué l’endométriose depuis huit mois, après des années de souffrance quotidienne et de fatigue chronique, lesquelles ne cessent de s’accentuer.
Elle aussi s’est vue “péter un câble”, ne comprenant pas ce qu’il lui arrivait, se heurtant à l’incompréhension des médecins ou de son entourage lui faisant comprendre que tout cela était “dans sa tête”. Un jour, en allant uriner, elle a de telles crampes qu’elle s’imagine “faire un déni de grossesse, et être en train d’accoucher”. Démunie, Andréa commence à faire des recherches sur Internet, prend connaissance de l’endométriose. “J’ai su tout de suite que c’était ça.” Le diagnostic lui donnera raison… Et l’annonce sera brutale : “La première chose que le personnel médical m’a dit après l’IRM était “A votre âge, il va falloir se dépêcher pour les enfants, car ça va être compliqué”. Je trouve cela inadmissible de le dire comme ça, c’est de la violence médicale. Mais dans mon malheur, j’ai de la chance : mon utérus n’est pas touché, je n’ai pas de problèmes de fertilité pour l’instant.”
Des médecins eux-mêmes dans le flou
Cynthia, une kinésithérapeute de 30 ans, raconte le même genre de parcours. “C’est une maladie difficile à vivre au niveau social, car elle ne se voit pas et c’est très compliqué de se faire comprendre. Quand tu en parles, on te dit : ‘ce sont juste des règles douloureuses’… Comment dire à son boss que tu ne peux pas travailler à cause de ça ? On te prend pour une chochotte. Moi, j’ai une profession libérale, je ne peux pas être en arrêt, je n’ai pas de congés payés, etc.” Son diagnostic à elle, c’était il y a trois ans. Elle décrit le même calvaire que les autres : les souffrances horribles pendant les règles – elle fera même des malaises à deux reprises –, les relations sexuelles très douloureuses, la fatigue. Cynthia a aussi vécu l’errance médicale.“J’ai fini par en parler à mon médecin généraliste, qui m’a dit d’aller voir un psy, et que j’avais sans doute des problèmes liés à des rapports compliqués avec mon père… J’étais dépitée », dit-elle. Elle osera finalement en parler à sa mère, qui lui expliquera avoir l’endométriose.
La jeune kiné ira par la suite faire une IRM, elle apprendra qu’elle même est atteinte de la maladie. Aucune solution disponible n’atténue vraiment ses douleurs, la plus courante étant la prise de pilule en continu qui empêche les femmes d’avoir leurs règles. Elle a également mal vécu le fait de “savoir que ça va être difficile de tomber enceinte”, elle qui aimerait en avoir un enfant d’ici à un an et demi. Tout comme Julie qui estime qu’“il n’y a toujours pas de traitement, et trouve que les gynécos ne savent pas trop où aller ou quoi faire », Cynthia estime que “même les spécialistes de l’endométriose ne sont pas spécialistes”. Exemple : “J’en ai vu deux, et ils n’étaient pas d’accord sur quoi faire ! Le premier, exécrable, et que j’étais venue consulter après l’avoir vu à la télé parler de l’endométriose, m’a dit direct qu’il fallait opérer, le second, lui, non !”
Andréa relate exactement la même chose : “Le premier gynéco que j’ai vu après mon diagnostic m’a proposé de me mettre en ménopause artificielle, en me faisant des injections. Cela m’a fait flipper, je suis allée lire des avis qui n’étaient pas du tout positifs. Je suis allée voir un autre praticien : il m’a proposé la même chose. Mais, ce qu’il faut savoir, c’est qu’en me proposant la ménopause artificielle, les médecins eux-mêmes me disaient que c’était une maladie qu’on connaissait mal, et qu’ils n’étaient pas spécialistes. Donc ils me proposaient une ménopause artificielle sans être sûrs d’eux ! Ce n’est pas rassurant.” La jeune femme a finalement réussi à obtenir un rendez-vous à l’hôpital Saint-Joseph, où un centre consacré à l’endométriose existe. Délai d’attente : six mois. “Cela fait donc huit mois qu’on m’a diagnostiqué la maladie, mais je n’ai toujours pas eu de réponse efficace pour ma problématique.”
Des examens des plus désagréables
Virginie*, 26 ans, se sent elle aussi démunie par la situation. La jeune femme a subi il y a quelques temps une opération pour retirer ce qu’on appelle les adhérences endométriosiques. Elle est atteinte d’une “endométriose profonde”, qui touche ses organes se situant entre l’utérus et le système digestif. “On ne le sait pas forcément, mais l’endométriose ne touche pas que le système reproductif, mais potentiellement tous les organes”, rappelle-t-elle.
Diagnostiquée “un peu par hasard” à 23 ans après des années de souffrance face à son médecin traitant qui lui « prescrit un truc inutile type Spedifen », Virginie passe d’abord toute une série d’examens “particulièrement désagréables”. Elle voit alors une “première spécialiste pas plus agréable, qui d’ailleurs déplore souvent dans les médias le manque d’écoute du personnel médical dans ce domaine. Elle m’a dit que, selon elle, je n’avais pas suffisamment mal pour qu’on fasse plus, alors même que je lui disais que mon traitement ne marchait pas”. Le traitement en question : toujours la prise de pilule en continu, qui ne convient pas à toutes les femmes atteintes d’endométriose. “Je trouvais ça bien de témoigner notamment pour ça, parce que j’ai l’impression que, souvent, les articles sur l’endométriose disent que la pilule permet de mettre fin aux douleurs. Moi, depuis à peu près trois ans, j’ai déjà changé quatre fois de pilule, à cause des effets secondaires, mais surtout parce que ça ne permet pas de me soulager.”
“J’ai le sentiment d’avoir épuisé toutes les propositions thérapeutiques actuelles”
L’opération, il y a quatre mois et demi, se passe plutôt bien, même si la jeune femme estime aujourd’hui qu’elle n’y était pas du tout préparée. “J’ai découvert pas mal de trucs sur le coup, et les surprises n’étaient pas du meilleur goût, notamment le réveil post-opératoire avec une sonde urinaire. Les suites opératoires ont été aussi super dures, j’ai passé en tout cinq jours à l’hôpital mais j’ai mis plus d’un mois à remarcher normalement, sachant que les deux premières semaines je ne pouvais quasiment pas marcher tout court.” A présent, Virginie a le sentiment “d’avoir épuisé toutes les propositions thérapeutiques actuelles” alors qu’elle a “toujours extrêmement mal”. Par ailleurs, elle a « l’impression qu’on réduit souvent l’endométriose à ‘la maladie qui rend les femmes stériles’, alors que, même si c’est en effet l’une de ses conséquences dramatiques, [elle] trouve que le problème majeur est qu’elle est horriblement douloureuse et horriblement suivie par le corps médical”.
Sans compter le fait que tous les frais médicaux ne sont “pas forcément pris en charge par la sécu et la mutuelle”. Un point plus pragmatique que souligne également Andréa : “Il y a le problème financier, aussi. Si, heureusement, j’ai une mutuelle, j’ai eu plein de dépassements d’honoraires, et ce pour des consultations et examens peu agréables qui ne servaient à rien. Idem, cela doit coûter beaucoup à l’assurance maladie.”
Une maladie énigmatique
Que faire pour que, justement, la prise en charge des femmes soit plus adéquate ? Pour que, comme le souligne Laurine, “il y ait une meilleure écoute et une meilleure compréhension” autour de cette maladie ? De nombreuses associations ont vu le jour, dont Info-Endométriose, qui vient de lancer une campagne de sensibilisation autour de la maladie, pour montrer son impact sur la vie des femmes.
Sacha, atteinte d’endométriose 🎥 👉 https://t.co/Nv18LdLEOl #campagnesensibilisation toute la semaine #endometriose !@IamJulieGayet #infoendometriose #santé #règles @EndoFrance @les_Memsettes @ENDOmindFrance @karukeraendometriose 1 femme sur 10 atteinte, Mobilisons-nous !
— Info-Endométriose (@InformationEndo) March 4, 2019
Au téléphone, sa présidente Chrysoula Zacharopoulou, gynécologue-chirurgienne spécialiste de l’endométriose à l’Hôpital d’instruction des armées Bégin, estime malgré tout que des progrès ont été faits depuis quelques années. “Auparavant, la médecine était très patriarcale, le médecin disait et la patiente exécutait. Il y avait aussi le tabou autour des règles, même au sein des familles, mais aussi celui autour de la douleur des femmes. Aujourd’hui, la médecine est plus à l’ère du dialogue, il n’y a plus ou il y a moins cet aspect patriarcal. La féminisation de notre métier a aussi joué un rôle.” Elle met aussi en avant “le manque de formation” des médecins durant leurs études concernant cette maladie. A présent, “ils et elles n’hésitent pas à nous adresser des patientes pour demander un avis”.
Chrysoula Zacharopoulou nous renvoie à la déclaration écrite du Parlement européen sur l’endométriose, en 2004 : “Il était demandé de reconnaître l’endométriose comme une maladie sociale, sociétale, qui certes touche les femmes en âge de procréer mais les touche aussi dans leurs études, leur carrière professionnelle, dans leur vie sexuelle. En fait, plus qu’un sujet de santé, je considère que c’est un sujet de droit des femmes.” Etant donné “qu’on ne sait pas comment va évoluer la maladie pour chaque patiente, c’est vraiment important qu’elles bénéficient d’un suivi. C’est également rassurant pour nous, qui pouvons ainsi apprendre comment se comporte la maladie”. Car la gynécologue ne le nie pas : “Il n’y a pas de traitement spécifique pour la pathologie, on ne connaît pas le mécanisme d’action. Cela dépend de l’âge de la patiente, du désir ou non de grossesse, du type de douleurs… sachant qu’il y a des endométrioses qui sont asymptomatiques. Bref, cela reste une maladie énigmatique.”
“Les femmes sont vraiment courageuses”
Ainsi, selon elle, pour faire bouger les choses, “il faudrait bien sûr une meilleure formation des médecins, plus de recherches et faire des études épidémiologiques. Imaginez si on pouvait suivre des adolescentes aux règles douloureuses durant tout leur parcours de vie… Il faut travailler avec les infirmières scolaires, mais aussi sensibiliser les médecins du travail autour de ce sujet, pour éviter les discriminations. C’est insupportable pour une patiente qui souffre déjà beaucoup de subir cela”.
Cynthia trouve ainsi “bizarre” que si peu de travaux et de recherches aient été faits sur le sujet. Julie, elle, y voit même une certaine forme de sexisme : “La plupart des gynécologues spécialistes de l’infertilité sont des mecs, tu sens que ce sont vraiment des mecs, que, ok, tu as mal, mais que tu es une femme et que tu fais chier avec tes règles.” Et de conclure : “En fait, les femmes sont vraiment courageuses.” Ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes, l’association Osez le féminisme, qui met souvent en avant les biais sexistes dans la prise en charge médicale des femmes, organise une soirée afin de lancer une campagne “pour une santé féministe des filles et des femmes”. Une table ronde sera spécifiquement consacrée à l’endométriose, avec des membres de l’asso EndoFrance. Le très cool nom de l’événement ? “A notre santée !”
*Le prénom a été modifié à la demande de notre interlocutrice
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