En marge du 3eme congrès du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon s’en est violemment pris au ministre des finances Pierre Moscovici qu’il a accusé de ne pas “penser en français”. Le secrétaire du PS Harlem Désir a vivement réagi en l’accusant d’avoir employé un “vocabulaire des années 1930” qui n’était pas digne d’un républicain. Romain Ducoulombier, historien spécialiste du Parti communiste analyse la portée de cette polémique et les conséquences politiques qu’elle pourrait avoir.
Comment expliquer les propos tenus par Jean-Luc Mélenchon lors du 3e Congrès du Parti de gauche et notamment l’emploi du terme “salopard” pour qualifier Pierre Moscovici ?
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Romain Ducoulombier – Il faut recontextualiser ses propos (la bande audio a été publiée sur le site de Politis NDLR). Tout débute par une déclaration de François Delapierre, secrétaire national du Parti de gauche, affirmant lors du congrès de son parti, hier, que les ministres des finances de l’Union européenne étaient « 17 salopards ». Voilà ravivé, mais à contre-emploi, le souvenir des Douze salopards de Robert Aldrich (1967), film dans lequel douze délinquants militaires condamnés à mort sont chargés de nettoyer un château infesté de généraux nazis. Le film fait partie de la culture télévisuelle moyenne du « quadra » fils de prof qu’est Delapierre. Mélenchon ne fait qu’intervenir dans un second temps, pour couvrir de son autorité une formule sans doute choisie de façon concertée.
Quel est le but d’un tel propos ? Cette radicalité sémantique est-elle une nouveauté ?
Dans un vocabulaire dur qui prolonge la radicalisation du discours de son parti, Delapierre dénonce le caractère concerté de l’assaut de la finance contre les peuples : au-delà de la dureté du ton, rien qui ne soit neuf dans le discours du Parti de Gauche, qui use depuis longtemps, et avec une grande luxuriance, des thèmes de la coupure technocratique et eurosceptique et du sursaut démocratique face à une élite mondialisée présentée comme traître au pays. L’affaire chypriote, qui franchit une nouvelle limite en taxant l’épargne des déposants (imagine-t-on prendre en France 6% de tous les livrets A ?), ravive les slogans solidaires du drame grec, un thème fort au Parti de Gauche. Rien de tel pour chauffer les salles des congrès, largement acquises à cette rhétorique. C’était aussi le ton général, à l’époque emprunté par certaines personnalités du gouvernement, contre Depardieu lors de son exil fiscal en Russie, qui ranimait le vieil antagonisme patriotes contre nobles émigrés de la révolution française.
Pourquoi Pierre Moscovici a t-il été pris à partie ?
L’opposition à la politique du gouvernement est l’épine dorsale de la stratégie du Parti de gauche qui veut pousser le PCF à rompre avec son soutien conditionnel sans participation. Il est logique qu’un groupuscule en pleine crise de croissance comme le Parti de gauche soit plus radical que le pilier communiste du Front de Gauche. Delapierre prend à partie Pierre Moscovici, dans une réplique (« il a un nom, il a une adresse ») qui compte parmi les saillies les plus dures qui relèvent de cette stratégie. Elle peut être diversement interprétée mais comporte, si l’on est pointilleux, une forme de menace de vengeance populaire. On ne peut que constater, à ce stade, le contraste avec le 36ème congrès du PCF dont le ton était pour le moins opposé : congrès rassembleur et studieux, il avait défrayé la chronique à l’occasion du retrait de la faucille et du marteau de la carte d’adhérent, au profit d’ailleurs du logo du Parti de la gauche européenne… Tout cela résume, en fait, les divergences des deux partis au sein du Front de Gauche qui les rassemblent.
Jean-Luc Mélenchon n’a t-il pas franchi une ligne rouge en déclarant que Pierre Moscovici ne “pense pas en français” ?
Mélenchon n’a fait que couvrir les propos de son adjoint. Il en a précisé le sens dans une formule au cœur de la polémique qui gonfle : Pierre Moscovici « ne pense pas en français, qui pense dans la langue de la finance internationale ». En voilà un qui n’a donc pas de « Chavez en lui » ! Rien, a priori, ne différencie un tel propos du pamphlet « Qu’ils s’en aillent tous » du tribun : l’avantage du cas Depardieu, c’est qu’il était déjà parti à l’étranger et que son acte pouvait donc être unanimement dénoncé. Le livre ne dressait pas de listes noires, et pour cause : l’attaque devait être floue pour créer un ennemi indistinct et rassembleur et s’épargner le prix de la diffamation. Le propos contre Moscovici révèle parfaitement la limite de cette rhétorique souvent qualifiée de « populiste » : elle devient particulièrement inflammable quand elle franchit la barrière de l’attaque ad hominem. Les propos de Mélenchon rappellent ensuite l’une des propriétés les plus étonnantes de l’anticapitalisme : sa capacité, par le détour de la critique d’une élite mondialisée, à revenir à des thématiques « nationales ». Le but, c’est de créer de l’appartenance, de répondre à un besoin de protection exprimé par le peuple (souvent exalté pour sa clairvoyance) en désignant des ennemis à sa vindicte. Ce procédé, utilisé aussi bien par l’extrême droite que par l’extrême gauche, a parfois pris des accents antisémites : en la matière, le bréviaire d’Alphonse Toussenel, Les juifs rois de l’époque. Histoire de la féodalité financière (1844), est une référence non dépassée, sinon dans l’irrationalité. La dérive antisémite de l’anticapitalisme n’est donc pas une nouveauté, elle n’est pas non plus nécessaire et fatale, mais c’est une possibilité dont le XXe siècle a démontré la nocivité sans appel.
Quelles peuvent être les conséquences politiques d’une telle déclaration ? Certains taxent aujourd’hui Jean-Luc Mélenchon d’antisémitisme.
Jean-Luc Mélenchon n’est pas antisémite mais le choix particulièrement malheureux de Pierre Moscovici, dont les origines juives sont de notoriété publique, ont nimbé ses propos d’un relent nauséabond. Il s’en défendra, il s’en excusera peut-être, là n’est plus l’essentiel. Le plus grave, ce sont les conséquences politiques que cette erreur stratégique comporte. Elle va entamer son capital de sympathie médiatique et va accroître les tensions avec le partenaire communiste du Front de gauche, pour le moins perplexe devant tant d’agitation. Mélenchon a été dépassé par sa propre radicalité.
Cette polémique risque t-elle de soulager Marine Le Pen des accusations de radicalité qui étaient portées contre elle ?
C’est en effet l’une des conséquences les plus redoutables de cette diatribe. Elle ranime ce que Mélenchon déteste le plus : la critique des « populismes » convergents que seraient le Front national et le Front de gauche. Elle offre une trop belle occasion à son adversaire « national » désigné, Marine Le Pen, de faire coup double, en le condamnant, et en se présentant de l’autre comme la seule solution « patriote », puisque c’est le nouveau mot d’ordre de son Rassemblement Bleu Marine.
Romain Ducoulombier est l’auteur de Vive les soviets, Les échappés, septembre 2012, Paris.
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