On ne parle pas d’endométriose comme on parle d’un rhume ou même d’une hernie à son employeur. L’endométriose, c’est la maladie des femmes. C’est la maladie qu’on préférerait laisser à la maison. Quand elle s’invite au travail et qu’elle ne vous lâche pas au point de briser votre élan professionnel. Vient alors le temps des confessions…
Personne ne l’a vue se faufiler dans les toilettes, s’effondrer sur la cuvette, enlever sa bouillotte de sa culotte et se tenir le bas-ventre. Personne ne l’a vue se mordre les lèvres, yeux clos, les muscles du visage contractés par la douleur. Tout juste a-t-on remarqué son teint blafard, ses cernes et son air moribond. Aujourd’hui, elle n’est pas en forme. Hier non plus. Peut-être devra-t-elle se mettre encore en arrêt maladie.
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Deux mois après avoir signé son premier contrat d’assistante de direction près de Dijon, Marie-Camille est diagnostiquée d’une endométriose. Un soulagement. La jeune femme n’a que 25 ans, et 10 ans d’errance médicale derrière elle. Elle peut enfin poser des mots sur son mal. Mais rapidement survient le doute. Doit-elle en parler à son nouvel employeur ? “Au début, je l’ai caché”, confie-t-elle aux Inrocks.
Honte ou peur de ne pas être comprise, les raisons de se taire ne manquent pas. Après tout, c’est normal d’avoir mal pendant ses règles ! Ce n’est pas le genre de choses qu’on aborde au travail. Et puis qui connaît l’endométriose ? Comme tout ce qui touche au « deuxième sexe », l’endométriose ne dit pas son nom : on parle de « maladie chronique », de « douleurs menstruelles ».
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Oui, mais… l’endométriose ne frappe pas qu’au moment des règles. Elle peut être indolore comme elle peut vous clouer au lit pendant une, deux, vingt-quatre heures et parfois plus. La faute aux cellules de l’endomètre, paroi interne de l’utérus, qui ont choisi de migrer hors de leur organe d’origine pour venir parasiter vos ovaires, votre vessie, vos intestins, votre côlon… Pas très « business compatible ».
Marie-Camille se serait bien contentée de l’omerta qui règne sur sa maladie si celle-ci ne l’avait pas poussée hors de son bureau pour sillonner les hôpitaux et cabinets médicaux de sa région. Entre les arrêts maladie et les congés pour se faire opérer, la pilule est difficile à faire passer à son employeur. Marie-Camille finit par se confier. Un an plus tard, elle regrette.
“Depuis que j’ai abordé mon problème médical, mon patron est resté bloqué là-dessus. Il dit qu’à cause de moi la société est en péril. Je n’y peux rien ! La victime, c’est moi.” Pour compenser ses absences et ses baisses de régime, elle n’hésite pas à faire grimper le compteur de ses heures de travail jusqu’à frôler le burnout.
Mais sa bonne volonté ne suffit pas. “Mon employeur ne comprend pas la maladie. Tous mes rendez-vous médicaux sont retirés de ma paie, sauf si je prouve que j’ai rattrapé mes heures.” Depuis un an, ses demandes d’horaires aménagées restent lettre morte. “Tous les matins, j’ai des contractions fortes quand j’arrive sur le parking du travail”, souffle la jeune femme. Quand ce n’est pas la maladie, c’est l’angoisse d’affronter les remarques de son patron qui lui contorsionne les boyaux.
La spirale du stress
C’est que l’endométriose ne se dit pas, elle s’intériorise. “Ce n’est pas pris au sérieux parce que ça ne se voit pas physiquement”, analyse Karine. A 43 ans, cette ancienne employée de grandes surfaces de la Nièvre a longtemps souffert de l’image négative associée à sa maladie. “Pendant des années, j’étais très fatiguée. Toutes les douleurs liées à l’endométriose m’ont épuisée nerveusement et mon patron n’était pas très ouvert d’esprit. A force d’en parler autour de moi, j’en avais ras-le-bol de me justifier. Je lui ai dit : ‘Je suis malade, j’ai un problème de santé, point barre.’”
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Omettre de mentionner sa maladie au travail pour se protéger, oui. Mais ce n’est pas de tout repos. Karine admet que ses crises sont “souvent liées au stress, à l’angoisse. Quand je suis plus calme, ça va mieux.” “Se forcer à être quelqu’un qu’on n’est pas consomme de l’énergie”, souligne Virginie Boutin, coach professionnelle. “Quand notre énergie est déjà abaissée par la maladie, on ne peut pas utiliser le peu d’énergie qu’il nous reste pour se forcer à porter un masque.”
Gynécologue psychosomaticien, Bernard-François Derreumaux a mené une étude sur l’endométriose et le travail. Sur un échantillon de 49 femmes d’une même entreprise, un profil-type ressort : “Ce sont souvent des femmes très actives et très sensibles au stress. Les poussées d’endométriose sont souvent synchrones d’émotions importantes liées à la vie personnelle, affective ou professionnelle.” A chaque épisode de stress, on observe donc une poussée de la maladie. Mais au stress professionnel s’ajoute celui de devoir cacher sa maladie, au risque qu’elle ne se rappelle brutalement à vous… le cercle vicieux s’installe.
Motus et utérus cousus
C’est pour le briser que Katia Jugi a invité en novembre dernier des expertes et femmes souffrant d’endométriose à venir témoigner lors d’une vente caritative d’œuvres d’art pour soutenir la recherche. Un projet baptisé One Out of Ten pour rappeler ce chiffre : une femme sur dix souffre d’endométriose.
A seulement 25 ans, Katia Jugi s’assume volontiers “carriériste”. Mais comme beaucoup, ses ambitions sont venues se heurter contre le mur de la maladie. Et de la discrimination au travail.
En master de marché de l’art, et alors que la jeune femme est en stage prolongé dans une entreprise qui promet de l’embaucher, elle est prise d’une violente crise de douleurs. “J’ai fait le choix d’en parler à mes collègues, se souvient-elle. C’est tombé dans les oreilles de la RH. Elle est venue me voir pour me demander à quel stade de la maladie j’étais. J’ai compris que je ne pouvais pas l’assumer. Je lui ai dit que j’avais une gastro…”
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L’endométriose s’est récemment fait une place dans le champ médiatique. Mais elle peine encore à percer les murs épais des entreprises. La chape de plomb est si lourde qu’“aucune association n’a encore les moyens financiers et humains de faire à grande échelle ce travail de fourmi de sensibilisation”, soupire Nathalie Clary d’Endomind. L’association, l’une des principales à lutter contre l’endométriose en France, a pourtant été précurseure en la matière. En 2016, elle a fait sa première intervention en entreprise. Et pour une première, elle a tiré le gros lot : la compagnie Air France, qui emploie presque 10 000 hôtesses de l’air.
“Les hommes posaient des questions, s’intéressaient, demandaient comment aider leurs collègues. Ils se sentaient concernés”, se félicite Nathalie Clary, surprise que des grosses entreprises sollicitent ses services. “Le fait d’en parler, les gens s’expriment et se sentent moins seuls. Cela a un effet déclencheur.” Même constat de Virginie Boutin. La coach professionnelle note une “émergence très récente de la parole autour de l’endométriose et des règles douloureuses, de la fatigue et du cycle de la femme” lors de ses interventions en entreprise.
“C’est encourageant”, sourit Nathalie Clary. Mais quand on lui demande combien d’opérations ont ainsi été réalisées en trois ans, la réponse tombe comme un couperet : “Ça doit se compter sur les doigts de deux mains.”
État, endométriose et procrastination
Le plan de lutte contre l’endométriose annoncé par le gouvernement au printemps dernier a posé le premier jalon d’une plus grande reconnaissance de la maladie. Détection précoce chez les jeunes filles, mise en place d’une “filière endométriose” dans chaque région et d’une campagne nationale de sensibilisation… Les efforts se veulent prometteurs. Mais force est de constater que la maladie est encore méconnue, notamment dans l’espace professionnel.
Cadre dans une grande entreprise d’aéronautique de la côte méditerranéenne, Emeline a fait le choix de parler ouvertement de sa maladie dès son entretien d’embauche. “J’ai beaucoup de chance, reconnaît-elle. L’équipe et mon manager savent que je suis malade et ça se passe très bien.” Elle se trouve même un rôle de “messagère” auprès des hommes qui ne connaissaient pas la maladie.
Mais quand l’écoute n’est pas au rendez-vous, les femmes se taisent et subissent. Pour Virginie Boutin, la solution s’impose alors d’elle-même : “revoir son projet professionnel”. “Retrouver un travail en adéquation avec nos valeurs, et qui l’on est profondément, évite d’utiliser de l’énergie juste pour se battre”, explique-t-elle. Harassée par des horaires de travail aléatoires incompatibles avec sa maladie, Karine vient juste de plaquer son boulot dans le commerce alimentaire pour se reconvertir dans la comptabilité, qu’elle estime plus adaptée. Marie-Camille, elle, ne rêve que d’avoir “un patron sympa qui me laisse aller à mes rendez-vous médicaux”.
Pour elles comme pour des milliers d’autres, c’est l’endométriose qui dicte leurs choix de carrière.
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