Dans la pièce, des hommes et des femmes divorcés, sont assis autour d’une table. Têtes baissés et regardant leurs pieds sans parler, ils écoutent la police et des leaders religieux leur expliquer comment re-vivre ensemble. C’est ce genre de scènes que l’on peut voir régulièrement, depuis cet été, sur Grozny TV, chaîne de télévision locale […]
En Tchétchénie, près de 1 000 couples divorcés ont été contraints de vivre à nouveau sous le même toit. Un vaste programme de contrôle de la population orchestré par Ramzan Kadyrov. L’ONG Human Rights Watch dénonce des regroupement « forcés ».
Dans la pièce, des hommes et des femmes divorcés, sont assis autour d’une table. Têtes baissés et regardant leurs pieds sans parler, ils écoutent la police et des leaders religieux leur expliquer comment re-vivre ensemble. C’est ce genre de scènes que l’on peut voir régulièrement, depuis cet été, sur Grozny TV, chaîne de télévision locale tchétchène appartenant au gouvernement.
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Parfois, l’émission rend même visite à ces couples qui viennent de ré-emménager ensemble après plusieurs années de séparation. « Ils regardent désormais leur programme télé ensemble, et dinent à la même table, s’enthousiasme alors la voix off. Le nombre de couples qui se rabibochent augmentent tous les jours ! » Interrogé par le journaliste, un homme explique qu’il s’est remis avec son ancienne femme pour « obéir à ce que le leader de la République a demandé ». Des scènes surréalistes donc, qui sont en réalité le fruit d’un programme gouvernemental bien ficelé.
Depuis le début de l’été, le Conseil pour l’harmonisation des mariages et des relations familiales est chargé de convaincre les couples divorcés de vivre à nouveau sous le même toit. « La commission explique avoir réconcilié 948 couples, ces deux derniers mois, après plusieurs années de séparation », révèle le New York Times qui ajoute : « Avec ce programme, le Conseil peut demander à la police de rendre visite aux couples divorcés et de les encourager à surmonter leurs différences. »
Des listes de couples divorcés passées au peigne fin
« Chacune des régions de Tchétchénie possède désormais un Conseil pour l’harmonisation des mariages et des relations familiales », nous explique Tanya Lokshina, directrice du programme russe de Human Rights Watch, ONG de défense des droits de l’homme. Ils sont composés d’agents du gouvernement et de représentants du muftiats (les autorités musulmanes locales). Pour mener à bien leur programme, ces conseils « établissent des listes de familles divorcées et approchent ensuite les anciens époux dans le but de les réconcilier ».
De son côté, Ramzan Kadyrov, le président tchétchène, a justifié cette politique par le risque de de basculement dans le terrorisme islamiste de la plupart des enfants de couples divorcés, « surtout s’ils sont élevés par leurs mères ». « S’ils peuvent vivre ensemble et avoir trois, quatre, ou cinq enfants, pourquoi divorcer après ça ? Si tout allait avant d’avoir cinq enfants, pourquoi ne pas continuer à vivre ensemble après pour les enfants ? », martèle l’autoritaire leader. Selon lui, sur cent enfants issus de familles divorcés, « seulement cinq ou six sont normaux ».
Bien que les médias sous tutelle gouvernementale fassent l’apologie de cette opération, le service russe de la BBC a recueilli des témoignages contraires. « Ma famille, c’est une affaire privée », déclare un homme qui a reçu de nombreuses pressions de la parti du Conseil. « Je leur ai dit que je n’avais pas prévu de me remettre avec une personne dont je me suis séparé sept ans plus tôt », affirme-t-il.
Des gardes d’enfants menacées
« Plusieurs femmes tchétchènes sont prêtes à accepter ces retrouvailles forcées parce que c’est la seule façon de revivre avec leurs enfants dont elles ont perdu la garde étant donné que les enfants appartiennent à leur père, selon les lois traditionnelles du pays », explique Tanya Lokshina qui a récemment recueilli de nombreux témoignages de femmes forcées de se remettre avec leur mari. « Human Rights Watch s’inquiète du fait que les femmes refusant de vivre à nouveau avec leur ex-mari perdent l’accord qu’elles avaient obtenu sur décision judiciaire concernant la garde partagée de leurs enfants », ajoute-t-elle.
Pour la directrice de l’ONG, cela ne fait aucun doute, cette opération arbitraire se ferait sous la contrainte : « En quelques semaines à peine, près de 1 000 couples divorcés ont été réunis. Un nombre important qui nous laisse penser que ces rapprochements familiaux ne sont pas volontaires mais forcés. »
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Propulsé au pouvoir par Vladimir Poutine en 2007, le président tchétchène Ramzan Kadyrov a instauré un régime autoritaire auquel s’ajoute une réactivation extrême du poids des traditions musulmanes, laissant place à une société patriarcale radicalisée. “Il y a aujourd’hui une retraditionalisation très forte de la société et les statuts des hommes et des femmes sont très codifiés. Les femmes sont obligées de porter le voile sur leur lieu de travail, et la polygamie chez les hommes est encouragée malgré son interdiction par la Constitution russe”, nous expliquait en mai dernier Aude Merlin, chercheuse au Centre d’étude de la vie politique (Cevipol), professeure à l’Université libre de Bruxelles, et spécialiste du Caucase du Nord.
Une vaste entreprise de contrôle de la population démarrée au au printemps dernier, lorsque Ramzan Kadyrov lançait une vague de persécutions des homosexuels du pays en les piégeant sur internet et en les torturant. Depuis le début du mois de mars, une centaine d’hommes homosexuels, ou supposés tels, âgés de 16 à 50 ans, ont été emprisonnés illégalement. Au moins trois y auraient perdu la vie.
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